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Yvan Colonna condamné à la perpétuité

Les avocats d'Yvan Colonna, devant la cour d'assises spéciale de Paris.
Les avocats d'Yvan Colonna, devant la Cour d'assises de Paris.
Le nationaliste corse Yvan Colonna a été condamné vendredi en appel à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans, la peine maximale. Il était jugé pour l'assassinat du préfet de Corse Claude Erignac en 1998 par la cour d'assises spéciale de Paris.

Après sept semaines de procès et près de huit heures de
délibération, les neuf magistrats de la cour d'assises spéciale de
Paris ont prononcé la peine maximale prévue par la loi. Ils ont
suivi les réquisitions de l'accusation et aggravé le verdict de
première instance en 2007. Avait alors été prononcée la réclusion à
perpétuité sans période de sûreté, ce qui limitait à 18 ans la
période de détention incompressible.

La défense n'a pas plaidé

La défense, absente, n'a pas plaidé. Arrêté en 2003 après quatre
ans de fuite, le berger de Cargèse, âgé de 48 ans, s'est toujours
dit innocent. Au procès, il s'est dit victime de la vindicte de
Nicolas Sarkozy et de "la raison d'Etat". Pourvoi en cassation Il
va se pourvoir en cassation, puis éventuellement saisir la Cour
européenne des droits de l'Homme, ont dit ses cinq avocats lors
d'une conférence de presse.



Pour Me Patrick Maisonneuve, la période de sûreté est une
"vengeance" pour le défi lancé à la cour. Me Philippe Lemaire,
avocat de la veuve du préfet, a dit voir le verdict comme juste.
"Ne croyez pas que cela soit satisfaisant, je ne boirai pas le
Champagne ce soir, voir un homme condamné à perpétuité est toujours
difficile. Mais il faut se souvenir qu'un préfet de la République a
été tué", a-t-il dit.



Avant le verdict, Yvan Colonna a refusé une dernière fois de
sortir de la prison de Fresnes, près de Paris, et la cour lui a
donc envoyé un huissier pour lui notifier l'entrée en délibéré,
procédure répétée pour la sentence. La cour d'assises a aussi
retenu la culpabilité de l'accusé dans l'attaque de la gendarmerie
de Pietrosella, en septembre 1997, où fut volée l'arme qui a servi
pour le crime.

"La plus sournoise des pressions"

L'accusation avait
rejeté jeudi dans son réquisitoire la théorie d'un complot policier
contre l'accusé, et avait critiqué son départ du procès, décrit
comme une stratégie.



"Yvan Colonna est le tireur, l'exécuteur, le bourreau. Son action
s'inscrit dans une spirale folle, (...) un jusqu'auboutisme
intégriste. Yvan Colonna et les membres du commando ont perdu leur
part d'humanité", avait dit l'avocat général Jean-Claude Kross. Il
avait appelé la cour à "ne pas tomber dans le piège du box vide, la
plus sournoise des pressions sur la justice".



Il s'agissait du quatrième procès dans cette affaire. Six autres
hommes, membre d'un groupe nationaliste dissident, ont déjà été
condamnés en 2003 à des peines allant de quinze ans à la
perpétuité.

Craintes en Corse

Le préfet a été abattu de trois balles dans la tête le 6 février
1998 à Ajaccio alors qu'il se rendait au théâtre. Les mises en
cause d'Yvan Colonna par la plupart des hommes condamnés et leurs
épouses ou compagnes, réitérées pendant près de deux ans, puis
retirées dans des conditions jugées peu crédibles, constitue
toujours le socle de l'accusation.



La défense a soutenu que ces hommes et ces femmes avaient menti,
soit en raison de pressions policières, soit pour protéger
d'hypothétiques autres coupables jamais arrêtés. Elle s'appuyait
sur les témoins oculaires du crime, qui ont dit à l'audience ne pas
reconnaître l'accusé et sur un témoin-surprise, le policier Didier
Vinolas, laissant un temps entrevoir l'existence possible d'autres
coupables.



A l'audience, les condamnés et leurs épouses ont tenté de blanchir
Yvan Colonna, mais toujours de manière ambiguë. Les autorités
espèrent que le verdict mettra un point final à ce dossier, le plus
grave crime politique commis en trente ans de violences en Corse,
qui a donné lieu à une enquête chaotique, sujette à des
controverses politiques.



Un regain de violence sur l'île est redouté après la condamnation.
En 2007, après le premier verdict, un attentat avait frappé la
villa d'un ami de la famille Erignac.



ats/ap/cht

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Le berger s'érige désormais en martyr

Yvan Colonna, condamné vendredi pour la 2e fois à la réclusion criminelle à perpétuité, est entré dans l'histoire judiciaire comme l'assassin du préfet de Corse, Claude Erignac, abattu de trois balles dans la tête le 6 février 1998 à Ajaccio. Amoureux de son île, Yvan Colonna passera probablement les prochaines années dans une maison centrale sur le continent.

Né en 1960 à Cargèse, le fief familial de Corse-du-Sud, Yvan Colonna a quitté son île natale pour suivre ses parents, Jean-Hugues et Cécile, à Nice, où son père entame une carrière politique au Parti socialiste. Après un bac B, il commence des études pour devenir professeur d'éducation physique à la faculté de Nice.

Nostalgique de la Corse, le jeune homme abandonne ce parcours pour rentrer sur l'Ile de Beauté en 1980. Il s'installe à Cargèse, où il ouvre une bergerie avec un ami. Peu après, il rencontre Pierrette Serreri, de six ans son aînée, qui lui donnera en 1990 un fils prénommé Ghjuvan-Battista, en hommage au nationaliste Jean-Baptiste Acquaviva, tué en 1987.

Il apprend le corse à son enfant, lui transmet les traditions insulaires. Dès son retour en Corse, «le berger de Cargèse» commence à militer au sein de la section locale d'A Cuncolta, vitrine légale du FLNC-Canal historique.

En septembre 1983, lors d'une perquisition dans la maison familiale, les enquêteurs découvrent cagoules, mèches lentes et détonateurs. Déjà lié à Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, deux membres du commando Erignac, Yvan Colonna sera interpellé à plusieurs reprises au cours des années 1980 et 1990, notamment dans le cadre de l'enquête sur la tentative d'assassinat du nationaliste Pierre Poggioli, en 1994.

Aucune charge ne sera jamais retenue à son encontre, ni à l'encontre de son frère cadet, Stéphane, également actif au sein de la mouvance nationaliste. Au début des années 90, ils prennent leur distance avec le mouvement, déchiré par une guerre fratricide. «J'ai arrêté de militer à la naissance de mon fils», avait dit Yvan Colonna au cours de son procès.

Il paraît alors retiré de tout activisme virulent. Sa vie se partage entre ses chèvres, la vie associative du village, notamment dans l'équipe de football de Cargèse, et sa famille. Selon les déclarations de plusieurs membres du commando Erignac, l'assassinat du préfet de Corse est le fruit de cette remise en cause d'un petit noyau de déçus du nationalisme.

Cet acte devait servir d»'électrochoc» pour éveiller la conscience du peuple corse. Apparu devant ses juges comme un homme déterminé, habitué à être obéi, Yvan Colonna est désigné par ses complices, alors en garde à vue, comme celui qui a appuyé sur la gâchette. Il prendra la fuite quelques heures avant que les policiers ne viennent l'interpeller.

Longtemps introuvable, recherché jusqu'au Venezuela et au Pérou, Yvan Colonna sera finalement pisté en secret par des hommes du RAID, l'unité d'élite de la police nationale. «Yvan Colonna c'est bien moi, laissez-moi voir mon fils», déclarera-t-il le 4 juillet 2003 aux policiers venus l'arrêter dans une bergerie de Porto-Pollo, près de Propriano (Corse-du-Sud).

Le jour même, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, annonce que les policiers ont interpellé «l'assassin du préfet». Si ses amis ont pris soin au cours de leur procès de le mettre hors de cause, Yvan Colonna reste pour la famille Erignac un «tueur froid, déterminé et calculateur».

Pour ses proches, c'est un «militant nationaliste de la première heure», un «idéaliste intransigeant allé jusqu'au bout de son engagement», «un homme intelligent et réfléchi».

Après avoir boycotté la deuxième partie de son procès en appel, dénonçant des «juges aux ordres» et une «condamnation annoncée au nom de la raison d'Etat», Yvan Colonna, désormais condamné, pourrait devenir le héros et martyr de la cause nationaliste.