La bagarre aura duré près de deux heures trente. Une matinée durant laquelle les conseillers nationaux ont échangé leurs vues sur le sujet très émotionnel du service public audiovisuel. La base de discussion: le rapport du Conseil fédéral sur le sujet et la question du contrôle exercé sur les médias publics.
Au final, la droite - l'UDC, une majorité du PLR et les Vert'libéraux - a échoué à confier davantage de compétences au Parlement dans l'octroi de la concession à la SSR. Une motion en ce sens, pourtant soutenue par la majorité de la commission des télécommunications du National, a été rejetée de justesse, par 99 voix contre 87 et 4 abstentions.
Une distorsion qui "asphyxie les médias privés"
Reste que les discussions ont été particulièrement nourries. Le camp bourgeois a profité du débat pour dénoncer une SSR jugée "toute-puissante". Cette dernière n'est pas une "vache sacrée", a argumenté le PLR vaudois Frédéric Borloz pour justifier la volonté de brider la SSR, se défendant toutefois d'être anti-service public.
Pour la droite, c'est le principe de subsidiarité qui doit primer: la SSR ne doit pas profiter de la manne de la redevance pour s'occuper de ce que d'autres pourraient faire à sa place de manière satisfaisante. Et l'UDC zurichoise Natalie Rickli de dénoncer une "distorsion de concurrence" qui "asphyxie les médias privés."
"Est-ce la mission de l'Etat de financer des portails internet ou une radio de musique sans présentateur?", s'est interrogé Gregor Rutz (UDC/ZH). Tandis que certains domaines comme la culture doivent rester une prérogative de la SSR, le sport et le divertissement doivent être laissés autant que possible aux privés, a argué pour sa part Jürg Grossen (Vert'lib/BE).
Mise en garde contre un "système à l'italienne"
La gauche et le centre se sont opposés aux velléités de contrôle de la part du Parlement, "une voie dangereuse vers une télévision et une radio d'Etat", selon Edith Graf-Litscher (PS/ZH). Et la socialiste zurichoise de défendre le modèle actuel, qui garantit l'indépendance des médias, "un des piliers de la démocratie".
"Si on veut un nouveau modèle, il faut qu'il soit meilleur que l'actuel", a renchéri le PDC grison Martin Candinas, qui n'épargne pas totalement la SSR, notamment en matière de divertissement. Un avis partagé par Bernhard Guhl (PBD/AG), qui met en garde contre "un système à l'italienne", où les médias privés sont rois.
Les défenseurs du service public ont également souligné l'importance de la SSR en termes de soutien à la culture suisse et de cohésion nationale. Reconnaissant que la situation pouvait être conflictuelle en Suisse alémanique, ils ont souligné la bonne collaboration avec les médias privés en Suisse romande et au Tessin.
"Pas une logique purement marchande"
Au terme de cette passe d'armes, Doris Leuthard s'est exprimée à la tribune, déplorant que les élus aient beaucoup parlé de concurrence et de marché, mais peu de l'importance institutionnelle des médias et de la SSR. "Il ne faut pas voir ce débat (sur le service public) dans une logique purement marchande", a affirmé la conseillère fédérale.
La cheffe du Département de la communication a reconnu que la SSR "pourrait réduire la voilure dans certains domaines". Elle a rappelé l'avis du Conseil fédéral, qui demande dans son rapport à ce que la moitié du produit de la redevance - soit 600 millions de francs - soit consacré à l'information, le coeur du métier du service public.
Enfin, Doris Leuthard a défendu l'indépendance des médias par rapport au politique, "l'une des avancées les plus notables" des démocraties occidentales. Revenir sur cette séparation en Suisse, "berceau des libertés et de la démocratie directe", serait selon elle "dangereux". "Il faut un média public fort, faute de quoi il y aura un appauvrissement démocratique", a-t-elle conclu.
Didier Kottelat
Le rapport du Conseil fédéral en bref
Le rapport du Conseil fédéral sur le service public audiovisuel, présenté en juin 2016, a conclu que la SSR assure un service public de qualité. Le gouvernement précise toutefois que les exigences "doivent être renforcées, avec un budget identique".
Il souhaite également que l'offre numérique de la SSR soit davantage développée pour toucher le public jeune. L'attribution de nouvelles concessions en 2019 offre l'occasion de donner de nouvelles orientations au service public, juge le Conseil fédéral.
Côté financement, les moyens actuels suffisent, estime le gouvernement. La SSR et les chaînes locales sous concession pourront continuer de vivre sur la redevance (1,2 - 1,3 milliard de francs) et les recettes de la publicité (environ 300 millions).
Le gouvernement n'a pas voulu d'un modèle dual réservant la redevance à la SSR et la publicité aux médias privés. Il maintient l'interdiction pour la SSR de faire de la publicité en ligne pour les trois à cinq prochaines années.
De nombreux fronts contre la SSR
Hormis le principe de la concession duale, refusé mardi en plénum, la commission des télécommunications du Conseil national a approuvé plusieurs autres motions visant à serrer la bride aux diffuseurs de service public.
D'abord, des élus demandent que le contenu propre de la SSR soit mis gratuitement à disposition des éditeurs privés. Plusieurs collaborations existent déjà entre la SSR et les éditeurs privés.
Deuxièmement, la commission souhaite réduire le nombre de chaînes thématiques n'assumant pas un mandat de service public à proprement parler. Les radios nationales Swiss Pop, Swiss Classic et Swiss Jazz sont dans le viseur de la majorité, tout comme la chaîne régionale Option Musique en Suisse romande.
La SSR a encore une autre épée de Damoclès au-dessus de la tête, l'initiative populaire "No Billag". Celle-ci interdirait à la Confédération de subventionner toute chaîne de télévision ou de radio et de prélever une redevance de réception.
Le Conseil des Etats a balayé ce texte sans opposition durant la session de printemps. La balle est désormais dans le camp du National. L'UDC aimerait préparer un contre-projet visant à réduire la redevance.