"Certains font du hockey ou du tennis. Mon sport à moi, c'est le service à la collectivité. Président de commune est le plus beau des hobbies." A la tête des 870 habitants du petit village valaisan de Dorénaz depuis 1989, Daniel Fournier est catégorique: en 28 ans, il n'a jamais connu de lassitude.
Patron d'une entreprise d'agencements d'intérieurs, le libéral-radical estime que son engagement politique lui prend 30% de son temps. "Il ne faut pas faire cela pour l'argent, ce n'est pas pour 20'000 francs par année", explique-t-il. Ce qui l'anime, "c'est le contact direct avec les habitants. On traite de problèmes très concrets, au niveau des infrastructures notamment".
Un petit groupe de mécontents a cherché à m'isoler avant les dernières élections. Sans succès. J'ai toujours été extrêmement bien élu.
Reste que la longévité de Daniel Fournier fait grincer des dents à Dorénaz. L'été dernier, une quarantaine de citoyens montaient au créneau pour qu'il ne se représente pas à un huitième mandat consécutif, relevait Le Temps.
Entre pollution et constructions illégales, ils accusaient leur président de gestion déloyale des intérêts publics. Balayant toute attaque, celui-ci ne s'en est pas inquiété: "Un petit groupe de mécontents a cherché à m'isoler avant les dernières élections. Sans succès. J'ai toujours été extrêmement bien élu."
Le résultat des urnes comme preuve de satisfaction
Daniel Fournier n'est pas un cas isolé. Qu'on les appelle maires, syndics ou présidents, pas moins de 22 des 769 chefs des exécutifs communaux romands sont en poste depuis vingt ans ou plus, selon l'enquête menée par la RTS (lire encadré). Le record absolu de longévité? Il est détenu par Edwin Zeiter, chef du minuscule village haut-valaisan de Bister, depuis... 45 ans.
Le phénomène touche particulièrement les petites communes puisque seules trois d'entre elles dépassent les 3000 habitants: Granges-Paccot (FR), Belmont-sur-Lausanne (VD) et Bösingen (FR).
Pour Andreas Ladner, directeur de l'Institut des hautes études en administration publique de Lausanne, il n'est ni étonnant, ni inquiétant: "Les petites communes peinent de plus en plus à renouveler leur personnel, ce qui explique que certains maires restent en poste longtemps. Ce sont des personnes qui aiment servir la collectivité et qui le font généralement bien".
Selon le politologue, leurs réélections consécutives en sont la preuve. "Les résultats dans les urnes démontrent qu'ils apportent de bonnes solutions et que les citoyens sont satisfaits. Si tel n'était pas le cas, ceux-ci s'exprimeraient différemment".
D'importantes disparités selon les cantons
Dans le détail, Fribourg, Vaud et le Valais sont les cantons où les principaux records de longévité sont observés: parmi les cinq plus anciens élus, aucun n'est en poste depuis moins de 20 ans.
A l'inverse, dans le Jura, à Neuchâtel ou à Genève, les durées des mandats n'excèdent jamais 17 ans. "Ces différences s'expliquent moins par des raisons culturelles qu'institutionnelles", relève Andreas Ladner. Ainsi, 28 des 36 communes neuchâteloises possèdent notamment un système de présidence tournante. Autre exemple dans le canton de Berne, où le district de Bienne limite quant à lui la durée des mandats à 12 ans.
Des miliciens surchargés et mal aiguillés
Si certains chefs d'exécutifs s'accrochent au pouvoir, on assiste à un renouvellement régulier dans la majeure partie des communes. Plus de 70% des élus (567 personnes) sont en effet en poste depuis dix ans ou moins. "Les gens s'essoufflent fréquemment après deux mandats ou même avant", analyse Andreas Ladner.
L'essoufflement, Samuel Oberli l'a connu après ses quatre années à la tête de la petite commune jurassienne de Soubey. "L'activité est intéressante mais avec des séances le soir et le week-end à côté de son emploi, c'est usant". Et cet employé CFF d'expliquer qu'en plus, "dans les petites communes, on n'a pas la bonne boîte à outils pour gérer les affaires publiques. Le cadre légal est trop complexe pour une seule personne".
Le cadre légal est trop complexe. Je ne voulais pas prendre cette fonction. L'ancienne mairesse m'a harcelé, faute de relève.
Fort de son expérience, Samuel Oberli a pourtant pris les rênes d'une commune proche, Les Enfers, le 1er janvier dernier. A contrecœur. "Je ne voulais pas prendre cette fonction. L'ancienne mairesse m'a harcelé, faute de relève", indique-t-il, précisant qu'il quittera son mandat par intérim le 31 décembre.
Deux mandats au moins pour mener à bien des projets
Tous ne sont pourtant pas autant pessimistes. Aux commandes de la commune de Courtelary (BE) depuis le 1er janvier lui aussi, Benjamin Rindlisbacher, 48 ans, vient d'entamer son tout premier engagement politique.
Pour ce faire, il a baissé son taux d'activité à 80% dans une entreprise de la région. Et si les premières semaines "ont été difficiles en raison de la méconnaissance des dossiers", le nouveau maire se dit "stimulé par l'idée de développer" sa commune.
Demeurera-t-il actif durant plus de vingt ans? "Je vise déjà clairement un deuxième mandat pour mener à bien certains projet. C'est un minimum. Rester plus longtemps, oui, ce serait bien. Mais ce sera aux électeurs d'en décider".
Kevin Gertsch, Cécile Tran-Tien et Dimitri Zufferey
769 communes passées au crible
Pour établir ce classement, la RTS a contacté par courriel et par téléphone un total de 769 communes. Ont été prises en compte, toutes les communes des six cantons romands, de même que celles appartenant aux arrondissements administratifs du Jura bernois et de Bienne pour le canton de Berne.