Les bactéries résistantes aux antibiotiques font de plus en plus de victimes. Elles causeraient une centaine de décès par an en Suisse et environ 25'000 en Europe, selon la Commission européenne. La résistance s'amplifie, en raison de l'utilisation intensive des antibiotiques, et pourrait causer 10 millions de décès par an dans le monde en 2050, selon une étude britannique.
Cette tendance alarmante a entraîné le lancement d'une campagne mondiale de sensibilisation au problème de résistance aux antibiotiques, sous l'impulsion de l'OMS. Elle a lieu cette semaine, entre le 13 et le 19 novembre. Pour la première fois, la Suisse a rejoint le mouvement. L'occasion d'y voir plus clair sur l'utilisation, nécessaire ou abusive, de ces médicaments. Le point sur les principales questions entourant l'usage des antibiotiques.
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- Pourquoi les antibiotiques sont-ils nécessaires?
Les antibiotiques sont notre principal moyen de défense dans le traitement des infections bactériennes. Avant leur commercialisation dans les années 1940, les maladies infectieuses bactériennes étaient la principale cause de mortalité dans le monde. En Suisse aussi, un décès sur trois était lié aux infections bactériennes. La tuberculose et la pneumonie étaient respectivement la deuxième et la quatrième cause de mortalité.
La mise sur le marché de la pénicilline a donc sauvé des millions de vies et a permis aux personnes qui y ont accès d'allonger leur espérance de vie de 10 ans.
- Quelle quantité d'antibiotiques utilise-t-on en Suisse ?
La consommation d'antibiotiques dans les hôpitaux suisses est en légère hausse, mais dans la moyenne européenne, selon la stratégie nationale Antibiorésistance (StAR) menée par plusieurs offices fédéraux.
Dans l'ambulatoire, la Suisse consomme peu d'antibiotiques par habitant par rapport aux pays de l'UE, affirme la StaR, qui ne communique toutefois pas de chiffres précis.
Selon Jacques Schrenzel, responsable du Laboratoire de bactériologie des Hôpitaux universitaires de Genève, la prescription d'antibiotiques est une affaire culturelle. "Les médecins alémaniques prescrivent beaucoup moins d'antibiotiques que les Romands ou les Tessinois". Ces différences de prescriptions seraient même "importantes", selon la StaR.
- Quelle quantité d'antibiotiques pour les animaux?
On estime qu'environ 80% des antibiotiques importants pour la médecine humaine sont consommés dans le secteur animal, et, en grande partie, pour favoriser la croissance chez des animaux sains.
Cette dernière pratique est interdite en Suisse depuis 1999 et dans l'Union européenne depuis 2006. Il n'en reste pas moins que la Suisse importe de la viande élevée avec des antibiotiques.
La vente d'antibiotiques pour les animaux a drastiquement diminué en Suisse depuis 2006, passant de 68 tonnes d'antibiotiques à 38 tonnes en 2016, soit une baisse de près de moitié.
Ces chiffres ne concernent toutefois que les quantités d'antibiotiques délivrées, et non les traitements. De telles données seront collectées dès 2019.
Deux solutions sont principalement utilisées comme alternatives aux traitements antibiotiques. La première est l'augmentation de la prévention, afin d'éviter que les animaux ne se blessent ou tombent malades, à travers des mesures d'hygiène ou d'amélioration des conditions d'élevage, notamment.
La seconde est un recours aux vaccins, mais cette solution serait moins bien acceptée par les agriculteurs, selon l'Office fédéral de l'agriculture. Certains agriculteurs font en outre appel à l'homéopathie. Ce phénomène, bien que très marginal, serait en pleine croissance.
- Pourquoi lutter contre l'antibiorésistance?
Il n'existe aujourd'hui qu'une soixantaine de cibles pour les antibiotiques. "Chaque fois qu'une bactérie devient résistante pour une cible donnée, on perd toute la panoplie des antibiotiques qui agissent sur cette cible", explique Gilbert Greub, professeur au CHUV, interrogé par RTS Découverte.
De plus, très peu de nouveaux antibiotiques sont en cours de développement à l'heure actuelle. Les activités de recherche sont particulièrement longues et coûteuses, et la résistance se développe souvent rapidement après la commercialisation de nouveaux médicaments.
L'antibiorésistance, très importante en milieu hospitalier, se traduit également par une complication du séjour des patients, avec des prolongations de la durée, ou des recours aux soins intensifs. Le coût annuel en Europe est estimé à 1,5 milliard d'euros, sans compter les implications sur la santé morale et la famille.
Selon l'OMS, si des mesures fortes ne sont pas entreprises face à l'aggravation du phénomène de résistance, "la société pourrait retrouver les conditions qui prévalaient avant les antibiotiques, quand une infection pulmonaire simple pouvait tuer un enfant, ou quand les médecins étaient impuissants devant les cas de méningite".
Feriel Mestiri
Les antibiotiques, qu'est-ce que c'est?
Les antibiotiques proviennent de molécules naturelles, fabriquées par des micro-organismes comme le champignon ou encore d'autres bactéries. Aujourd'hui, de nombreuses molécules sur le marché sont des molécules de synthèse, dérivées ou non d'antibiotiques naturels.
Ces médicaments agissent sur les bactéries, soit en les détruisant, soit en empêchant leur croissance.
Aussi efficaces qu'ils soient contre les infections bactériennes, les antibiotiques sont impuissants face aux maladies causées par des virus, comme la grippe ou le sida. Pour ces derniers, il faut des antiviraux, ou des vaccins.
>> Voir un état des lieux de RTS Découverte:
Comment les bactéries développent-elles leurs résistances?
La résistance aux antibiotiques est un mécanisme naturel des bactéries, qui existait déjà bien avant la découverte de la pénicilline. Lorsque les bactéries se multiplient, soit plusieurs fois par heure, elles commettent des "erreurs" de copie, appelées mutations, dont certaines peuvent les aider à tolérer la présence d'antibiotiques.
A chaque fois que des antibiotiques sont utilisés, des bactéries résistantes survivent, jusqu'à devenir prépondérantes. Elles peuvent ensuite se propager d'un individu à l'autre et compliquer le traitement des infections, l'allonger, voire le rendre impossible.
En utilisant de grandes quantités d'antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire depuis le milieu des années 1940, l'être humain a fortement amplifié ce phénomène naturel. D'autant que les antibiotiques sont parfois prescrits et administrés systématiquement, de manière inappropriée, chez l'humain comme sur l'animal.
Aussi, il est important de ne pas interrompre un traitement aux antibiotiques avant la fin de la prescription, même en cas de disparition des symptômes. Si celui-ci est interrompu trop tôt, les bactéries peuvent se redévelopper, et devenir résistantes à l'antibiotique, explique dans le 12h45 Virginie Masserey, cheffe du contrôle de l'infection à l'Office fédéral de la santé publique.
Les bactéries résistent aux antibiotiques de plusieurs manières. Le phénomène le plus inquiétant, en pleine expansion au niveau mondial, est l'accumulation de plusieurs formes de résistances chez certaines bactéries pathogènes. Ces bactéries multi-résistantes peuvent se développer normalement, même en présence de plusieurs classes d'antibiotiques. Certaines d'entre elles sont même capables de résister à tous les antibiotiques connus.