Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis estime que l'Agence onusienne pour les réfugiés palestiniens est un obstacle à la paix au Proche-Orient.
Cet organisme, l'UNRWA, dirigé par le Suisse Pierre Krähenbühl, "est devenu aujourd'hui une partie du problème", a indiqué le conseiller fédéral dans les colonnes de l'Aargauer Zeitung jeudi. Il a ajouté avoir de la "compréhension" pour les Etats-Unis qui ont annoncé qu'ils mettraient fin à leur participation, sous l'impulsion de Donald Trump.
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Des propos délicats dans le contexte actuel
Face à l'escalade de la violence dans la région, "Ignazio Cassis n'a pas fait preuve d'une grande habileté", analyse un diplomate suisse. Déjà accusé de ne pas avoir été assez ferme vis-à-vis d'Israël, Ignazio Cassis critique aujourd'hui l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens qui "fournit la munition" au lieu d'atténuer les tensions.
Pour le Tessinois, ce programme onusien fait croire aux millions de Palestiniens qui ont fui les balles qu'ils pourront un jour rentrer chez eux. Selon lui, cela alimente le conflit. Ignazio Cassis parle d'une "logique perverse". Les mots sont forts. Le libéral-radical suggère donc qu'une réflexion doit être menée sur les missions et les moyens alloués à cette agence.
Un franc-parler qui détonne
Un tel franc-parler est inhabituel pour un chef de la diplomatie suisse et son ton n'est pas du goût de tous. "Très problématique", pour le socialiste genevois Carlo Sommaruga, qui estime qu'avec ses propos, Ignazio Cassis remet en question le droit au retour et à l'indemnisation des réfugiés palestiniens, des droits qui sont pourtant reconnus par les Nations unies. Le président du PS Christian Levrat qualifie lui sur Twitter les propos d'"hallucinants", ajoutant qu'ils sont "inadmissibles s'ils sont volontaires".
Pour Filippo Lombardi, qui préside la Commission des affaires étrangères du Conseil des Etats, "la discussion avec le Conseil fédéral sera vive lors de la prochaine séance sur ce thème. Je suis moi-même surpris et ça détonne beaucoup avec les efforts que la diplomatie avait développé depuis plusieurs années...".
Ignazio Cassis ne convainc pas non plus dans son propre parti. Le PLR vaudois Laurent Wehrli peine à cacher son désarroi. Seule l'UDC est satisfaite. "Cela pourrait être la déclaration d'un des nôtres", analyse, amusé, le démocrate du centre saint-gallois Roland Rino Büchel. L'ancien président de la Commission de politique étrangère du National salue la prise de position du Tessinois.
Sensibilités heurtées au DFAE
Au sein du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), les propos d'Ignazio Cassis sont jugés "maladroits", "peu appropriés" ou encore "téméraires". Le conseiller fédéral a semble-t-il heurté la sensibilité de certains de ses diplomates, habitués à un ton plus mesuré. "Cela décrédibilise des décennies de travail sur le terrain", soupire l'un d'eux.
Dans l'entourage du Tessinois, on conçoit que cette interview "sort du discours convenu". "C'est du Calmy-Rey de droite ou du Couchepin au DFAE", analyse un responsable. Une stratégie volontairement provocatrice, mais parfaitement assumée. En gros, Ignazio Cassis voulait secouer le cocotier, et c'est plutôt réussi.
L'aide au développement à la moulinette du "reset"
Cela fait partie de la méthode Cassis, sans doute le privilège d'un non-diplomate qui reprend les Affaires étrangères. Exactement comme en politique européenne. A croire que le Tessinois veut marquer tous ses dossiers de son empreinte, y compris la délicate question du conflit israélo-palestinien.
L'aide au développement n'échappe pas non plus à la moulinette du "reset". Ignazio Cassis explique par exemple toujours dans cette interview à l'Argauer Zeitung que lorsque les Suisses "installent des pompes à eau et fournissent de la nourriture", ils incitent les bénéficiaires de l'aide à "rester tranquilles à la maison" en attendant que les problèmes soient résolus. Des propos inimaginables du temps de Didier Burkhalter.
Ignazio Cassis détonne, choque, dérape diront certains. La question, c'est de savoir pour combien de temps encore, et s'il passera de la parole aux actes.
Pietro Bugnon/ebz