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L'invité: Georges-André Carrel

Carrel, un sacré personnage dans le sport helvétique.
Carrel, un sacré personnage dans le sport helvétique.
Georges-André Carrel est une véritable icône dans le milieu du volleyball helvétique. Ce grand amoureux du sport évoque sans détours sa passion du volleyball et le doute qu'il a devant certaines "performances".

Responsable du sport à l'Université de Lausanne et à l'EPFL, et
directeur technique du LUC, Georges-André Carrel est un personnage
incontournable dans le monde du volleyball helvétique.



S'il est passionné de volley, Georges-André Carrel est aussi un
grand amoureux du sport. Il défend le sport de masse, comme vecteur
social, mais aussi un sport d'élite à visage humain.



Pour lui, dans le sport on doit accepter que chaque être humain a
des limites. "Tu peux mourir sans être Mozart, et ce n'est pas
parce que tu n'as pas été Beethoven que tu es un imbécile"
,
explique le Vaudois. Interview.



tsrsport.ch: Vous êtes notamment responsable
du sport à l'Université de Lausanne et à l'EPFL. En quoi consiste
votre travail?




GEORGES-ANDRE CARREL: Les deux écoles nous ont
donné deux missions. Donner un rôle au corps dans la formation de
la personne et tout faire pour intégrer l'étudiant dans la société,
en particulier au niveau du sport collectif. Mon rôle et celui de
mes collègues est d'organiser, de gérer, de former et d'enseigner
le sport à la communauté universitaire (22'000 personnes). Nous
proposons 82 sports pour une pratique libre et facultative.
Actuellement, plus de 55% des étudiants (10'000 personnes)
pratiquent un sport environ 2 fois par semaine.

"Un ardent défenseur du sport de masse"

tsrsport.ch: Quelle philosophie du sport
transmettez-vous dans votre travail?




GEORGES-ANDRE CARREL: C'est très clair! Créer un
environnement sain et sûr pour une pratique basée sur le plaisir,
le partage, l'ouverture. Je suis d'abord un ardent défenseur du
sport de masse. Je pense que l'étudiant vient rechercher dans le
sport un juste équilibre par rapport au travail intellectuel. Mais
bien sûr, comme notre organe faîtier est la fédération suisse du
sport universitaire et que des compétitions sont organisées, nous
devons aussi donner une place à la pratique de la performance, du
sport de compétition, selon les mêmes règles, dans un environnement
sain.



tsrsport.ch: Vous êtes impliqué dans le
volley. Quel est l'état de ce sport en Suisse?




GEORGES-ANDRE CARREL: Les efforts de Swiss
Volleyball ont surtout porté ces dernières années sur le beach
puisque ce sport a rencontré le succès avec la médaille de
Heuscher/Kobel aux JO d'Athènes ou le parcours des frères Laciga.
Le volley indoor en a souffert, alors qu'à l'époque l'équipe
nationale féminine, que j'ai entraînée, avait remporté quelques
lauriers (bronze à la Coupe d'Europe de l'Ouest et aux Mondiaux
universitaires). Mais je pense que le faible niveau des équipes
nationales ne reflète pas le niveau des clubs, qui passent des
tours dans les Coupes d'Europe.

"Le volleyball est d'abord un sport que l'on joue"

tsrsport.ch: Le volley est un sport très
pratiqué, mais peu suivi par le public...




GEORGES-ANDRE CARREL: C'est vrai, le volley est
un sport très pratiqué, notamment parce qu'il est mixte. Il a la
chance d'avoir autant de succès chez les femmes que chez les
hommes. C'est vrai que c'est d'abord un sport que l'on joue. Mais
lorsqu'on vit des événements particuliers, comme l'an passé la
finale du championnat entre le LUC et Amriswil, il y a entre 1500
et 2000 spectateurs. Il peut aussi rassembler des foules.
Toutefois, contrairement au foot où les stades sont adaptés au
sport spectacle, ce n'est pas le cas pour le volley, qui se joue
dans des salles d'école.



tsrsport.ch: Etes-vous prêt à voir le volley
devenir un sport spectacle?




GEORGES-ANDRE CARREL: Pas à n'importe quel prix,
sans perdre son âme. Il faudrait aussi respecter un nombre
d'étrangers dans les équipes, qui soit partagé par l'ensemble des
formations. Je pense que c'est important. Je crois aussi que si
nous voulons accueillir les grands médias, notamment la TV, nous
devons offrir des salles et des zones qui permettent de filmer avec
un éclairage et une zone d'accueil qui correspondent au sport qu'on
regarde. Si on va en Italie, notamment, où le volley a un succès
magnifique, cela devient indiscutablement un autre sport...

"Augmenter le nombre de joueurs suisses dans l'élite"

tsrsport.ch:

On parle d'augmenter la LNA à 10
équipes en 2010-2011. Votre avis
?



GEORGES-ANDRE CARREL:

Je suis un des seuls
représentants des clubs phares à avoir voté oui. Naefels, Chênois
et Amriswil s'y sont opposés. Je suis pour la régionalisation, afin
d'augmenter le nombre de joueurs suisses susceptibles de jouer en
élite. Il est clair qu'au début, le bas de la LN subira une baisse
de niveau, mais ça ne changera rien au niveau général. Il y aura
toujours 4 ou 5 équipes qui lutteront pour le titre. Mais au moins,
on aura un véritable championnat pour les viennent-ensuite (places
5-10), qui fonctionnent avec des budgets moins élevés.



tsrsport.ch:

En volley comme ailleurs,
l'argent est le nerf de la guerre
!



GEORGES-ANDRE CARREL:

C'est clair, et avec la
crise, l'entier du sport va être touché. Tous les clubs qui n'ont
pas misé sur la formation et qui n'ont pas fait des budgets
sérieux, avec des charges qui ne dépassent pas les recettes, vont
vers la catastrophe. Moi, au LUC, je suis très strict là-dessus. On
engage des joueurs et on part dans un championnat avec le budget
qu'on a, même si on doit perdre des places. Au LUC, nous avons
divisé le budget lié au centre de formation et celui de l'équipe
d'élite. Il n'est pas question que notre centre souffre de la
démesure de la LNA.

"Le LUC a une culture, une philosophie"

tsrsport.ch: Malgré une politique sage, le
LUC a toujours joué un rôle en LNA...




GEORGES-ANDRE CARREL: C'est vrai. Le club a une
histoire, une culture, une philosophie. Il a aussi l'énorme chance
de se trouver dans un milieu universitaire. Donc, dès le début,
nous avons montré notre intention d'offrir ce challenge à des
étudiants désirant pratiquer du sport de haut niveau en parallèle
aux études. Le volley est un sport très pratiqué dans le milieu
universitaire et pour nous, il fallait respecter cette culture.
C'est ce que nous faisons maintenant depuis plus de 30 ans.



tsrsport.ch: Le club joue encore le titre.
Quoi qu'il arrive, la saison sera réussie?




GEORGES-ANDRE CARREL: Oui. Nous avons gagné la
Supercoupe. Pour le titre, je dis toujours que c'est difficile de
le gagner et encore davantage de le conserver. Des joueurs n'ont
pas compris qu'on repartait vierge dans la saison. Beaucoup étaient
très liés à McGown, notre entraîneur américain, qui était un
monument. Pourtant, nous avons essayé d'amener une différence en
engageant des nouveaux étrangers. Nous peinons collectivement.
Certains joueurs, qui ont déjà fêté des sacres, semblent avoir
moins faim. C'est tout le contraire à Amriswil. A nous de trouver
les valeurs humaines qui feront la différence.

"Veut-on vraiment lutter contre le dopage"

tsrsport.ch: Vous avez souvent pris
position sur le dopage. Quel est votre avis?




GEORGES-ANDRE CARREL: Il faut d'abord se demander
si les instances olympiques, les Fédérations internationales ont
véritablement envie d'assainir le sport. J'ai toujours le sentiment
que les voleurs ont de l'avance sur les gendarmes. Si on regarde
les contrôles positifs de Pékin, on a attrapé 4 chevaux et des
athlètes qui se dopaient avec des produits de l'ancienne
génération. Mais dans les stars, dans les 50 médailles d'or
chinoises, on n'a attrapé personne. De nouveau, le doute s'insinue
en moi et je me demande "veut-on vraiment lutter contre le
dopage?"



J'ai le sentiment qu'on devrait mettre des moyens colossaux pour
dépister vraiment les tricheurs. Cela nécessiterait un contrôle
journalier, un suivi longitudinal. Finalement, c'est terrible pour
notre jeunesse. Des fois,je me dis "laissons-les se "foutre en
l'air" avec les effets secondaires, mais quelle tristesse". C'est
pourquoi je crois encore au modèle du sport de haut niveau et
j'espère que les hommes eux-mêmes diront "j'en ai marre de cette
m...". On arrête de se péter et on revient à un sport où on ne
sautera plus 9m15 en longueur, 2m40 en hauteur et où on ne courra
plus le 100m en freinant à l'arrivée en 9"69!



Propos recueillis par Aline Gagnebin

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"Il ne faut pas me dire que Federer est dopé, sinon..."

tsrsport.ch: Quel regard portez-vous sur le sport en général?

GEORGES-ANDRE CARREL: La dernière grande compétition a été Pékin. Je suis ressorti des JO en ayant un peu perdu mon oeil innocent. Je n'ai pas pu m'enthousiasmer comme un enfant naïf devant le plaisir du jeu, de la course. Il y avait quelque chose de virtuel, de trop parfait. Il n'y a rien de pire que le doute dans la tête d'un spectateur ou d'un téléspectateur. J'apprécie la foulée d'un Bolt ou la longueur des brasses de Phelps, mais lorsque la ligne d'arrivée est franchie, je ne peux pas ne pas me poser la question "est-ce que c'était vraiment une performance humaine?".

Je me pose la question "est-ce que ce sont toujours des hommes, quelle est la part de la technologie mais aussi du dopage?" Je laisse mon oeil et mon coeur se promener sur le dernier ou autre chose. J'ai toujours dit qu'il ne faut pas me dire que Federer est dopé parce que je perdrais mon dernier ancrage de bonheur dans le sport. Quand je vois le Bâlois s'effondrer sur le court en pleurant parce qu'il a gagné ou perdu un Grand Chelem, j'ai à faire à quelqu'un qui est un peu mon semblable. Un gamin qui a perdu un match de foot dans une cour d'école et qui a laissé le sport à sa vraie dimension.

"Wawrinka était un peu la pompe à vélo de Federer"

tsrsport.ch: Finalement, la belle image des JO aura été le sacre de Federer en double...

GEORGES-ANDRE CARREL: C'est une des grandes images des Jeux, avec un formidable Wawrinka qui était un peu la pompe à vélo de Federer. Il y avait un juste retour des choses, une leçon d'humilité, une magnifique leçon humaine. Il y avait quelque chose de vrai dans lequel je me suis tout à fait retrouvé. Ces images-là, j'en redemande. Je redemande ce côté un peu infantile qu'a Simon Ammann après un saut. C'est du sport, du sport à dimension humaine. Même si l'exploit est là, même si Federer est un extraterrestre dans son sport, on peut encore toucher.

Georges-André Carrel express

La première chose que vous faites le matin: je mets les pieds sur le sol et je me dis "quelle chance j'ai. Une nouvelle journée à vivre".

Principale qualité: j'aime l'Homme.

Principal défaut: mon souci de perfection qui peut irriter.

Meilleur souvenir: mon mariage, la naissance de mes enfants.

Moins bon souvenir: le décès de mon père et de quelques amis importants pour moi. Les défaites et les victoires ne sont pas à ce niveau. Cela permet de remettre le sport à sa juste place.

Le volley, c'est: un jeu. Un jeu ou la passe est un élément primordial. Et je pense que le plus beau geste du sport, c'est la passe.

Devise: faire corps avec sa tête.

Si vous n'aviez pas été dans le sport: j'aurais été enseignant, ou dans le social. Un métier en rapport avec l'Homme.

Fan de: en sport, Roger Federer. Clint Eastwood au cinéma. Et j'aurais bien passé une soirée avec Mozart.