RTSinfo: La volonté de sortir du nucléaire a été très forte en Suisse après Fukushima en 2011, puis la crainte est un peu retombée. Pour vous, c'est plus profond; vous vous battez contre le nucléaire depuis votre plus jeune âge. Pourquoi?
Robert Cramer: L'une de mes premières motivations était liée aux déchets nucléaires, qui sont extrêmement dangereux et qui resteront en activité pendant 100'000 ans. On peine à se le représenter, sachant que les pyramides n'ont que quelques milliers d'années. Il y a 2000 ans, on parlait le latin! Comment transmettre aux générations futures ce que sont des déchets radioactifs, et où ils se trouvent? Au-delà du risque lié aux déchets, à l'extraction de l'uranium et à son transport, s'est ajouté le risque très concret de l'accident nucléaire.
Concrètement, quel est le risque?
Le risque est considérable. Avec 194 centrales en fonction dans le monde, il y a eu tous les 20 ans des accidents extrêmement sérieux, entraînant de véritables dévastations. Des gens sont morts, d'autres ont été irradiés, certains subissent encore des maladies atroces.
Or, la Suisse est particulièrement exposée, car ses centrales sont les plus vieilles du monde. Beznau I a été mise en service il y a 47 ans! En plus, elles ne sont pas fiables. Deux des cinq centrales sont actuellement à l'arrêt pour des raisons de sécurité, dont Leibstadt, la plus grosse et la plus récente. A quoi s'ajoute le fait que la Suisse est le pays du monde où les centrales sont le plus proche des populations.
Selon le Conseil fédéral, les centrales nucléaires suisses font justement partie des plus sûres du monde. Les stress-tests effectués ont reçu de très bonnes notes en comparaison européenne. Ce n'est pas suffisant?
On nous dit la même chose que ce que pouvaient dire les exploitants des centrales nucléaires avant Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima. On prend les précautions nécessaires pour éviter un accident et pourtant, ça se produit. Et chaque fois pour une raison que l'on n'avait pas envisagée.
Ces stress-tests se fondent sur des théories, pas sur des faits. Le fait est que la moitié des centrales sont arrêtées pour des raisons de sécurité.
Ces centrales à l'arrêt, n'est-ce pas justement la preuve que les mesures de sécurité fonctionnent?
C'est la preuve que nos centrales ne sont pas fiables. Peut-être bien qu'on devrait les arrêter les cinq, on n'en sait rien. Pourquoi continuer avec un système qui n'est pas fiable, et dont les dangers sont redoutables?
L'initiative réclame le démantèlement des centrales nucléaires après 45 ans d'exploitation. Pourquoi 45 ans?
Les centrales ont été conçues pour fonctionner 40 ans. L'âge de 45 ans a paru aller dans le sens du compromis, permettant aisément de remplacer la production électrique.
Les centrales nucléaire ont été conçues pour fonctionner 40 ans.
Comment remplacer cette ressource en quelques mois seulement?
Actuellement, le nucléaire représente moins de 35% de notre production d'électricité. Si l'initiative est acceptée, on devra remplacer environ un tiers de notre énergie nucléaire en 2017, soit l'équivalent de la centrale de Leibstadt (AG), qui est actuellement à l'arrêt. Et on va bien passer l'hiver.
Or, l'initiative va donner un coup d'accélérateur pour qu'à l'hiver 2018, on ait nos capacités de production d'énergie renouvelable autrement plus importantes qu'aujourd'hui. On peut compter sur une liste d'attente de plus de 40'000 projets, représentant plus du tiers de la production du nucléaire.
Ces projets sont en attente de subventionnement et vos opposants soutiennent que leur raccordement au réseau coûterait très cher.
A ceux qui font des théories en disant que l'initiative va augmenter le coût de l'électricité, je leur réponds avec des faits: malgré les subventions indirectes au nucléaire, ce courant coûte plus cher que le renouvelable.
A Genève, dès janvier 2017, le 100% de l'électricité distribuée dans le canton sera renouvelable, d'origine genevoise pour un tiers et le reste, de Suisse. Avec ce choix, les prix de l'électricité vont même diminuer l'an prochain. Ce qui est possible à Genève est possible pour l'ensemble du pays.
En attendant l'autosuffisance au renouvelable, il faudra bien importer du courant de l'étranger, provenant notamment de centrales à charbon allemandes ou du nucléaire français...
Je peux vous certifier qu'on ne va pas importer du nucléaire français, car ils n'en n'ont déjà pas assez, avec leurs 22 centrales sur 58 à l'arrêt.
Ensuite, pourquoi on importerait du charbon d'Allemagne? Cela dépend des contrats que vous passez. Si vous préférez payer du charbon à 2 centimes pour remplacer le nucléaire à 8,5 ct de Beznau II, vous pouvez le faire. Mais si vous êtes un peu moins radin, vous pouvez avoir du renouvelable allemand pour 4 ou 5 ct. C'est un marché, vous achetez ce que vous voulez.
C'est un marché, mais il n'existe actuellement aucun accord sur l'électricité entre la Suisse et l'UE...
En Suisse, on importe et on exporte déjà chaque jour des quantités considérables d'électricité. Aujourd'hui, on a cette chance de pouvoir sortir du nucléaire au moment où l'Europe est en surproduction. Tous les 18 jours arrive sur le marché une nouvelle production d'énergie renouvelable, équivalente à la centrale de Mühleberg (BE).
Mais le but de l'initiative n'est pas de dépendre de l'importation. Le texte précise au contraire qu'il faut développer le renouvelable. Je signale aussi que la Suisse n'a pas de mine d'uranium, ni d'usine d'enrichissement. Notre nucléaire repose entièrement sur l'importation.
Ces centrales perdent 500 à 600 millions de francs par an.
La Stratégie énergétique 2050 (SE 2050) prévoit de sortir du nucléaire, en ayant l'avantage, selon vos opposants, de laisser le temps nécessaire pour une sortie plus ordonnée...
J'y suis favorable parce qu'elle va dans le bon sens, mais cette stratégie est très lacunaire sur la sécurité du nucléaire. Par exemple, ce ne sera pas à l'exploitant de faire la preuve que sa centrale est sûre, mais à l'autorité de sécurité de prouver qu'une centrale n'est pas sûre.
Plus grave, l'autorité de surveillance ne pourra pas ordonner un arrêt temporaire de l'exploitation, ni exiger que l'exploitant fasse la preuve qu'économiquement, il peut assurer la sécurité de sa centrale.
Axpo a déjà annoncé qu'il réclamerait 4,1 milliards de dédommagements et Alpiq 2,5 milliards. Ce sera pour le contribuable?
Foutaise. Encore doivent-ils prouver leur dommage et être capables de chiffrer le préjudice économique. Ces centrales perdent 500 à 600 millions de francs par an. Ils devraient plutôt nous remercier! La presse a révélé récemment qu'Alpiq a essayé de vendre ces centrales pour un franc symbolique. On ne peut pas dire que nos centrales valent un franc et dans le même temps que c'est un dommage considérable de ne pas pouvoir les exploiter.
>> Lire aussi l'interview de Beat Vonlanthen (PDC/FR) : L'initiative pour la sortie du nucléaire est "précipitée et incohérente"
Propos recueillis par Feriel Mestiri