Menée sous la pression de la communauté internationale, la RIE III vise à supprimer les statuts fiscaux spéciaux octroyés jusque-là à certaines sociétés et ainsi harmoniser les taux d’imposition des entreprises dans chaque canton. Pour conserver une compétitivité fiscale, la réforme propose des mesures d’allègements.
Le projet du Conseil fédéral et des Chambres a fait l'objet d'un référendum de la gauche. Le camp du non dénonce notamment une solution trop coûteuse pour les collectivités publiques. Les Suisses se prononceront le 12 février prochain.
RTSinfo: Les opposants à la RIE III annoncent un manque à gagner, chiffré entre 2 et 4 milliards de francs. Comment combler ce trou?
Pascal Broulis: Ces chiffres sont spéculatifs. Ce qui est sûr, c’est que la Confédération reversera 1,1 milliard aux cantons, ce qui n’est pas un coût mais un transfert d’une collectivité à d’autres. Cet argent ne disparaîtra pas. Ensuite, la RIE III influencera les budgets en 2020, voire 2021. Sachant que le total des impôts prélevés en Suisse dépasse 131 milliards, on peut s’y préparer sans brutalité, d’autant que l’économie est par essence dynamique. La RIE III va rassurer les entreprises, diminuer les impôts des PME, les inciter à investir, embaucher, se développer. On aura rapidement des retours sur investissement. C’est ce qui est arrivé avec la RIE II, introduite en 2008. L’IFD des entreprises a progressé de 20% depuis cette date, soit près de 2 milliards de francs.
Mais l’attractivité et la compétitivité de la place économique suisse risque de se faire sur le dos des contribuables normaux?
Non, pourquoi? Dogmatiquement opposés à l’économie de marché, les adversaires de la RIE III veulent faire croire que les électeurs ont renforcés le centre-droit au Parlement en 2015 pour qu'il puisse miner le pays et pressurer les contribuables… C’est absurde. La RIE III est conçue pour la population pas contre elle. Elle existe pour protéger et développer l’emploi dont dépend in fine le bien-être de toute collectivité.
Et quelles seront les conséquences pour les prestations pour l’Etat, dans quels domaines se feront les économies?
Les prestations de l’Etat ne diminueront nulle part. Reprenez le calendrier que je viens de citer et le montant des ressources en jeu. En refrénant seulement la croissance des dépenses, on absorbe d’ici 2020 la RIE III, y compris ses avancées sociales prévues dans des cantons comme le mien. Et cela, quoi qu’en disent certains de ses élus... La gauche le sait, elle qui a soutenu la RIE III vaudoise plébiscitée par 87,12% des votants en mars 2016.
Alors que les cantons bénéficieront de compensations fédérales pour pallier la baisse d’impôts, la majorité des villes, dont Lausanne, se montrent inquiètes.
C’est une posture politique que je regrette. Respectant nos échelons institutionnels les cantons ont proportionnellement répercutés les compensations fédérales vers leurs communes. Vaud a même fait plus, en modifiant ses règles péréquatives à l’avantage des villes. Lausanne y gagnera plus de 14 millions en 2019. Le maire de Genève, Guillaume Barazzone, défend très clairement la RIE III.
Le Parlement fédéral a calculé les baisses fiscales avec un taux médian de l’imposition des cantons de 16%, mais Vaud par exemple l’a déjà baissé à 13,97%. Gros risque de concurrence fiscale entre les cantons?
Au contraire. Les écarts se resserreront. Aujourd’hui, le taux ordinaire genevois est de 24,16% alors que celui de Lucerne est de 12,3%! Ces énormes différences nuisent à l’image des cantons, qualifiés les uns vis-à-vis des autres "d’enfers" ou de "paradis" fiscaux. Intelligemment fédéraliste, la RIE III permettra aux cantons d’utiliser les outils fiscaux qu’elle comporte au plus près de leur réalité économique.
En quoi les patent box, les déductions sur les intérêts notionnels, ou sur la recherche et l’innovation, ne sont-ils pas juste des "astuces" fiscales ou des "cadeaux aux multinationales" comme le dénonce la gauche?
Si ce sont des "astuces" elles sont vraiment très répandues, puisqu’il s’agit d’outils reconnus par l’OCDE. Soyons sérieux, dénigrer n’est pas informer. L’introduction de ces outils fiscaux dans la RIE III répond à l’objectif d’acceptation internationale de notre fiscalité, défini par le Conseil fédéral dès 2012. Dans un pays comme la Suisse, dont l’inventivité est la matière première, il est normal d’encourager la recherche et le développement, fournisseurs de places de travail à haute valeur ajoutée précieuses pour nos jeunes. Et de protéger les revenus de brevets qui sont le fruit de la recherche. Et pourquoi favoriser les sociétés qui empruntent au détriment de celles qui s’autofinancent? La déduction des intérêts notionnels rétablit un équilibre.
Départ des entreprises hautement mobiles en cas de non à la RIE III, presque 200'000 emplois concernés, mesures d’«austérité» annoncées par Ueli Maurer… Ces prévisions sont-elles réalistes?
Vous avez écouté le discours de Theresa May le 17 janvier sur le Brexit ? Vous avez entendu les intentions de Trump sur l’imposition des entreprises aux Etats-Unis ? Et je ne parle pas de l’Irlande, des Pays-Bas ou de la Belgique. Oui, les entreprises mobiles sont courtisées. Elles ont des alternatives à la Suisse et partiront si on n’accompagne pas la fin des statuts spéciaux du cadre compétitif de la RIE III.
Les Vaudois ont plébiscité en mars dernier leur RIE III cantonale, qui offrait un compromis politique entre une baisse substantielle du taux d'imposition pour les entreprises en échange de compensations sociales - comme la hausse des allocations familiales ou des subsides pour les assurances maladie. En cas de NON le 12 février, quelles conséquences pour le canton de Vaud?
Comme toute la Suisse, il plonge dans l’inconnu. La baisse à 13,79% du taux d’imposition des entreprises vaudoises dépend de la suppression des statuts spéciaux et des compensations financières de la Confédération. Et les compensations sociales, substantiellement payées par les entreprises, dépendent du nouveau taux d’imposition. C’est une chaîne. En cas de refus, le Conseil d’Etat vaudois devra revenir devant le Grand Conseil et les entreprises entreront dans l’incertitude.
Selon le premier sondage SSR, le OUI à la RIE III est donné gagnant… Mais en cas de rejet, quel est le plan B?
On aurait aimé que les opposants y consacrent une seule parcelle de l’énergie qu'ils mettent à combattre la RIE III. En fait ils n’ont pas de plan B. Pour moi, il n’y aura pas d’autre solution que de tout reprendre à zéro, sachant qu’il a fallu quatre ans pour élaborer la RIE.
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Propos recueillis par Katharina Kubicek