Nous avalons du glyphosate sans le savoir. Cette substance (détail à lire en encadré) est l'ingrédient principal du Roundup, l'herbicide le plus employé au monde, devenu un symbole de la lutte contre les pesticides et contre la multinationale américaine qui le produit, Monsanto.
Bien que cette substance chimique ait été déclarée cancérogène probable pour l'homme par le Centre international de recherche sur le cancer, elle n'est pas interdite en Suisse. Il est utilisé dans les parcs et les jardins, et de façon limitée par l'agriculture.
Après avoir trouvé des traces de glyphosate dans les urines de 37,5% des Suisses, l'émission A bon entendeur (ABE) a poursuivi ses recherches en amont, dans les céréales. Et le résultat des tests est sans appel.
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Des pesticides dans les Cheerios
Les analyses ont révélé la présence de résidus de glyphosate dans six des seize produits testés. Tandis que la limite maximum de glyphosate autorisée dans le blé est de 10'000 parts par milliard (ppb), les plus grandes quantités trouvées sont de 111 ppb, dans les céréales complètes Multi Cheerios de Nestlé (détails en encadré).
On est donc dans l'infiniment petit, et bien en dessous de la norme. Mais ces traces ont été trouvées dans des aliments très courants, comme des spaghetti, des biscottes et des céréales, qui peuvent être avalés quotidiennement.
Pour le toxicologue indépendant Vincent Perret, de la société Toxpro, le fait de trouver ces résidus dans ces aliments-là soulève des questions, notamment sur les effets cumulatifs et chroniques. "Le glyphosate s'élimine très rapidement du corps", explique-t-il. Mais le fait qu'on en trouve dans une grande partie de la population, notamment dans les urines, montre qu'on est alimenté en permanence avec du glyphosate.
Etre exposé toute sa vie à ces produits-là augmente la probabilité de déclencher des problèmes de santé potentiels
Autorisation dans les mains de l'UE
Au niveau politique, le glyphosate donne lieu à une bataille d'experts. La Commission européenne doit prochainement se prononcer sur une ré-autorisation du glyphosate pendant les 10 prochaines années. Une décision généralement suivie par la Suisse.
Pour décider, la Commission européenne s'appuie sur les conclusions des agences d'expertise européennes, l'EFSA pour la sécurité alimentaire et l'ECHA pour les produits chimiques. Ces dernières continuent à estimer que le glyphosate est sans danger et contestent la classification du glyphosate en substance cancérogène probable.
Ces deux agences s'appuient principalement sur les études fournies par les fabricants d'herbicide eux-mêmes et leurs études ne sont pas publiées.
170 produits testés à Berne
De son côté, l'Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) vient également de tester 170 produits dans ses laboratoires à Berne, en réponse au postulat d'une commission fédérale.
"On a trouvé des traces dans à peu près toutes les catégories de denrées alimentaires. On en a trouvé par exemple dans le miel ou dans les vins suisses et étrangers. Mais les doses sont extrêmement faibles", affirme Vincent Dudler, responsable de l'évaluation des risques à l'OSAV. Mais c'est bien dans les aliments à base de céréales que des résidus plus importants ont été trouvés.
Ces résultats, communiqués en exclusivité à ABE pour son émission de mardi, vont faire l'objet d'un rapport à l'Office fédéral de l'agriculture, qui décidera des éventuelles mesures à prendre.
Jusqu’à présent, tous les organismes qui évaluent les risques ont considéré que le glyphosate était une substance qui ne posait aucun problème de santé
Mais selon Vincent Dudler, il n'y a actuellement aucune mesure urgente à prendre, parce que "les traces sont tellement faibles, le risque est tellement négligeable, que des recommandations pour les consommateurs seraient totalement inutiles".
Le glyphosate en pleine tempête
La position de Vincent Dudler est également celle de l'Autorité européenne de sécurité des aliments. Mais selon des informations révélées il y a une semaine par Le Monde, Christopher Portier, un toxicologue indépendant, a eu accès à des études confidentielles sur le glyphosate transmises aux autorités européennes par les industriels. Il a découvert plusieurs cas de cancers dus au glyphosate qui n'avaient pas été pris en compte.
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En réaction, quatre eurodéputés viennent de saisir la justice européenne pour obtenir de la transparence.
Françoise Weilhammer et Sophie Lagrange
Réalisation web: Feriel Mestiri
Qu'est-ce que le glyphosate et comment est-il utilisé?
Le glyphosate a été conçu à l'origine pour servir de détergent dans les installations chimiques. C'est en 1964 qu'une firme américaine a breveté cette molécule chimique, considérée comme un puissant chélateur de métaux. C'est-à-dire capable d'absorber tous les métaux avec lesquels elle entre en contact.
Ses propriétés herbicides ont été découvertes plus tard par un chimiste de Monsanto. Et dès 1975, la multinationale américaine commercialise le glyphosate comme désherbant total. Il interrompt directement le développement de la plante qui meurt rapidement.
En Suisse, le glyphosate est uniquement pulvérisé dans les champs avant de semer les cultures, pour éliminer les mauvaises herbes et les repousses. Il permet la pratique du semis direct, c'est-à-dire d'éviter de labourer et ainsi de prévenir l'érosion des sols.
Six des seize produits testés contiennent du glyphosate
Des traces de glyphosate ont été trouvées dans les six aliments suivants:
Les céréales Müsli Trauben Nuss de la marque Crownfield, vendues chez Lidl et fabriquées en Allemagne: 17 ppb de glyphosate.
Les penne rigate Barilla fabriquées en Italie: 30 ppb
Les spaghetti no 12 de De Cecco fabriqués également en Italie: 32 ppb
Les biscottes Zwieback classic de Roland fabriqués en Suisse: 44 ppb. La société a dit avoir déjà pris des mesures avec ses fournisseurs de farine de blé.
Les spaghetti Ristorante 8 Divella, vendu chez Denner et fabriqués en Italie: 62 ppb
Les céréales complètes Multi Cheerios de Nestlé, fabriquées en Angleterre: 111 ppb