Interrogé sur l'avenir des négociations avec Bruxelles, le conseiller fédéral PLR a estimé que cette question était devenue "presque un tabou, une religion, des deux côtés." Or, estime Ignazio Cassis, "nous devons être prêts - autant la Suisse que l'Union européenne - à trouver des solutions créatives pour atteindre notre objectif, la protection du marché du travail."
Le Conseil fédéral avait pourtant dit exactement le contraire en mars dernier et le ministre tessinois a réussi à semer le trouble mercredi dans les Pas perdus du Palais fédéral.
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Ce nouveau pavé dans la mare intervient quelques semaines après les propos controversés du chef des Affaires étrangères sur l'agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, qui lui avaient valu une remise à l'ordre du Conseil fédéral.
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Aujourd'hui, il sème à nouveau le trouble sur ce qui paraissait un point non-négociable du Conseil fédéral: les mesures d'accompagnement, des règles qui encadrent et limitent l'application de la libre-circulation pour protéger en partie les travailleurs suisses de la sous-enchère salariale et des conditions de travail abusives. Ignazio Cassis, lui, imagine d'autres voies, plus modernes, même s'il maintient le même objectif: protéger le marché du travail suisse.
La gauche estime que la collégialité est rompue
Cette position suscite de vives réactions à gauche. Le camp rose-vert s'étonne, sur la forme, qu'un ministre affaiblisse sa position de négociation dans la presse en indiquant les points sur lesquels il est prêt à lâcher du lest. Sur le fond, le PS et les Verts estiment qu'Ignazio Cassis a rompu la collégialité. La gauche, de manière générale, affirme qu'elle ne soutiendra aucun accord avec l'Union européenne qui saperait les mesures d'accompagnement.
"Ce qu'il a fait est au mieux maladroit, au pire déloyal. C'est une rupture de collégialité crasse. (...) On est en train d'assister à quelque chose d'assez grave", a réagi le président du Parti socialiste suisse Christian Levrat dans Forum.
"Les mesures d'accompagnement ne sont pas négociables"
Le conseiller aux Etats rappelle que le Conseil fédéral a défini un mandat de négociation en déterminant ce qui était à discuter et ce qui ne l'était pas. "Les mesures d'accompagnement ne sont pas négociables, elles doivent être préservées intégralement", souligne-t-il. "C'est le mandat qu'a donné le Conseil fédéral à Ignazio Cassis, mandat confirmé par les cantons et les commissions de politique extérieure et M. Cassis ne peut pas modifier ce mandat de manière unilatérale."
Pour le Fribourgeois, remettre en cause ces mesures d'accompagnement, c'est remettre en cause la voie bilatérale. Il se fait du reste clairement menaçant: "Si les lignes rouges ne sont pas respectées, si les mesures d'accompagnement sont affaiblies, je ne soutiendrai pas la poursuite de cette voie bilatérale (...) Ignazio Cassis, avec ses déclarations, soit maladroites soit cyniques, est en train de creuser la tombe des accords bilatéraux. A lui maintenant de faire la preuve qu'il a parlé trop vite."
Les libéraux-radicaux derrière leur ministre
A droite en revanche, la déclaration d'Ignazio Cassis passe beaucoup mieux. Pour son parti, "négocier c'est faire des concessions". Les libéraux-radicaux sont d'autant plus ouverts sur ce sujet qu'ils ont toujours accepté à contre-coeur ces mesures d'accompagnement.
Les parlementaires UDC, de leur côté, s'amusent de voir l'alliance pro-bilatérale entre le PS et le PLR vaciller. "La gauche doit désormais choisir entre être l'otage de Bruxelles ou du PLR", a glissé le Genevois Yves Nidegger à la RTS.
L'entourage d'Ignazio Cassis, lui, minimise la portée de la déclaration de son ministre. "Nous ne voulons pas toucher à la protection du marché du travail suisse ou à ses spécificités", assure un responsable qui souligne que les lignes rouges du Conseil fédéral sont toujours valables sur le fond.
Thibaut Schaller/oang
Des discussions bien avancées avec l'UE
Les déclarations d'Ignazio Cassis révèlent que les choses sont en train de bouger dans les négociations sur l'accord institutionnel. Jeudi dernier, le secrétaire d'Etat Roberto Balzaretti était à Bruxelles. Selon les informations de la SSR, les discussions ont bien avancé: si le chef du DFAE évoque un geste sur les mesures d'accompagnement, c'est qu'en contrepartie les Européens réduiraient leurs demandes sur la tout aussi épineuse question des aides d'Etat, une ligne rouge pour les cantons.
Sur les mesures d'accompagnement, l'idée des négociateurs serait d'abandonner progressivement la fameuse règle des huit jours (soit l'obligation pour les prestataires de service européens d'annoncer leurs employés aux autorités suisses huit jours avant le début de l'activité) pour reprendre au terme de quelques années le contenu d'une toute nouvelle loi européenne. Elle prévoit à l'échelle de l'UE des mesures plus efficaces pour lutter contre le dumping salarial.
Une autre session de négociation est prévue avant la fin du mois de juin, le Conseil fédéral devrait faire le point ensuite. A Bruxelles, l'objectif reste de conclure la négociation avant l'automne.
(io)