Une petite gerbe de fleurs au détour d'un escalier : voilà tout
ce qui subsiste de l'accident qui s'est produit au cœur du chantier
du M2, à la hauteur du Centre hospitalier universitaire vaudois.
Hormis ce détail, rien ne laisse à penser qu'un électricien s'est
empalé sur des barres de fer il y a une quinzaine de jours, avant
de succomber à ses blessures sur son lit d'hôpital.
Situé entre les urgences et la maternité du CHUV, le trou béant
du chantier, dominé par le béton et la ferraille en tout genre,
contraste avec les blouses blanches et le paysage immobilier très
austère de l'hôpital. En contrebas, on devine la future station du
CHUV, à ciel ouvert. Elle est cernée, au sud, par la galerie des
Hôpitaux (69 mètres) et, au nord, par le tunnel des Falaises (502
mètres) menant à La Sallaz.
C'est dans cette tranchée géante que Charles Givel, jeune retraité
de l'administration lausannoise mué en guide de chantier - comme
huit autres de ses collègues -, emmène les touristes, municipaux et
autres journalistes. «Vingt milles personnes ont visité le chantier
du M2 en 2005 », se réjouit le jeune grand-père de 67 ans.
Deux tunnels s'enfoncent dans la ville
Le chantier ressemble à une véritable fourmilière infatigable et
imperturbable. Casques rouges, bleus ou blancs, gilets jaunes ou
orange, une cinquantaine d'ouvriers bétonnent, soudent, scient ou
martèlent dans un bruit parfois assourdissant. Vu de la route
menant au centre de Lausanne, une impression de chaos s'en dégage.
Mais une fois dans les entrailles de la bête, l'avancée des travaux
étonne : les voies ferrées gisent sur le sol, bien
installées.
Aux deux extrémités de la station, elles s'éloignent et se perdent
dans l'obscurité des tunnels, dont l'un plonge véritablement dans
les profondeurs de la ville. « C'est ici que l'on observe la plus
forte pente du tracé du M2 (12%), note Charles Givel. Le gros œuvre
- percement des galeries, bétonnage et pose des voies ferrées -
touche à sa fin. Hélé par notre guide, le contremaître du chantier
s'approche et explique : « Nous laisserons la place au second œuvre
- carrelage, vitrage, pose d'ascenseurs, etc. - d'ici fin novembre
».
«Beaucoup de malchance»
A travers la poussière qui se dégage du crépissage des murs
latéraux de la station, un t-shirt du FC La Gruyère sur les
épaules, Christian Regli observe ses hommes - en majorité des
Portugais - qui oeuvrent au-dessus de la galerie. En dessous, les
ouvriers français d'Alstom font rougir les rails à 1800 degrés pour
mieux les souder - une forte odeur de meulage se dégage. « Je
n'aime pas trop ça, lâche le contremaître soucieux. Si quelque
chose tombe depuis le haut, ça peut faire mal ».
Pourtant, rien d'anormal dans cette situation : la cohabitation de
plusieurs entreprises s'avère nécessaire. Dans le contexte actuel,
le contremaître se montre toutefois anxieux. Christian Regli a-t-il
été témoin du drame d'il y 15 jours? « Personne n'a vu ce qui
s'était passé. Apparemment, la planche sur laquelle se trouvait
l'électricien a cédé et il est tombé sur des barres fer qui se
trouvaient un mètre plus bas. C'est beaucoup de malchance ».
«Ne pas trop y penser»
Charles Givel nous emmène au lieu précis de l'accident. Pour
cela, il faut remonter les escaliers qui mènent à la surface. C'est
à la hauteur de la dixième marche environ, sur la gauche, que
l'électricien s'est empalé. Les barres de fer ont pratiquement
disparues. Des ouvriers s'occupent de la recouvrir de planches, sur
lesquelles une dalle de béton sera coulée dans quelques jours. Sur
la droite, la petite gerbe de fleur.
Michel, une planche dans la main, hésite puis se lance : « C'est
clair que ça nous a un peu perturbés. Même si on ne le connaissait
pas, c'était un collègue de chantier. On essaie de ne pas trop y
penser et de nous concentrer sur notre travail». En 22 ans passés
sur les chantiers suisses, ce Portugais de 54 ans touche du bois.
«Je n'ai jamais eu d'accident. Et pourtant j'ai fait de grands
chantiers comme le Viaduc des Vaux, près d'Yvonand ».
Michel pourra se retirer dans six ans et profiter d'une retraite
bien méritée. « Et je compte bien être encore entier » ! Toujours
actif en 2008, il fêtera l'ouverture du M2 et pourra se targuer
d'avoir participé à l'un des plus grands projets jamais réalisés à
Lausanne.
Patrick Suhner
Trois questions à Robert Bruchez, responsable de la sécurité du M2
Monsieur Bruchez, l'accident survenu il y a deux semaines aurait-il pu être évité ?
Je ne crois pas. Les circonstances ne sont pas encore très claires, mais il semblerait que ce soit vraiment une situation malheureuse. Une enquête est en cours. Elle nous en dira peut-être un peu plus.
Les mesures de sécurité ont-elles été renforcées ?
Nous sommes très attentifs à toutes les mesures à prendre et nous faisons le maximum pour respecter les normes de sécurité édictées par la SUVA. Dans le cas de l'accident, je ne crois pas que ce soit une négligence de notre part. Après ce drame, nous avons demandé à nos travailleurs de redoubler de vigilance. Nous ne pouvons guère faire plus.
Comment sont édictées les règles de sécurité ?
Chaque entreprise présente sur les chantiers du M2 est directement responsable de la sécurité de ses ouvriers et est censée respecter les normes de la SUVA. De mon côté, je passe régulièrement sur les différents chantiers pour m'assurer que tout se passe bien et voir si des améliorations peuvent être apportées.
Fiche technique du M2
Le M2 sera monté sur pneu et sera entièrement automatique.
Il parcourra en quelque 20 minutes un tracé de 6,5 km allant des bords du lac Léman, à Ouchy (373 m), jusqu'à la station des Croisettes, juste en dessous d'Epalinges (711 m). Soit un dénivelé de 338 m.
La pente: elle pourra atteindre jusqu'à 12%.
Le tracé: 20% se trouvera à l'air libre.
Fréquence de parcours : 3 minutes.
Vitesse: jusqu'à 60 km/h.
Capacité: 220 places dont 60 assises.
Masse à vide: 56 tonnes.
Longueur d'une rame: 30,7m.