Il y a exactement 25 ans mercredi, les Suisses rejetaient l'adhésion à l'Espace économique européen (EEE). Au terme d'une campagne très émotionnelle et avec près de 80% de participation, ce scrutin du 6 décembre 1992 avait divisé la Suisse comme jamais entre Romands et Alémaniques.
Au final, la grande majorité des cantons et 50,3% du peuple a rejeté l'objet, creusant plusieurs profonds fossés: les grandes villes ont dit oui, les campagnes non. Les couches de la population à bas revenus ont mis en minorité l'élite bien formée. Mais, surtout, la Suisse romande a voté oui d'une seule voix et nettement, alors que la Suisse alémanique, à l'exception des deux Bâles, a dit non en bloc.
La votation sur l'EEE a été l'un des événements les plus importants, sinon le plus important des 50 dernières années, estime Georg Lutz, politologue à l'Université de Lausanne.
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Ce que signifiait l'EEE pour la Suisse
"C'est un dimanche noir", la réaction du ministre de l'Economie d'alors, le Vaudois Jean-Pascal Delamuraz, un europhile convaincu, avait encore davantage divisé les Helvètes. Cette date avait en outre modifié le paysage politique suisse, avec la montée en puissance de l'UDC de Christoph Blocher et avec le début de la voie bilatérale entamée par la Suisse avec l'Europe.
L'idée de l'Espace économique européen était la création d'un marché commun entre la Communauté européenne (CE) et l'Association européenne de libre-échange (AELE), dont fait toujours partie la Suisse. L'accord devait assurer les "quatre libertés": la libre-circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. L'EEE aurait conféré moins de droits à la Suisse qu'une adhésion à la CE, mais elle lui imposait aussi moins de devoirs.
L'agriculture et la fiscalité étaient exclues de l'accord, les répercussions sur les institutions helvétiques auraient été faibles. La Suisse n'aurait pas été contrainte d'adopter automatiquement de nouvelles lois promulguées par la CE. Des solutions auraient dû être trouvées au sein du comité de l'EEE par voie de négociations. En cas de litige, un tribunal arbitral aurait été compétent.
Une campagne agressive
Tout autant que le résultat, la dureté de la campagne a marqué les esprits. La force motrice derrière cette campagne émotionelle était le président de l'UDC zurichoise d'alors, Christoph Blocher. Avec son parti et soutenu par l'Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), il s'est lancé contre les rangs serrés de l'"establishment" politique et économique. Les adversaires de l'adhésion à l'EEE conjuguaient la perte de souveraineté et le spectre des "juges étrangers". Ils mettaient en garde contre des coûts élevés de l'accord, une baisse des salaires ainsi que des carences institutionnelles.
Avec sa campagne agressive, Christoph Blocher a marqué le style politique qui allait profiler avec succès l'UDC. Le parti, un poids plume en 1992 avec 11% d'électeurs, a su tirer profit d'une profonde méfiance de l'électorat conservateur face aux appétits de l'élite urbaine et des politiciens.
Le non à l'EEE a marqué le début de la voie bilatérale poursuivie par la Suisse dans ses relations avec l'Union européenne, une voie adoubée par le peuple lors des votations. En 2000, plus des deux tiers de votants soutiennent le premier paquet d'accords qui prévoit la libre circulation des personnes. En 2005, les Suisses disent oui par 54,6% aux accords Schengen/Dublin et par 56% à l'extension de la libre circulation aux dix nouveaux pays membres de l'Union européenne.
L'adhésion n'est plus à l'ordre du jour
Aujourd'hui à la différence de 1992, tout le monde - PS compris - s'accorde sur le fait qu'une adhésion à l'UE est hors de question, analyse Georg Lutz. Et pourtant, les relations bilatérales montrent des signes d'essoufflement puisque les accords sectoriels (banques, électricité) sont bloqués faute de cadre institutionnel qui chapeaute le tout.
Les discussions sur ce dossier pourraient durer un certain temps, selon le chercheur. L'Union européenne, en pleine négociation sur le Brexit, n'a aucun intérêt à presser le pas. Et cette question passe de toute évidence avant le dossier helvétique.
Pour Georg Lutz, l'acceptation de l'initiative "Contre l'immigration de masse" le 9 février 2014 n'est qu'un accident de parcours. Les Suisses ont voulu limiter l'immigration en croyant que cela n'aurait pas d'impact sur la libre circulation des personnes.
Suite à ce vote, le Conseil fédéral a dû pour la première fois trouver une solution pragmatique pour ne pas résilier les accords bilatéraux I. La mise en oeuvre par le biais d'une "préférence indigène" contourne sans le dire la contradiction entre la Constitution et la libre circulation avec l'UE.
boi avec ats