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Dix-neuf minutes par heure, le temps de parole des femmes au Parlement

Faire entendre sa voix en politique, c'est exister. Les femmes ont-elles vraiment la parole sous la Coupole? Une analyse de la RTS dévoile dimanche qui sont les grands bavards et les muets du Conseil national.

Parfois animés, souvent dissipés, les débats sous la Coupole rythment les sessions parlementaires. Qui monopolise la tribune? Qui l'évite? Pour le savoir, la RTS a analysé 450 heures de discussions au Conseil national depuis le début de la législature (voir la méthodologie ci-dessous).

Premier constat: sur une heure de débat, les femmes ont en moyenne la parole durant 19 minutes, les hommes 41 minutes. Cette différence s'explique en grande partie par la proportion de femmes au Conseil national. Celles-ci n'occupent que 33% des sièges.

Si on compare le temps de parole par parlementaire, l'écart entre hommes et femmes s'avère faible. Chaque élu s'est exprimé en moyenne 138 minutes depuis le début de la législature, contre 132 minutes par élue.

Principaux orateurs, les hommes du groupe UDC comptent environ 11 minutes de temps de parole par heure, devant les hommes PLR avec 8 minutes et demie. Les femmes socialistes suivent avec près de 8 minutes. A l'opposé, celles des groupes bourgeois ferment la marche.

>> Une heure de débat au Conseil national : Une heure de temps de parole au National. [RTS]
Une heure de temps de parole au National. [RTS]

En revanche, d'un parlementaire à l'autre les différences sont conséquentes. D'un côté, il y a les grands bavards. Certains ont passé jusqu'à 8 heures à la tribune depuis le début de la législature. Première femme dans le top 10 de notre classement, Lisa Mazzone (Verts/GE) a fait entendre sa voix pendant 6 heures et demie à ses collègues.

La Genevoise est aussi la seule Romande parmi les 10 plus grands parleurs du National. Un peu plus loin, avec un temps de parole allant de 4h50 à 4h20, figurent Olivier Feller (PLR/VD), Carlo Sommaruga (PS/GE), Claude Béglé (PDC/VD) et Céline Amaudruz (GE/UDC).

"Les jolis mots sont un show théâtral pour les médias"

De l'autre côté, il y a les discrets. Et même les muets. C'est le cas de Barbara Keller-Inhelder (UDC/SG), qui n'a jamais mis les pieds à la tribune depuis son arrivée au Parlement en novembre 2015. Son absence de prise de parole est volontaire et assumée.

La St-Galloise s'explique: "C'est une décision consciente parce que cela n'apporte rien de parler au Conseil national, les décisions sont prises depuis longtemps dans les commissions et les réunions des groupes. Chaque jour à 8 heures, on reçoit un programme avec ce qu'on vote et pourquoi on vote ainsi. Les jolis mots sont en fait un show théâtral pour les médias."

La conseillère nationale se targue d'être toujours présente, contrairement à beaucoup de ses collègues. Elle affirme être active en coulisses, privilégier les discussions bilatérales et se dit prête à rempiler pour un nouveau mandat en 2019.

Les hommes ont tendance à envahir l'espace de leurs mots et de leur verbiage

Lisa Mazzone (Verts/GE)

Ce silence surprend le responsable de la rédaction locale du Zürichsee-Zeitung, Conradin Knabenhans, qui qualifie la St-Galloise de très disponible pour discuter des questions politiques, y compris avec la population à Rapperswil.

"On doit pouvoir mesurer les dires des représentants du peuple", explique le journaliste. "C'est pourquoi je trouve qu'il est important qu'ils soient impliqués dans les débats, qu'ils agissent et ne discutent pas uniquement en coulisses."

S'imposer en commission

A l'opposé de Barbara Keller-Inhelder, Lisa Mazzone affiche une toute autre vision des débats sous la Coupole: "Je suis surprise que l'on puisse siéger au Conseil national et ne jamais avoir pris la parole à la tribune parce que cela veut dire que l'on n'a pas eu l'occasion de défendre ses idées. Et on a quand même été élu pour ça."

La Genevoise explique sa forte présence à la tribune par la petite taille de son groupe, les Verts ne sont que 12 au National et donc fréquemment envoyés défendre leurs positions. De plus, elle siège dans des commissions stratégiques, comme celle des affaires juridiques. Encore faut-il réussir à s'y imposer.

"Les hommes ont tendance à envahir l'espace de leurs mots et de leur verbiage de manière générale", poursuit Lisa Mazzone. "Je le constate en commission où j'ai eu encore dernièrement une remarque de l'un de mes collègues qui me disait que je parlais trop en commission. A croire que ça le dérange que je prenne la parole alors que j'ai évidemment des collègues qui prennent beaucoup plus la parole que moi!"

Une UDC pas moins bavarde qu'un UDC

Dans la plupart des groupes, le temps de parole est proportionnel à leur nombre, c'est-à-dire qu'une femme passe presque autant de temps à la tribune qu'un homme d'une même formation. Par exemple, les femmes socialistes se sont exprimées en moyenne 148 minutes en assemblée, contre 159 minutes pour les hommes.

A l'UDC, il n'y a qu'une femme sur cinq élus. Mais la différence du temps de parole entre hommes et femmes n'est pas flagrante. Les représentantes de l'UDC parlent en moyenne 79 minutes à la tribune, contre 91 minutes pour les hommes.

D'autres groupes affichent un déséquilibre marqué, notamment les vert'libéraux et le PLR. Pour ces derniers, les femmes ont parlé en moyenne 95 minutes, contre 147 minutes pour les hommes.

Le groupe PLR a toutefois confié des postes clés aux femmes, comme la présidence du Conseil national à Christa Markwalder, dont les prises de parole à ce poste n'ont pas été comptabilisées dans notre analyse (lire la méthodologie ci-dessous).

La question du genre n'est pas une priorité au PLR. "Je regrette d'être la seule femme romande (de mon parti) mais clairement les enjeux au sein de mon groupe sont plus en fonction des langues, s'assurer que les Romands aient des postes clés, ce qui est le cas en commission", indique la Vaudoise Isabelle Moret.

Pour la spécialiste en étude de genre Eléonore Lépinard, la défense du français à Berne ne doit pas être un frein à l'égalité du temps de parole entre hommes et femmes. La professeure à l'Université de Lausanne souligne l'exemple de la Belgique, également concernée par des enjeux linguistiques et qui a atteint la parité avec des quotas, "comme quoi l'un n'empêche pas l'autre".

Valentin Tombez, Cécile Tran-Tien et Dimitri Zufferey

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Comment nous avons procédé

Comme il n'existe aucun décompte officiel des temps de parole au Parlement, l'analyse a été réalisée à partir des procès-verbaux de chaque intervention au Conseil national. Afin d'obtenir un examen des débats et non des aspects protocolaires, les nombreuses prises de parole des présidents et vice-présidents de la Chambre n'ont pas été comptabilisées. Les départs et arrivées de parlementaires en cours de législature ont été pris en compte.

Les procès-verbaux nous ont permis d'additionner toutes les interventions par parlementaire, que nous avons converties en nombre de caractères. Ensuite, nous avons chronométré le débit de parole de chaque parlementaire sur une intervention de quelques minutes, la plus neutre possible. Le temps de parole a alors été calculé avec le débit de parole et la somme des interventions.

Cette méthode, conseillée par des linguistes, a été privilégiée par rapport aux durées des vidéos des interventions disponibles sur le site du Parlement, car le découpage de celles-ci est souvent très approximatif.