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Plus d'un millier de patients de la clinique de Marsens ont servi de cobayes à Sandoz

FR: des cas d’essais cliniques sur des patients durant les années 50 et 60 recensés
FR: des cas d’essais cliniques sur des patients durant les années 50 et 60 recensés / 19h30 / 2 min. / le 27 janvier 2017
L'hôpital psychiatrique de Marsens (FR) a fait des essais de médicaments sur plus de 1000 patients vraisemblablement sans leur consentement à partir de 1955, a découvert la RTS. Parmi les cobayes figurent d'anciens enfants placés.

Lorsque la clinique psychiatrique de Marsens débute les tests en 1955, l'hôpital est surchargé. Le nouveau directeur, Maurice Rémy, accueille donc "volontiers" l'offre de Sandoz de tester de nouveaux tranquillisants. En 1958, la clinique a déjà testé une dizaine de substances expérimentales sur "près d'un millier de patients", selon des articles scientifiques de l'époque que la RTS a consultés (1).

Certains comme le NP 207 ou le KS 24 doivent être abandonnés "suite à l'apparition, chez quelques malades" de pigmentations toxiques au niveau de la rétine"(2).

Un des premiers anti-psychotique testé

L'équipe du docteur Rémy se concentre alors sur un produit, qui semble plus prometteur, la thioridazine, que Sandoz commercialisera quelques années plus tard sous le nom de "Melleril", l’un des premiers anti-psychotiques. "C'est à Marsens que furent décelées, pour la première fois, les propriétés remarquables de (ce) médicament, maintenant répandu dans le monde entier" (3), se targue le directeur en 1965 dans le rapport annuel de la clinique. Novartis retirera le Melleril du marché en 2005, car le médicament comportait des risques cardiaques trop importants.

Enfants placés parmi les cobayes

Novartis et la clinique ayant refusé que la RTS consulte leurs archives, difficile de dire si les patients utilisés pour ces tests étaient bien appropriés.

Dans ses études, Maurice Rémy ne détaille que quelques cas de patients impliqués, dont celui d'une femme de 34 ans, peut-être un cas d'internement administratif: "(elle) nous fut transférée d'un pénitencier où elle avait été internée pour vagabondage et tentative d'incendie". Ou cet homme de 34 ans, un ancien enfant placé, "issu d'une famille disloquée, il grandit dans un orphelinat et fut placé comme domestique de campagne en divers endroits" (4).

A l'époque, il n’y avait pas de commission d'éthique pour surveiller les essais comme aujourd'hui et le consentement du patient n’était pas demandé

Jacques Gasser, historien et psychiatre vaudois

Selon l'historien et psychiatre vaudois Jacques Gasser, de tels essais n’avaient rien de scandaleux à l’époque. "Il n’y avait pas de commission d'éthique pour surveiller les essais comme aujourd'hui et le consentement du patient n’était pas demandé comme aujourd'hui".

Le chef du département de psychiatrie au CHUV reconnaît que la proximité avec les pharmas était trop grande à cette époque. Mais selon Jacques Gasser, "les nouveaux médicaments qui apparaissent au début des années 1950 en psychiatrie ont permis pour la première fois de faire sortir des patients de l’hôpital, mais aussi de les rendre accessibles à la psychothérapie".

Jean-Marc Heuberger

Sources

[1] M. Rémy, dans Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie, Nr. 84, 1959.

[2] M. Rémy, dans Schweizerische Medizinische Wochenschrift, Nr. 48, 1958.

[3] M. Rémy, dans Rapport général sur la marche des établissements de Marsens et d’Humilimont, 1965.

[4] M. Rémy, dans Schweizerische Medizinische Wochenschrift, Nr. 48, 1958.

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Le "no comment" de Novartis

Novartis, la société qui a succédé à Sandoz, n'a pas souhaité répondre aux questions de la RTS sur les essais effectués à Marsens. "Nous réservons les informations historiques concernant les essais cliniques aux chercheurs mandatés par les autorités, comme le groupe d'historiens mis en place par le canton de Thurgovie", a indiqué l'entreprise.

Des tests pour l'industrie pharmaceutique ont en effet été réalisés sur des milliers de patients à la clinique de Münsterlingen (TG), dans la clinique d’Herisau (AR) et dans celle du Burghölzli (ZH). Les cantons de Thurgovie et de Zurich ont chargé des historiens d'étudier les archives, pour savoir si ces pratiques correspondaient aux standards de l’époque.

Le canton de Fribourg évoque "des essais inacceptables"

Les actuels responsables du canton de Fribourg n’étaient pas au courant de ces essais. Pour la conseillère d’Etat en charge de la santé, Anne-Claude Demierre, de tels essais sont « inacceptables », mais il faut les remettre dans leur contexte historique. "Les recherches menées à Marsens - d’après ce que j’ai pu lire - avaient pour objectif d’aider les patients qui étaient en souffrance. Le consentement du patient n’était pas formalisé comme aujourd’hui, mais on n’avait pas la volonté de manquer de respect."

Le canton de Fribourg pourrait ouvrir une enquête historique. "Nous l’envisageons très sérieusement, à voir si cela doit se faire seulement pour Marsens, au niveau des cantons romands, voire même de Suisse, la problématique est beaucoup plus large et concerne tous les cantons."