Les citoyens sont appelés à se prononcer sur la réforme de la prévoyance vieillesse le 24 septembre prochain. L'occasion pour Forum d'évoquer les origines de l'AVS, la question de la retraite des femmes, la comparaison avec l'étranger et la perception du système en Suisse dans une série d'entretiens.
"Le système suisse des retraites nous est envié par beaucoup de pays"
Les origines de l'AVS avec Matthieu Leimgruber
"Le but du fonds AVS n'a jamais été de thésauriser"
Si certaines caisses anecdotiques, notamment écclésiastiques, voient déjà le jour au 18e siècle, les premières caisses de retraites apparaissent dans le public et le privé autour de 1900, explique l'historien Matthieu Leimgruber.
Après un long processus - et quelques échecs - les bases du système connu actuellement sont acceptées en 1947 et entrent en vigueur dès l'année suivante avec les cotisations et les rentes.
"L'AVS n'a pas été créée dans un vide, mais au milieu de diverses caisses de pension d'entreprises (...) C'était un grand débat de savoir comment équilibrer le 1e (AVS) et le 2e pilier, qu'on n’appelait d'ailleurs pas comme cela à l'époque", précise-t-il.
Trop de réserves au début
Lors de la mise en place de l'AVS et de son principe de solidarité, "les législateurs de l'époque ont sous-estimé les capacités de répartition des fonds", ajoute-t-il, soulignant l'embarras des autorités de l'époque devant un cumul des fonds inattendu – et temporaire. Tout cela alors que "le but du fonds AVS n'a jamais été d'accumuler, ou de thésauriser."
Quant aux multiples réformes autour des retraites, le professeur à l'Université de Zurich précise que "tous les systèmes sont évolutifs. Bien sûr que certains paramètres ne peuvent pas être prévus. Mais il n’y a jamais eu l'idée que le système était figé."
L'interview de Matthieu Leimgruber dans Forum:
La question de la retraite des femmes avec Ruth Dreifuss
"L'AVS est l’assurance la plus importante pour les femmes"
"Le système mis en vigueur en 1948 était très différent de celui de 1995 avec la 10e révision de l'AVS en ce qui concerne les femmes", explique pour sa part l'ex-conseillère fédérale alors en charge des assurances sociales Ruth Dreifuss.
"Avant la réforme de 1995, les femmes mariées n'avaient pas droit à une rente autonome. Au moment de la retraite, son mari avait droit à une augmentation de 50% de sa rente individuelle, ce qui lui permettait de continuer à entretenir sa femme. C’était une vision très traditionnelle du rôle de l'homme et de la femme (...) Par rapport aux femmes célibataires qui devaient travailler et se constituer leur propre rente, il y avait une injustice", précise la socialiste genevoise.
Une révolution pour les femmes en 1995
"A partir de 1995, on change complètement le système: les hommes et les femmes ont droit, qu'ils soient célibataires ou mariés, à leur propre rente (...) La gauche et les syndicats ont changé le projet du Conseil fédéral et réussi à faire passer une petite révolution, une révolution pour la dignité des femmes."
Le prix à payer à l'époque était de remonter la limite de l'âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans. "C'était un sacrifice que le Parlement a introduit au dernier moment (...) Mais finalement cette augmentation nous a aussi permis de garder un équilibre financier pendant toutes ces années de blocages politiques, où il n'y a plus eu de réforme permettant à l'AVS d'affronter un avenir à moyen et à long terme."
Déplacer un peu le curseur du 2e pilier vers le 1er pilier
A ce titre, la proposition actuelle de relever encore d'un cran l'âge de la retraite des femmes à 65 ans est jugée par l'ancienne conseillère fédérale comme un moyen de consolidation pour un 1er pilier qui en aura certainement besoin au cours des prochaines années si l'on ne fait rien.
"C'est aussi un moyen de financer un système qui déplace un tout petit peu le curseur de la prévoyance professionnelle vers l'AVS", souligne Ruth Dreifuss. Car "l'AVS, c'est l'assurance des petits revenus. Un quart des femmes n'ont que l'AVS et aucune possibilité d'entrer dans la prévoyance professionnelle à cause de leurs bas salaires et du fait qu'elles travaillent à temps partiel. L'AVS est l'assurance la plus importante pour les femmes."
L'interview de Ruth Dreifuss dans Forum:
La comparaison internationale avec Giuliano Bonoli
"L'un des meilleurs systèmes de retraite au niveau européen et même mondial"
Selon le professeur de politique sociale Giuliano Bonoli, Le système des retraites du pays "n'est pas une spécificité suisse." D'ailleurs, les problématiques dans la plupart des pays sont identiques: "Un peu partout en Europe, "lorsque l'on a créé des systèmes de retraite, on a mis un âge de la retraite des femmes plus bas que celui des hommes."
Ainsi, "ce qui s'est passé au cours des 10-15 dernières années, c'est qu'en partie à cause de la législation sur l'égalité homme-femme - mais en partie aussi bien sûr à cause des problèmes de financement des systèmes de retraite - on a harmonisé en relevant l’âge de la retraite des femmes."
"Envié par beaucoup de pays"
Giuliano Bonoli estime que la Suisse dispose de l'un "des meilleurs systèmes de retraite au niveau européen en Europe et même mondial. D'ailleurs c'est un système qui nous est envié par beaucoup de pays."
Le professeur s'en explique: "une des caractéristiques importantes de notre système est le fait d'avoir deux piliers principaux, donc l'AVS et la prévoyance professionnelle, ce qui fait que quelque part l'effort de transfert de ressources est partagé entre deux modèles d’institutions différentes (…) et dans le long terme cette diversification des risques rend notre système plus solide que des systèmes basés uniquement sur le privé, comme il n'en existe pas tellement en Europe, mais au Chili ou en Europe de l'Est, ou bien des systèmes pratiquement entièrement étatiques, comme en Italie ou en Allemagne avant la vague de réformes récentes."
L'interview de Giuliano Bonoli dans Forum:
La représentation médiatique du 3e âge avec Dominique Dirlewanger
"La vieillesse n'est pas qu'une charge, qu'un coût économique"
L'historien Dominique Dirlewanger a soutenu en juin dernier une thèse intitulée "Les couleurs de la vieillesse", dans laquelle il s'est intéressé à la représentation médiatique du 3e âge depuis l'introduction de l'AVS.
Il y soulève ce paradoxe: l’augmentation de l’espérance de vie est perçue comme un progrès mais aussi désormais une charge, car il faut financer les vieux jours. "Il y a une ambivalence, dès l'Entre-deux-guerres, entre une vieillesse heureuse, qui est un gain formidable pour l'Humanité, et la charge que représente le vieillissement de la population", constate Dominique Dirlewanger.
Les choses ont évolué dès les années 1960-1970 et aujourd'hui, insiste l'historien, "il faut rappeler dans les choix de société que la vieillesse n'est pas forcément qu'une charge, qu'un coût économique, et que derrière le financement des retraites il y a aussi un moment de la vie de tout un chacun."
"Voir grandir ses petits-enfants, c'est inédit"
Pour l'historien, il ne faut pas négliger l'importance que ces personnes du 3e âge offrent à l'ensemble de la société. "Le fait que l'on vive aujourd'hui trois voire quatre générations simultanément, c'est aussi un élément fondamental que les progrès des retraites ont permis d'introduire dans notre pays et plus généralement en Europe occidentale: de voir grandir ses enfants, ses petits-enfants, c'est quelque chose de tout à fait inédit."
L'interview de Dominique Dirlewanger dans Forum: