RTSinfo: Vous adhérez à la stratégie énergétique du Conseil fédéral (SE 2050) qui prévoit la fin du nucléaire sans spécificité temporelle. Pourquoi ne pas en sortir dès 2017, comme le veut l'initiative?
Beat Vonlanthen:C'est beaucoup trop précipité! On n'a pas les énergies renouvelables à disposition pour compenser une sortie subite. Dès 2017, on devrait trouver 14% d’énergie électrique supplémentaire en Suisse, soit l'équivalent d'une production annuelle pour environ 1,6 million de ménages.
L'initiative n'a-t-elle pas le mérite d'éviter un certain immobilisme que certains craignent avec la stratégie du Conseil fédéral?
Non. La SE 2050 prévoit une série de mesures qui vont fondamentalement changer la politique énergétique, en encourageant les énergies renouvelables, tout en freinant la consommation. Mais il faut du temps pour le développement de ces alternatives. On l'a encore vu récemment avec l'admission par le Tribunal fédéral des recours contre le parc éolien du Schwyberg, dans le canton de Fribourg. C'est un dossier qui traîne depuis sept ans. Avec ses dispositions, la SE 2050 permettra d'accélérer les procédures.
Deux centrales suisses sur 5 sont à l'arrêt et leur production a été compensée. Cela ne montre-t-il pas que des solutions rapides sont possibles?
Oui, mais ce n’est pas un arrêt définitif. Une sortie du nucléaire implique la mise en place de structures durables. Il faudra notamment adapter les installations pour transférer le courant à haute tension de l'étranger sur notre réseau, dont une partie n'est pas conçue pour transporter un tel voltage.
Ces adaptations devront de toute façon être faites à terme...
Oui, d'où le fait qu'il ne faut pas opter pour une sortie précipitée.
Les centrales en Suisse sont sises très proches des aires de populations qui seraient touchées de plein fouet par une catastrophe nucléaire. Cela vous préoccupe-t-il?
Oui et c'est pour cela que nous devons sortir du nucléaire, mais pas de manière désordonnée. Il faut dire aussi qu'il y a des contrôles rigoureux établis par l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) qui surveille les installations. Ensuite, je rappelle que les propriétaires des centrales investissent régulièrement dans l'entretien des équipements. Au total, plus de 6 milliards de francs ont été consacrés à la mise en état des centrales depuis leur création.
Vous faites ainsi confiance aux experts, tout en reconnaissant les risques potentiels liés aux centrales?
Il y a toujours un risque, mais en attendant une sortie réfléchie, c'est un risque tout à fait acceptable. Sur l'aspect sécuritaire, je relève quand même une incohérence chez les initiants qui soulignent sans arrêt le danger des centrales: s'ils pensent qu'elles sont si dangereuses que cela, ils devraient plaider pour une sortie directe du nucléaire, avant la fin de l'année. Mais ils misent sur 2017 pour trois centrales, puis 2024 pour celle de Gösgen et 2029 pour Leibstadt. Ce n'est pas logique.
Le nucléaire comporte toujours un risque, mais en attendant une sortie réfléchie, c'est un risque tout à fait acceptable.
Vous dénoncez une dépendance de l'étranger pour l'approvisionnement en électricité qu'impliquerait l'initiative. En quoi cet apport depuis l’extérieur serait-il négatif?
Dépendre de l'extérieur signifie que lors d'une panne à l'étranger, nous ne sommes pas fournis. Mais cela démontre à nouveau une contradiction de la part des initiants: ils acceptent le principe de se fournir en Allemagne, or 60% de l'énergie produite dans ce pays provient d'énergies fossiles, des énergies auxquelles s'opposent les Verts. Sans compter que l'Allemagne importe du charbon des Etats-Unis et d’Australie, ce qui est une aberration écologique.
Le maintien du nucléaire ne bloque-t-il pas le développement d’énergies renouvelables?
Je ne suis pas d’accord. Sachant que les exploitants des centrales ont déjà annoncé une demande de dédommagements en cas de oui à l'initiative, il faudra probablement leur verser des milliards de francs. Des fonds qui ne seront plus disponibles pour développer des énergies renouvelables.
Ces 4,1 et 2,5 milliards de francs de compensations réclamées par deux exploitants sont-ils justifiés?
Oui, dans la mesure où la Confédération leur a accordé entre 50 et 60 ans de production. Or, en regard de cette planification, le texte leur engendre des années de pertes. Cela ressemble à une expropriation et les exploitants ont une vraie chance d’obtenir gain de cause pour recevoir ces dédommagements.
Pourtant, cette demande de compensations a été vivement critiquée lorsqu'il est apparu qu'Alpiq a tenté de vendre ses centrales...
J'ai moi-même trouvé étrange cette annonce du président d’Alpiq et c’est vrai que beaucoup de gens n’ont pas compris cette approche. Je comprends que l'entreprise veuille vendre ses installations à des privés, mais je suis opposé à ce que la Confédération les reprenne, même gratuitement.
Le dernier sondage SSR révèle une rupture au sein de votre parti (PDC), avec ses sympathisants majoritairement favorables au texte et sa présidence y étant opposée. Comment convaincre votre électorat?
J’ai été surpris de voir que l'électorat du PDC était en majorité pour l’initiative. Mais c’est compréhensible, parce qu’il a toujours accepté l’approche de Doris Leuthard (conseillère fédérale PDC, en charge de l'Energie) de sortir du nucléaire. Il s’agit maintenant de faire un travail d’information et de conviction. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait récemment lors de l’assemblée des délégués du PDC de Fribourg. J'ai eu beaucoup de discussions animées avec des personnes favorables à l'initiative. Mais, lors du vote final, 91,5% des 106 délégués présents se sont prononcés contre le texte. Donc, à mon avis, ce n’est pas perdu, mais il faut prendre le temps d'expliquer que les alternatives proposées par les initiants sont contre-productives et incohérentes.
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Propos recueillis par Mathieu Henderson