Longtemps, le suicide dans le monde paysan a été un sujet tabou. Mais l'annonce de la mort de huit agriculteurs vaudois pour la seule année 2016 ainsi que plusieurs autres drames ont brisé le silence. Depuis lors, les actions se multiplient pour parler de cette question.
Pour la première fois, une étude quantifie le phénomène au niveau national. L'Institut de médecine sociale et préventive de l'Université de Berne a présenté les premiers éléments de cette recherche jeudi dernier, lors d'une conférence à Neuchâtel.
Evolution négative
En 2014, dernière année prise en compte par les chercheurs, les paysans avaient ainsi un risque de suicide de 37% plus élevé que la moyenne. En chiffres absolus, de 1991 à 2014, 447 des 90'000 agriculteurs concernés par l'étude ont mis fin à leurs jours.
Depuis 1991, le taux de suicide des Suisses a baissé de manière significative, tout comme celui des paysans. Mais depuis 2003, les chiffres pour ces derniers ont cessé de diminuer, repartant même légèrement à la hausse, contrairement au reste de la population, relève l'étude.
"Le taux de suicide est plus élevé chez les paysans que dans le reste de la population. Mais c'est surtout ces dix dernières années que la différence s'est creusée", s'étonne Nicole Steck, responsable de l'étude à l'Université de Berne, interrogée par la RTS.
La "pression financière" en cause
Du côté de l'Union suisse des paysans, on se dit choqué par le nombre de suicides qui endeuillent la profession. "On ne peut pas rester indifférents face à ces chiffres", affirme son directeur, le PLR fribourgeois Jacques Bourgeois.
Et le directeur de l'USP de plaider pour que les produits agricoles soient vendus à des prix équitables couvrant les coûts de production et permettant aux paysans de faire vivre leur famille et d'investir dans l'outil de production.
Outre la solitude qui frappe souvent les paysans et la charge administrative qui pèse de plus en plus sur les exploitations, il estime que la "pression financière" est un des facteurs expliquant le phénomène. Il évoque notamment la "spirale négative" de l'endettement.
Des contrôles qui s'accumulent et la charge du travail
Dans le 19h30, le paysan du Jura bernois Jean-Pierre Rochat, auteur du livre "Petite brume", évoque quant à lui les "contrôles qui s'accumulent" et la charge du travail qui amènent des conflits dans les couples qui résultent souvent en la fin de l'exploitation.
Pour l'écrivain, qui a pensé au suicide, les paysans sont également beaucoup plus distancés de la nature et "isolés" d'un point de vue social.
Plan d'action national
Pour lutter contre le suicide dans le monde paysan, le canton de Vaud a lancé il y a trois ans la mission Sentinelle. L'objectif? Former des lanceurs d'alerte à la détection précoce des signaux de détresse chez les agriculteurs.
Pour le pasteur Pierre-André Schütz, qui a formé les sentinelles vaudoises, il s'agit de "casser le cercle de solitude qui se crée autour du paysan". Aux agriculteurs en difficulté, il conseille d'"oser en parler" et de "ne pas rester seuls".
Le canton de Neuchâtel s'est inspiré de ce projet et a récemment lui aussi formé des dizaines de sentinelles destinées à jouer le rôle de relais entre les agriculteurs et les professionnels de la santé. Un plan d'action national sur cette base est aussi à l'étude.
>> Lire aussi : Vers un plan d'action national pour prévenir le suicide en milieu agricole
Didier Kottelat et Cynthia Gani
La méthodologie de l'étude
L'étude sur le suicide des paysans, toujours en cours, est menée par l''Institut de médecine sociale et préventive de l'Université de Berne et est financée par le Fonds national suisse (FNS).
Elle est concentrée sur les années 1991 à 2014. Elle prend en compte les 1,8 million d'hommes de nationalité suisse âgés de 35 à 74 ans habitant les communes de moins de 50'000 habitants, parmi lesquels figurent 90'000 paysans.
Jacques Bourgeois
"On ne peut rester indifférents par rapport à ce geste de désespoir. Je suis étonné par cette différence. L'année dernière, nous avons malheureusement dû faire face à plusieurs cas. Ce qui est important pour nous, c'est que nuis puissions prévenir de tels actes de désespoir. Dans certains cantons, dont le canton de Vaud, une cellule appelée Sentinelle a été mise en place pour prévenir de telles issues. Les personnes qui sont en contact avec les exploitants agricoles peuvent transmettre à cette cellule s'ils voiwent qu'une personne est en situation de désespoir. Ensuite, des psychologues ou des aumôniers ou des pasteurs prennent le relais."
"Il y a de plus en plius de solitude dans cette profession. Quand on broie du noir, c'est parfois difficile de sortir de ce tunnel."
Explications
"Pour certains exploitants, quand il y a un investissement qui a été fait dans une orientation de production, vous devez faire face à des dettes, vous devez faire face à des paiements. Donc, une situation financière toujours plus dure. Dans ce contexte, c'est important que l'on puisse mioeux valoriser les produits, que l'on puisse mieux honorer ce dur labeur des familles paysannes, en payant un prix qui non seulement couvre les prix de production, mais qui permette aussi de faire vivre leur famille et aussi qui permette d'investir dans l'outil de production."
"La pression financière est un des facteurs déterminants. Si vous avez des dettes et que vous voyez que vous n'allez pas pouvoir les rembourser, c'est une spirale vers le bas. C'est important de pouvoir accompagner ces gens, les conseiller, surtout lors des investissements, pour éviter ce genre de situations."
"Les agricultrices et agriculteurs sont fiers d'eux-mêmes. Ils ne vont donc pas se livrer vers d'autres personnes lorsqu'ils se trouvent dans une situation financière délicate. Ils vont essayer de s'en sortir par eux-mêmes. Mais je pense que c'est important, quand on est en contact avec ces personnes, de déceler les signes de détresse qui pourraient survenir."
"Je suis choqué par un chiffre aussi important, rapport à ce chiffre. On ne peut rester indifférents par rapport à des personnes qui ont ce dernier geste de désespoir. T out doit être entrepris pour éviter de tels gestes."
Plaide pour une revalorisation des produits sur les marchés un prix qui couvre les prix de production.
Pression sur les paysans avec les réformes agricoles: "Oui, ça peut expliquer en partie. Il y a une réforme assez fondamentale qui a été faite lors de la dernière politique agricole. Ce que les familles paysannes sont en droit d'attendre, c'est une certaine stabilité des conditions-cadres de l'activité paysanne. Et pas que l'on remette en question cette politique agricole tous les quatre ans. C'est une exigence que nous avons pour la future politique agricole 2022+. D'un autre côté, c'est aussi la charge administrative qui est liée à cette politique agricole puisqu'il faut remplir de nombreux formulaires. Souvent, les paysans passent plus de temps derrière à leur bureau que dans les champs ou avec leur bétail. Nous voulons absolument simplifier cette administration pour éviter cette lourdeur, cette charge administrative qui pèse sur les familles paysannes.
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