Swisstxt: en 2003, le Tribunal fédéral bannissait
les naturalisations par les urnes à la suite de l'affaire d'Emmen,
ceci pour éviter l'arbitraire et la discrimination. L'initiative
veut-elle donc rouvrir la porte à des procédures jugées
injustes?
Gilberte Demont: certes, on a pu ressentir une
certaine injustice dans le cas d'Emmen. Mais je crois qu'il faut
percevoir l'affaire d'une autre manière et se demander pourquoi il
y a eu un refus en masse de naturaliser des candidats. Pour moi, la
population a tiré la sonnette d'alarme en disant stop, il y a trop
de naturalisations. Mais malgré l'intervention du Tribunal fédéral,
ce problème de fond - trop de naturalisations - n'a pas été résolu
et c'est pourquoi l'UDC est intervenue.
Pour le Conseil fédéral, le texte n'améliore pas la
pratique sur le terrain et n'apporte aucune garantie que le
candidat remplira les conditions pour obtenir le passeport, en
particulier s'agissant de sa bonne
intégration...
Il y a un autre élément dont on ne tient pas assez compte. La
naturalisation ne doit pas passer soudain d'un acte politique à un
acte administratif. Octroyer le droit de cité est un droit du
peuple. On ignore ainsi aujourd'hui le symbole de la souveraineté
du peuple.
Mais la Suisse est le seul pays en Europe où l'on
procéderait encore ainsi...
Qui a tort et qui a raison ? Le principe du fédéralisme est quand
même assez envié en Europe. Les Suisses peuvent élire les
politiciens, les autorités, voter sur des objets concrets et lancer
des initiatives ou référendums.
Cela dit, l'initiative laisse la porte ouverte à
l'arbitraire. Si un étranger est un peu trop basané, il risque plus
de se faire refuser le passeport qu'un autre,
non?
Je ne crois pas car il y a quand même un filtre, une commission en
général. C'est elle qui est censée recevoir le plus d'informations.
Son rôle est d'analyser le dossier du demandeur et de donner
ensuite son préavis. Le peuple a ensuite le dernier mot
C'est peut-être valable dans les petites communes où
tout le monde se connaît. Mais pas dans les plus
grandes...
C'est vrai pour les très grandes communes, mais de loin pas pour
toutes. Si le peuple se prononce, cela signifie aussi qu'il y a
plus de chances qu'une ou plusieurs personnes connaissent les
candidats. Et ce qui nous importe, c'est que la naturalisation est
un droit populaire et qu'il n'y a pas de raison de changer ce
fait.
Comment un citoyen peut-il juger un candidat alors
qu'il ne peut pas avoir accès à ses données confidentielles en
raison de la protection des données?
Il doit pouvoir se baser sur l'analyse de la commission qui
étudier le dossier. Dans certaines communes, ces commissions
travaillent de manière objective, dans d'autres, elles sont plus
laxistes. Mais au final, la décision doit incontestablement
appartenir au peuple.
Pour l'UDC, la naturalisation est une chose trop
sérieuse pour être accordée à la va-vite. Permettre aux citoyens
d'accorder ou non le passeport sur la base d'un dossier sommaire,
n'est-ce pas là justement un jugement à la
va-vite?
Si une commission a préalablement bien fait son travail et que le
peuple donne ou ne donne pas son feu vert ensuite, je ne vois pas
où est le problème. La naturalisation doit rester un acte
politique, non pas un acte administratif banalisé.
Pour l'UDC, l'initiative doit servir à stopper des
naturalisations en masse. Pourtant la Suisse compte l'un des taux
les plus bas de naturalisés par rapport à sa population
étrangère...
Oui, mais si vous comparez par rapport à la population suisse,
c'est l'un des taux les plus hauts! On naturalise énormément. De
1991 à 2007, on est passé de 5000 naturalisations par année à
50'000 ! Cela signifie bien que cet acte doit être mieux considéré!
Cette hausse est due en grande partie aux migrations, mais non pas
en provenance de pays voisins, mais d'autres cultures, comme celle
des pays balkaniques. La Suisse est un pays ouvert mais on ne peut
pas accueillir le monde entier. L'immigration se maîtrise et
obtenir le passeport signifie être intégré.
Cela veut donc bien dire qu'un candidat ayant un nom
se terminant en -ic risque plus de se faire refuser le passeport
qu'un Espagnol...
Il ne faut pas tomber dans la caricature. La naturalisation est un
acte sensé et responsable. Si un candidat est honnête et bien
intégré, il n'y a aucune raison qu'il essuie un refus.
L'initiative prétend que la Suisse naturalise toujours
plus de criminels et d'assistés sociaux. Ce domaine ressort
pourtant des compétences du DFJP, que Christoph Blocher a dirigé
ces quatre dernières années. A-t-il mal fait son
travail?
Ce n'est pas mon interprétation! Mais il faut reconnaître que la
collaboration intercantonale judiciaire n'est pas toujours
parfaite. Il faudrait une meilleure coordination entre les services
de manière à ne pas avoir de mauvaise surprise sur un candidat,
notamment en ce qui concerne son comportement, ses situations
financière et professionnelle, des éléments dont ne disposent pas
toujours les commissions.
Mais comment le peuple peut-il alors juger dans ces
conditions?
Il faut améliorer des éléments qui gravitent autour des
naturalisations, sans pour autant enlever cette compétence au
souverain
L'initiative est jugée anticonstitutionnelle, car elle
ne garantit pas le droit pour le candidat de connaître les motifs
d'un refus et n'offre de surcroît aucun droit de
recours...
Le candidat peut connaître les raisons d'un rejet. La commission
qui refuse une demande de naturalisation informe le demandeur des
raisons du refus. Par contre si le souverain a décidé, nous n'avons
aucune raison d'accorder un droit de recours.
Mais si les raisons invoquées sont arbitraires ou
discriminatoires ou qu'il n'y pas de motifs précisés, le candidat
doit avoir le droit de recourir, non?
D'une part, je crois sincèrement que si le candidat a un bon
dossier, le passeport suisse lui sera accordé. Mais si c'est le
cas, recourir contre une décision du souverain est contraire au
système démocratique suisse. C'est comme en politique. Si l'on
n'est pas élu, on ne va pas déposer un recours. Par contre, rien
n'empêche le candidat de se représenter plus tard au moment où les
conditions seront remplies.
Propos recueillis par Christine Talos
Les enjeux
Les naturalisations par les urnes pourraient de nouveau avoir droit de cité. Se posant en championne de l'identité nationale et de la souveraineté populaire, l'UDC espère rétablir la pratique mise hors-la-loi par le TF. Les Suisses auront le dernier mot le 1er juin.
Ni les arguments juridiques ni le fait que les votes populaires sur l'octroi de la nationalité étaient connus de moins de 5% des communes, toutes alémaniques, n'infléchissent le parti. Il en appelle une nouvelle fois au peuple pour imposer ses vues en matière de démocratie et de politique des étrangers.
Par son initiative «pour des naturalisations démocratiques», l'UDC veut donner le pouvoir aux citoyens de choisir l'organe compétent au niveau de la commune: peuple, législatif, exécutif ou encore commission de naturalisation.
Pour garantir que cet organe garde la haute main sur la procédure, l'UDC compte par ailleurs inscrire dans la Constitution que ses décisions sont définitives. Pas question donc de justifier ou de contester un refus. Et l'UDC de marteler qu'accorder ou non le passeport doit être un acte purement politique.
L'initiative est née en 2003. Se prononçant sur l'affaire «des recalés d'Emmen (LU)», qui portaient tous un nom à consonance balkanique, le Tribunal fédéral a alors déclaré les naturalisations par les urnes anticonstitutionnelles. Ce procédé, qui empêche de motiver un rejet, risque d'aboutir à des décisions arbitraires et discriminatoires. Ce que le droit interdit.
Pour corriger le tir, le Parlement a révisé la loi sur la nationalité. Adoptées en décembre, les nouvelles dispositions législatives posent des garde-fous: publication uniquement d'informations sur le candidat ne relevant pas de la sphère privée (donc pas la religion), obligation de motiver et possibilité de recourir contre un rejet déjà au niveau cantonal.
Les Chambres, après bien des tergiversations, ont banni les naturalisations par les urnes. Par contre, les assemblées communales, auxquelles peuvent participer tous les citoyens helvétiques d'un village sans être élus, continueront d'être tolérées.
Ce contre-projet au texte de l'UDC a les faveurs du Conseil fédéral, de la gauche et de la majorité du PRD et du PDC. En plus du respect des principes ancrés dans le droit suisse et international, ils font valoir que la naturalisation est déjà soumise à de nombreux critères et que l'initiative n'apporte rien, notamment en termes d'exigence d'intégration.
Autre argument: au-delà des étrangers, l'UDC cherche à discréditer les institutions compétentes élues démocratiquement «en transformant le peuple souverain en tribunal populaire». Et de mettre en garde contre le risque que l'émotion prime les faits.
L'UDC ne bénéficie du soutien que de quelques bourgeois. Mais les opposants ne parlent pas d'une seule voix et le premier sondage sur les intentions de vote, publié le 25 avril dernier, laisse présager une majorité en faveur de l'initiative.
Le scénario de 2004 pourrait donc se répéter: unique formation à prôner le «non», l'UDC avait persuadé à l'époque une majorité de torpiller la naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers de la 2e génération ainsi que l'octroi automatique du passeport pour ceux de la 3e génération.