"Soigner un rhume, ça prend sept jours avec des médicaments et une semaine sans", dit un dicton populaire. A bon entendeur a voulu vérifier, sur la base d'une étude réalisée en Belgique, combien de médicaments inefficaces, voire "à déconseiller", se trouvaient dans nos pharmacies.
L'émission de la RTS révèle mardi que 597 médicaments vendus en Suisse, soit 11% du total des 5300 médicaments sur le marché, sont concernés.
Pour obtenir le chiffre total de médicaments concernés, ABE a utilisé les résultats de l'étude d'une association de consommateurs belge, "Test-Achats", qui a fait analyser par des experts les quelque 6500 médicaments présents sur le marché belge.
L'équipe de la pharmacie inter-hospitalière de La Côte a transposé ces résultats à la situation suisse pour ABE et a retrouvé 597 médicaments vendus en Suisse sur les 1140 produits belges qui avaient soulevé les interrogations des experts sur la balance bénéfice-risque.
Ils ont été classés dans trois catégories:
- "utilité limitée": l'efficacité et la sécurité du médicament sont démontrées, mais il faudrait en limiter l'usage à un groupe spécifique de patients ou à une durée limitée.
- "utilité contestable": l'efficacité du médicament n'est pas clairement établie, elle est remise en question ou minime, ce qui suscite des inquiétudes en termes de sécurité.
- "à déconseiller": la balance entre l'efficacité et les effets indésirables est très négative en raison de risques de graves effets secondaires, ce qui, selon les experts belges, "devrait aboutir à un retrait du marché du produit pharmaceutique".
Voltaren, Berocca et Lysopaïne concernés
Sur les près de 600 produits pharmaceutiques suisses concernés, 74% ont une "utilité limitée", 22% sont d'une "utilité contestable" et 4% sont carrément "à déconseiller", selon la catégorisation belge.
Parmi eux, on retrouve des médicaments populaires et objets de nombreuses publicités comme l'anti-inflammatoire Voltaren, les tablettes effervescentes de vitamines Berocca ou l'analgésique Panadol extra (la version avec caféine). Ces trois médicaments ont été jugés d'une "utilité contestable" par les experts belges, soit parce qu'ils n'apportent aucun bienfait spécifique pour les personnes en bonne santé, comme pour Berocca, soit parce que, utilisés sur le long terme, ils peuvent provoquer des effets secondaires importants ou augmenter le risque cardiovasculaire, comme pour le Voltaren.
Le diclofénac, le principe actif du Voltaren, a plus de risques d'effets cardiovasculaires graves que la plupart des autres anti-inflammatoires.
Dans la catégorie "à déconseiller", on retrouve des produits tels que le sirop expectorant Bisolvon, les pastilles pour la gorge Lysopaïne, le Neocitran grippe, l'anti-dépresseur Valdoxan ou l'antibiotique Norflocin.
Les deux premiers, Bisolvon sirop et Lysopaïne, sont déconseillés pour leurs effets limités ainsi que pour la possibilité de provoquer des réactions allergiques graves ou des effets secondaires indésirables comme des problèmes gastro-intestinaux, des nausées et des vomissements.
L'anti-dépresseur Valdoxan est lui déconseillé car la balance d'effets secondaires indésirables est plus forte que ses effets bénéfiques. En outre, les psychotropes peuvent provoquer des insuffisances hépatiques, un risque qui est plus élevé pour le Valdoxan que pour les autres classes d'antidépresseurs.
Enfin le Norflocin est un antibiotique largement prescrit contre les infections urinaires. Très bien toléré et fonctionnant bien, il est toutefois à déconseiller s'il ne concerne pas des cas d'infections mutirésistantes, car "il tend à sélectionner des résistances bactériennes et pourrait perdre largement de son efficacité s'il est trop utilisé", a expliqué le médecin-chef en pharmacie clinique du CHUV Thierry Buclin. Les experts belges estiment pour leur part que l'antibiotique peut provoquer des effets secondaires indésirables comme des psychoses et des hallucinations chez les personnes âgées.
"Luxe de pays riches"
Les fabricants des trois médicaments cités en exemple dans l'émission d'ABE s'en remettent pour leur part aux précautions évoquées dans les notices d'emballage de leurs produits ainsi qu'aux autorisations de mise sur le marché délivrées par Swissmedic, l'autorité suisse de contrôle dans le domaine.
Si un médicament correspond aux guidelines de Swissmedic, il sera vendu. Notre système économique permet la concurrence.
Interrogé par ABE, le porte-parole de l’industrie pharmaceutique suisse Thomas Cueni réfute l’analyse faite par l’organisation "Test-Achats" et ABE. "Je ne pense pas que nous ayons beaucoup de médicaments inutiles. Nous sommes tous des patients à un moment ou un autre et nous sommes tous des individus qui réagissent différemment à un médicament; que le médecin ait le choix, c'est assez important", déclare le directeur d'Interpharma.
Cependant, avec de récents scandales comme le Mediator en France ou la pilule Yasmin en Suisse, la méfiance des patients augmente. Mais il est très rare que Swissmedic retire l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament.
"En Suisse, on est dans un système économique qui permet la concurrence, explique encore à ABE la cheffe de l'unité "clinical review" de Swissmedic Christine Haenggeli. Si le médicament correspond aux guidelines d'efficacité et de sécurité, il sera vendu. C'est clair que c'est un luxe des pays développés d'avoir autant de médicaments sur le marché".
Sophie Badoux