Le conseiller aux Etats neuchâtelois (PRD) a répondu à nos
questions concernant son rejet de l'initiative de Franz Weber,
lancée en 2005, un peu moins de trois semaines avant la date de la
votation fédérale. Didier Burkhalter évoque avec
nous les arguments des opposants à l'initiative contre le bruit des
avions.
Teletext: l'initiative contre le bruit des avions
est-elle une vraie menace pour l'aviation militaire, comme le
soutient le comité d'opposants?
Didier Burkhalter: oui, à cause de sa
formulation. Elle entraîne de fait une suppression des vols
d'entraînement de l'armée en Suisse et aurait l'effet d'un château
de cartes. Si vous n'avez plus d'entraînements, vous n'avez plus
d'efficacité. Si vous n'avez plus d'efficacité des forces
aériennes, vous avez pratiquement une situation dans laquelle
l'ensemble de l'armée est en danger. C'est donc une initiative
excessive, quand on lit le texte exact.
Les opposants au texte soutiennent que ces vols sont
nécessaires pour protéger la Suisse. Quelle menace justifie une
telle surveillance aérienne?
La surveillance aérienne, c'est une affaire constitutionnelle.
L'armée doit pouvoir assurer l'indépendance et la sécurité du pays.
Actuellement, en raison de la menace terroriste notamment, on doit
pouvoir compter sur des interventions rapides. Aussi pour assurer
la sécurité durant des manifestations comme le WEF. Mais de manière
générale, c'est aussi valable toute l'année, entre autres pour la
protection de la Genève Internationale. Pour cela, il faut avoir
des moyens très modernes et efficaces, donc des avions de
combat.
Sur le plan des priorités, le problème du bruit des
avions n'est-il pas plus important qu'une hypothétique frappe
militaire contre la Suisse?
Une frappe militaire est la menace la moins probable. L'attaque
terroriste en revanche est beaucoup plus probable. Et la tâche de
surveillance de l'espace aérien est prise en charge par l'armée, il
n'y a pas d'autre possibilité de le faire. Pour revenir à
l'hypothèse d'une frappe militaire, on ne peut pas prédire ce qu'il
se passera dans 20 ou 30 ans. Honnêtement, toute personne qui se
pose la question sans a priori ne peut pas y répondre avec
certitude. L'armée doit simplement être prête à toute
éventualité.
A partir du moment où les pilotes s'entraînent déjà à
l'étranger, ne peut-on pas envisager un développement des
entraînements hors de Suisse?
Sur 20 ans, le nombre de vols en Suisse a été divisé par 5. Il y
en avait environ 115'000 au milieu des années 80. Il y en a à peu
près 22'000 maintenant. Et un certain nombre de vols, notamment les
vols supersoniques ou les vols relativement à basse altitude, se
font à l'étranger, si possible sur la mer. Mais il faut aussi
admettre que c'est très hypocrite de vouloir déplacer les nuisances
chez d'autres. Si l'armée peut s'entraîner là où les nuisances pour
les êtres humains sont moindres, elle le fera. En revanche, on ne
peut pas supprimer tous les vols. Il n'y a pas que le pilote qui
s'entraîne. L'équipe au sol est aussi concernée. Ensuite, il y a la
topographie. Le pilote doit pouvoir jouer l'avantage du terrain. Et
la Suisse est un pays "difficile à voler", d'où la nécessité des
vols réels. Il faut noter que l'armée les limite au maximum. Les
forces aériennes s'entraînent beaucoup sur simulateur.
Les initiants disent défendre les intérêts de la
population. Pensez-vous que l'armée s'inquiète suffisamment des
doléances de la population quant aux nuisances liés aux vols
d'entraînement?
Justement, pour revenir à la question de la priorité abordée
avant, la première priorité, c'est la sécurité de la population en
général. La 2e, et ce n'est pas contradictoire, c'est la réduction
du nombre de vols au strict minimum. Il y a des solutions simples,
comme des départs simultanés de deux avions, et non chacun son
tour, pour réduire la durée du bruit. Et essayer d'éviter les vols
en soirée, le dimanche, à midi. On ne peut aller vers une
interdiction totale des vols d'entraînement en Suisse mais on peut
donner quelques alternatives partielles. Depuis environ 3 ans,
l'armée fait des efforts en ce sens. Maintenant qu'il n'y a plus
que les aéroports de Payerne, Meiringen et Sion pour accueillir les
avions de chasse, le problème se concentre, il est vrai, sur
seulement trois sites.
Pourquoi ne pas rouvrir Dübendorf?
Dübendorf pose de gros problèmes. D'abord, c'est dans un centre
urbain très peuplé. Ensuite, il y a une concentration des vols
civils telle que ce serait dangereux de cumuler vols civils et vols
militaires. Sans compter les restrictions d'approche. Enfin, les
aéroports de Sion et Meiringen sont mieux placés par rapport aux
zones où on ose faire des entraînements.
Concernant Sion justement, qu'apporte l'armée au
canton du Valais?
Les arguments touristiques ou économiques ne sont pas décisifs.
Mais c'est vrai qu'il y a une réalité économique pour le Valais. Et
l'aéroport de Sion devrait peut-être fermer en cas d'acceptation le
24 février. Une telle fermeture serait très problématique pour le
tourisme valaisan. Donc l'initiative, qui affirme vouloir soutenir
le tourisme, pourrait de fait le mettre en difficulté. Et
constatons une chose: en Bas-Valais, il y a très peu de plaintes à
cause du bruit des avions de l'armée. L'initiative ne définit pas,
au demeurant, la notion de "régions touristiques". Finalement, on
pourrait considérer toute la Suisse comme une zone touristique.
Pour moi, par exemple, ma ville de Neuchâtel est une magnifique
destination. La formulation du texte de Franz Weber est si vague
que tout vol militaire sur la Suisse deviendrait impossible.
Swisstxt/Propos recueillis par Nathalie Hof
Pour ou contre le bruit des avions de combat
Le 24 février, le peuple suisse se prononcera sur une initiative "contre le bruit des avions de combat dans les régions touristiques en temps de paix".
Le texte a été lancé par Franz Weber et son association "Helvetia Nostra", en 2005, et a été déposé à Berne en décembre dernier munie de 113'049 signatures.
Les initiants s'insurgent en particulier contre le bruit des F/A 18 (jusqu'à 120 décibels) et leur pollution (329'000 tonnes de CO2 rejetées chaque année).
Trois aéroports se partagent actuellement les 12'000 mouvements de jets par an: Payerne, Meiringen et Sion.
L'armée dispose actuellement de 33 avions de combat à réaction de type F/A-18 (Hornet) et 54 jets de type F-5 (Tiger), contre environ 400 appareils dans les années 80.
Les opposants, de leur côté, estiment que le texte porte atteinte à la neutralité et à la souveraineté du pays, empêchant la Suisse de protéger elle-même son ciel aérien. Certains pensent que c'est un premier pas vers la suppression pure et simple de l'armée.
Samuel Schmid a déjà brandi à plusieurs reprises cette menace, ce que conteste vigoureusement Franz Weber.
L'écologiste bénéficie du soutien de la gauche (A gauche toute!, PS et Verts) et du Groupe pour une Suisse sans Armée (GSsA).
A l'inverse, la droite, PDC compris, est opposée à l'initiative, tout comme les milieux touristiques concernés.