RTSinfo: Selon le premier sondage gfs.bern, l'initiative No Billag serait rejetée par 60% des Suisses. Pensez-vous pouvoir l'emporter?
Nicolas Jutzet: J'en suis même convaincu! Il reste encore presque un mois de campagne. Un sondage, c'est une image à un instant T, ce n'est pas définitif. Et puis nos 38%, on est sûr qu'ils iront voter. Ils ont des motivations profondes. Tandis que les 60% du camp du non vont peut-être se dire que la partie est gagnée et qu'ils n'ont pas besoin de se rendre aux urnes.
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Au-delà du slogan "rendre aux citoyens leur liberté", pourquoi faut-il voter oui à No Billag?
C'est une vision philosophique du citoyen. On croit qu'il est assez grand pour choisir les médias qu'il a envie de soutenir. Le citoyen est capable de voter, de choisir sa nourriture, de choisir ses amis, il est également à même de déterminer quel média correspond le mieux à ses valeurs, sans l'intervention du politique.
Vous estimez que la SSR pourrait survivre à la fin de la redevance grâce à un système d'abonnements. Suffisant pour produire de l'information de qualité?
Les Suisses paient déjà un abonnement, simplement, aujourd'hui, il est obligatoire. Dans le futur, il sera volontaire. En Suisse romande, 94% de la population consomment chaque semaine des contenus de la SSR. Tous ne seront peut-être pas d'accord de payer 450 francs ou 365 francs, mais d'après une étude que nous avons faite, 60% de la population est d'accord de payer plus de 200 francs par an. La SSR est beaucoup trop grande actuellement. Elle doit se remettre en question et cesser de se reposer sur un oreiller de paresse.
Mais produire de l'information coûte cher. Sans être soumis à la lourdeur d'une structure télévisuelle, un abonnement à un quotidien, c'est plus de 200 francs par an en moyenne pour le numérique et 500 pour le papier...
On est conscient que produire une information de qualité coûte de l'argent. Avec notre slogan de campagne – chacun paie pour ce qu'il qu'on consomme – il y a la notion de paiement. Quant à l'infrastructure, elle appartient déjà à la SSR. Elle n'aura pas besoin de la racheter. La SSR a toutes les prédispositions pour survivre dans un marché libre.
Avec le modèle actuel, un riche paie autant qu'un étudiant
Pourtant, les médias qui ne disposent pas de financement public sont en difficulté. Les plans de licenciements se succèdent, le dernier en date à l'ats. Un média ne devrait-il pas être protégé des logiques du marché et des objectifs de rentabilité?
En France, Mediapart ne vit que sur des abonnements. En Suisse, c'est vrai que la presse vit une période compliquée. Les revenus de la publicité sont stagnants, voire en baisse. Mais des médias survivent en Suisse. On oublie un peu de le dire car certains disparaissent, mais on a toujours un paysage médiatique extrêmement diversifié. Il y a une migration vers un modèle en ligne. Avec notre initiative, les règles seront les mêmes pour tous.
Est-ce que, dans votre monde idéal, l'information, mais également des domaines comme la santé et l'éducation, seraient privatisés?
Chez les jeunes PLR, notre slogan, c'est "plus de liberté, moins d'Etat". Certaines universités pourraient se financer de manière beaucoup plus large avec des fonds privés. C'est déjà en partie le cas de l'EPFL ou de l'Université de Saint-Gall. Concernant l'éducation, la santé, les infrastructures routières, tout ceci est financé par l'impôt, pas par une redevance. Ce n'est pas la même logique.
La SSR financée par l'impôt, vous êtes pour?
Ce serait beaucoup plus juste car ponctionné en fonction du revenu. Le Parlement a eu plusieurs fois la possibilité de changer cela, il ne l'a jamais fait. Mais soyons clair: pour nous, le monde audiovisuel et la presse en général, ce n'est pas une prérogative de l'Etat. Il faut encourager chaque fois que l'Etat peut se retirer et le marché jouer son rôle.
Et ensuite chacun pour soi et que le plus fort (riche) gagne?
Non, ça c'est le modèle actuel: un riche paie autant qu'un étudiant. On n'est pas contre le fait d'avoir une solidarité dans la population pour s'occuper des gens qui sont démunis, ni contre le principe d'une assurance maladie ou d'une assurance chômage. On a besoin d'avoir un tissu social qui est fort. Cela profite à tout le monde. Nos adversaires nous taxent souvent d'individualisme, mais est-ce que ce n'est pas plus individualiste d'imposer sa vision médiatique à toute la population et la faire payer pour?
Avec la redevance, la SSR a mis sur pied un système de solidarité entre les régions linguistiques. Comment le remplacer?
Notre hypothèse de base, c'est que le SSR ne disparaîtra pas en cas de oui. Afin d'être en adéquation avec ses valeurs, elle devrait alors continuer à appliquer ce principe de solidarité. Cela dit, l'obligation de faire une péréquation n'est pas garantie dans la Constitution, c'est un choix de la SSR. Ce sera un vrai test de voir si les Suisses sont vraiment solidaires. Ils pourront prouver qu'ils tiennent aux différentes régions linguistiques. La solidarité ne peut pas être imposée, sinon, c'est du paternalisme.
Les Romanches auront-ils toujours la RTR?
Actuellement, ce qu'ont les Romanches, c'est dix minutes de télévision sur SRF et RSI (90 minutes par semaine, ainsi qu'une radio et un site internet, ndlr). Ce n'est pas une chaîne de télévision à proprement parler. Et puis la Constitution prévoit dans son article 70 qui parlent des langues que la Confédération peut soutenir les Grisons dans la survie du romanche. Donc si c'est important pour les Romanche et dans l'hypothèse où le marché ne pourrait pas fournir l'offre, il existe des garanties constitutionnelles qui permettraient d'intervenir. Pareil pour la culture.
La culture peut faire avec moins
Avec la fin de la redevance, c'est 281 millions de francs par an en moins pour la culture et la formation. Peut-on faire sans?
Cet argent ne disparaît pas, il va dans la poche du citoyen. On n'a pas créé une redevance pour faire de la SSR un ministère de la Culture bis. Avec le système actuel qui voit la SSR distribuer de l'argent, elle dispose d'un public captif parmi les milieux culturels. Comme elle ne disparaîtrait pas après le 4 mars, la SSR pourra continuer de le faire, mais avec l'argent donné librement par les citoyens. La culture est très appréciée dans l'offre de la SSR. Des gens continueront à payer pour. Et la culture peut faire avec moins! Elle est déjà extrêmement subventionnée. Ce n'est pas un parent pauvre en Suisse, c'est un lobby très fort qui dispose de relais absolument affolants au Parlement.
L'initiative serait née d'une discussion de bar entre jeunes qui voulaient "renverser le système". N'avez-vous pas été dépassé par le texte?
L'initiative ne va pas trop loin. C'est un projet de société. Il aurait été intéressant que nos adversaires présentent également le leur et pas seulement le statu quo. Dans cette campagne, la SSR aurait dû faire des propositions pour le futur et pas rester dans le flou.
Le PLR a-t-il lâché sa jeunesse dans cette campagne?
On regrette qu'un parti comme le PLR qui parle de plus de liberté, moins d'Etat, soit quasiment à l'unisson derrière un système qui taxe les entreprises, les individus et qui fausse le marché. Cela ne correspond pas à l'ADN idéologique du PLR. A l'inverse, le Parti socialiste soutient parfois des initiatives qui viennent de sa jeunesse, même si elles vont peut-être plus loin que ses propres idées. Au PLR, on a l'impression qu'on aime bien les jeunes tant qu'ils sont lisses, tant qu'ils ne dérangent pas, tant qu'ils sont bien bourgeois. Quand un parti se coupe sans cesse de sa jeunesse, il risque de se priver d'avenir.
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Propos recueillis par Théo Allegrezza