Les trois juges de la cour n'avaient à «juger que les faits
retenus par l'accusation», a expliqué jeudi son président Andreas
Fischer devant un public de 200 personnes (malgré 500 places
disponibles) et plus de 100 journalistes dans la salle communale où
s'est déroulé le plus important procès de ce type jamais tenu en
Suisse, du 16 janvier au 9 mars.
Outre son acquittement, le dernier patron de Swissair, Mario Corti
- seul accusé à risquer la prison ferme - se voit allouer un
dédommagement de 488'000 francs. Les autres inculpés se verront
verser entre 80'000 à 230'000 francs.
Cet acquittement général n'a surpris pratiquement personne mais a
irrité de nombreux politiciens et personnalités (lire sous
le lien ci-contre: "Procès Swissair: les critiques
fusent).
Petite rumeur
L'annonce du verdict est tombée dans un silence de mort, seule
une légère rumeur se faisant entendre à l'énoncé de la relaxe de
Mario Corti. Résidant à Boston, ce dernier n'avait pas fait le
déplacement, tout comme son prédécesseur Philippe Bruggisser et la
dernière cheffe des finances Jacqualyn Fouse, notamment.
Fondant le verdict point par point, Andreas Fischer a relevé que
la cour ne devait pas se prononcer sur la débâcle, le «grounding»
d'octobre 2001 ou le bien-fondé de la stratégie du «chasseur». Mais
la relaxe des accusés ne signifie pas que l'acte d'accusation a été
présenté à tort, a-t-il nuancé.
Les juges estiment que les faits présentés comme délictueux ne se
sont pas constitués. Concernant le versement de 150 millions
d'euros par Swissair à la compagnie belge en grande difficulté
Sabena, le Tribunal n'a retenu le délit de gestion déloyale contre
aucun des accusés. L'accusation n'a pas pu prouver de manquements
au devoir de diligence de leur part, a argumenté Andreas
Fischer.
Si le Ministère public du canton de Zurich a considéré le conseil
d'administration comme un gestionnaire de fortune, libre d'investir
comme il l'entend, «ce n'était pas le cas», a affirmé Andreas
Fischer. «Il fallait prendre une décision entrepreneuriale pour
éviter la faillite de Sabena.»
Réalité déformée
Dans le cas belge, le parquet avait dressé une image déformée de
l'affaire, sans tenir suffisamment compte du contexte. Le sauvetage
de Sabena était notamment conditionné au fait que l'Etat belge
versait lui-même 100 millions d'euros, a noté le président du
tribunal.
Sur un autre sujet, soit le transfert de participations à
l'intérieur de SAirGroup, la holding chapeautant les activités du
groupe, le tribunal a jugé défendables les pratiques des accusés.
L'accusation estimait elle que cette restructuration a causé un
dommage de 2,5 milliards de francs à SAirGroup.
Mario Corti blanchi
La cour n'a pas non plus retenu le reproche du Ministère public
selon lequel Mario Corti aurait pu demander le sursis concordataire
le 17 septembre 2001 au lieu de le faire le 4 octobre. A ce moment,
il existait encore un espoir que les banques et la Confédération
puissent sauver le groupe.
Le tribunal a en revanche fait part de quelques doutes concernant
d'autres délits. Ainsi, les propos de Mario Corti lors de
l'assemblée générale quant à l'octroi assuré d'un crédit d'un
milliard de francs étaient effectivement faux. Mais il n'a pas
menti de manière intentionnelle.
agences/sun/tac
«PAS PENALEMENT REPREHENSIBLE»
Le professeur de droit pénal Daniel Jositsch se dit «peu
surpris» par l'acquittement général prononcé par le Tribunal de
district de Bülach. Il se refuse toutefois à parler de «fiasco»
pour l'accusation.
«La tâche du ministère public n'est pas d'écrire l'histoire de
la tragédie Swissair», a dit jeudi Daniel Jositsch à la télévision
alémanique (SF1). Son devoir est uniquement de mettre en accusation
des actes potentiellement délictueux pénalement. «Une mauvaise
gestion n'est toutefois pas pénalement répréhensible», a poursuivi
le professeur zurichois.
Le parquet aurait dû démontrer qu'un manager sensé n'aurait
jamais agi de la manière dont les choses se sont passées pour
assainir SAirLines. Or, il n'a manifestement pas été prouvé que le
devoir de diligence a été violé à un moment donné, a noté Daniel
Jositsch.
Le pénaliste pense néanmoins qu'il ne faut «pas faire de reproches
au ministère public». Les magistrats n'ont fait que leur travail,
selon lui. Vont-ils maintenant faire appel ? Daniel Jositsch ne
l'exclut pas, car l'accusation «a le devoir» de continuer la
procédure si elle n'est pas d'accord avec les motivations des
juges.
Concernant les indemnités octroyées aux 19 personnes acquittées,
le professeur dit comprendre que certains observateurs puissent la
juger incongrue. Reste qu'»une personne acquittée devant la justice
a droit à des dédommagements», a commenté Daniel Jositsch.
agences/sun
Recours pas encore décidé
Le Ministère public zurichois n'a pas encore décidé s'il fera recours contre le jugement du procès Swissair. Il procédera d'abord à une analyse approndie du verdict rendu par le Tribunal de district de Bülach (ZH).
Le Ministère public entrevoit de bonnes chances en seconde instance pour certains points des chefs d'accusation, a indiqué le procureur Christian Weber jeudi après-midi devant la presse à Bülach.
Il peut faire recours contre le jugement auprès du Tribunal cantonal de Zurich dans les dix jours.
En première instance, l'accusation a fait chou blanc, l'ensemble des 19 personnes concernées ayant été acquittées. Le procureur est néanmoins satisfait que la cour n'ait pas remis en question le fondement de l'action du Ministère public.
La procédure d'instruction a coûté pour l'heure entre 4 et 4,5 millions de francs, dont 2 millions pour des expertises externes, a t-il ajouté.
L'UDC zurichoise a dénoncé les coûts du procès (3 millions d'indemnités + les frais, soit plus de 7 millions).
Ce montant ne comprend pas les salaires du personnel administratif voué à l'instruction. Christian Weber ne prend en aucun cas en considération l'exigence de l'UDC zurichoise, qui a en outre demandé sa démission en tant que procureur.
Gratin de l'économie
Durant les 29 jours d'audience, tous les inculpés avaient plaidé non coupables et leurs avocats demandé l'acquittement. L'acte d'accusation avait retenu les délits de gestion déloyale, gestion fautive, faux renseignements sur des entreprises commerciales, faux dans les titres, diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers et avantages accordés à des créanciers, entre autres.
Parmi les autres acquittés figurent notamment Eric Honegger, président du conseil d'administration au moment de la démission en bloc de celui-ci en mars 2001 et ancien conseiller d'Etat zurichois. Ce dernier a également été acquitté de l'accusation de fraude fiscale qui pesait sur lui.