Le Ministère public zurichois a mis en accusation les anciens
responsables de SAirGroup, quatre ans et demi après le "grounding"
de Swissair survenu le 2 octobre 2001.
L'acte d'accusation, qui a été déposé fin mars auprès du Tribunal
de district de Bülach, est notamment dirigé contre les ex-patrons
de Swissair Mario Corti et Philippe Brüggisser, a indiqué vendredi
le procureur général du canton de Zurich Andreas Brunner. Le
conseil d'administration in corpore est également inculpé.
Deux Romands parmi les inculpés
En faisaient partie l'ex-patron du Credit Suisse Lukas
Mühlemann, l'industriel Thomas Schmidheiny, l'ancienne conseillère
aux Etats radicale Vreni Spoerry, l'ancien banquier privé genevois
Bénédict Hentsch ou encore l'ancien directeur général du Comptoir
Suisse, le Vaudois Paul-Antoine Hoefliger. Les anciens chefs des
finances Georges Schorderet et Jacqualyn Fouse sont aussi sur la
sellette.
Satisfactions chez les investisseurs
C'est la satisfaction qui domine chez les investisseurs, les
associations professionnelles et les partis politiques. Les milieux
économiques espèrent que les questions de fond s'en trouveront
éclaircies, alors que les inculpés rejettent toutes les accusations
portées.
Pour "economiesuisse", la procédure doit éclaircir sur le fond la
responsabilité des organes des sociétés. Dans le sens d'une
sécurité juridique, il est important que ces éclaircissements aient
lieu, a expliqué vendredi Thomas Pletscher, membre de la direction.
Les milieux économiques suivent l'affaire avec un certain
intérêt.
"Il est réjouissant que l'accusation ne se limite pas à la
direction opérationnelle de Swissair, mais s'étende également au
conseil d'administration", a souligné Hans-Jakob Heitz, président
de l'association de protection des actionnaires (SVSA). Il craint
cependant que le tribunal de district de Bulach n'exige trop de
l'accusation et que la prescription ne menace.
Aucune peine requise
L'impressionnante équipe groupée autour du juge d'instruction
zurichois Christian Weber a examiné six domaines d'activités. Le
premier concerne la restructuration de SAirGroup en mars 2001 avec
la recapitalisation de sa filiale SAirLines, soit plus de 2,5
milliards injectés sans contrepartie ou plus-value pour la holding,
en posture difficile, et pour les créanciers.
Il y a eu non seulement gestion déloyale, mais aussi diminution
effective de l'actif avec préjudice des créanciers, estime le
Ministère public. Alors que SAirLines était fortement endettée, les
finances ont été consciemment «maquillées» pour cacher le trou dans
la caisse, a dit Christian Weber.
Communication fallacieuse
La direction de SAirGroup a également failli dans la
communication au printemps et en été 2001 après la restructuration.
Le patron Mario Corti, qui venait de reprendre la barre du navire
naufragé, porte le chapeau. Il est accusé de faux renseignements
sur des entreprises commerciales, avec son chef des finances
Georges Schorderet.
Ainsi, il aurait fait croire aux actionnaires que le groupe
s'était vu accorder un crédit d'un milliard de francs par les
banques. Les injections dans la compagnie polonaise LOT en
septembre 2001 et la recapitalisation de Sabena début 2001 (plus de
230 millions de francs au total) ont également été entachées
d'irrégularités. Elles impliquent Philippe Brüggiser et l'ancien
conseiller d'Etat zurichois Eric Honegger (PRD), alors président du
conseil d'administration.
Finalement, Mario Corti et sa cheffe des finances Jacqualyn Fouse
ont retardé la procédure concordataire de SAirGroup fin septembre
2001, tout en effectuant encore des versements à des créanciers
«choisis» pour un montant de 220 millions.
Ce n'est pas terminé
La procédure pénale, dont seule la première partie est close,
fait partie du «traitement psychologique et mental» de l'événement,
qui a soulevé de «grosses vagues émotionnelles» dans tout le pays,
a dit M. Brunner. Il convient aussi de mettre les responsabilités à
plat.
Le Ministère public de Zurich a renoncé à requérir maintenant des
peines, le Code pénal étant en révision. Les délits inclus dans
l'acte d'accusation peuvent actuellement déboucher sur des
condamnations à la réclusion allant jusqu'à cinq ans.
Le Ministère public a bon espoir que le procès aura lieu avant la
mi-2008, date à laquelle il y a prescription sur certains délits.
La deuxième partie de la procédure pénale, qui porte sur
l'établissement du bilan et des comptes de gestion, devrait être
bouclée l'an prochain. L'ensemble aura coûté de 5 à 7 millions de
francs.
agences/sj ros
Faillite de SAirGroup: deux Romands parmi les 19 inculpés
1.Karin Anderegg Bigger, ex-secrétaire générale SAirGroup
2.Philippe Brüggisser, ex-directeur général
3.Mario Corti, ex-directeur général et président du conseil
d'administration
4.Gerhardt Fischer, ex-président du conseil d'administration de
Panalpina
5.Jacqualyn Fouse, chef des finances
6.Bénédict Hentsch, banquier privé, ex-associé Darier
Hentsch GE
7.Paul-Antoine Hoefliger, ex-pdt et directeur-général du
Comptoir Suisse
8.Erich Honegger, ancien président de SAirGroup et ex-conseiller
d'Etat (PRD/ZH)
9.Andres Leuenberger, ex-vice-pdt Roche et pdt
economiesuisse
10.Jan Litwinski, ex-pdt et directeur général LOT (cie aérienne
polonaise)
11.Lukas Mühlemann ex-pdt et directeur général du Credit
Suisse
12.Thomas Schmidheiny, ex- pdt et directeur général Holderbank
(Holcim)
13.Georges Schorderet, ancien chef des finances
14.Andreas Simmen, ex-directeur SairGroup Finance
15.Peter Somaglia, ex- pdt et directeur général Swisscargo
16.Vreni Spoerry, ancienne conseillère aux Etats radicale ZH
17.Gaudenz Staehlin, conseil d'administration SairGroup
18.Scott Cormack, KPMG Londres, consultant SAirGroup
19.Andreas Länzlinger, avocats Bär, Karrer & Partner,
consultant SAirGroup
Une gigantesque enquête
L'affaire Swissair est vraisemblablement le plus gros dossier traité par le Ministère public de Zurich.
Elle représente quatre ans et demi d'enquête, plus de 4000 classeurs, l'équivalent de 750 DVD de données électroniques, 130 personnes interrogées ou encore 20 perquisitions.
L'acte d'accusation dépasse les 100 pages.
Chronologie de la fin d'un symbole
- Le 2 octobre 2001, 71 ans après la création de la compagnie, les avions de Swissair restent cloués au sol, par manque de liquidités.
- C'est le 1er avril 2002 qu'un appareil de Swissair (en provenance de Buenos Aires) atterrit pour la dernière fois à Zurich. Cela malgré un crédit de 450 millions de francs alloué en 2001 par la Confédération.
- La politique de prise de participations dans de nombreuses autres compagnies déficitaires avec lesquelles elle voulait conclure une alliance est à l'origine de la chute de Swissair.
- La compagnie Crossair a repris ce qui restait de sa concurrente Swissair pour créer une nouvelle compagnie, «Swiss». Cette dernière a été rachetée en 2005 par Lufthansa.