Les bulletins météo parlent constamment de ce qui se passe au-dessus de l’Europe et du Proche-Atlantique, ils n’évoquent que rarement sur ce qui se passe juste au-dessus des Pôles, au niveau de la stratosphère. Le sujet ne manque pourtant pas d’intérêt :
La stratosphère se distingue de la troposphère par de faibles quantités de vapeur d’eau mais également par une hausse progressive des températures au fur à mesure que l’altitude croît. Lesquelles passent d’environ -70°C vers 11'000 m, à 0° - parfois plus -vers 50'000 m. Dans cette couche spécifique de l’atmosphère, cette hausse s’explique par la présence de fortes quantités d’ozone, qui absorbent les radiations ultraviolettes du soleil.
En hiver, la stratosphère a également la particularité de former une circulation fermée au-dessus des pôles, d’où l’apparition du fameux « vortex stratosphérique polaire » qui se développe entre 15 et 25 km d'altitude lorsque la nuit polaire s'installe et que les températures commencent à baisser.
Ce vortex s’organise autour de vents d’Ouest assez violents - atteignant parfois les 300 km/h - et qui portent le nom de « jet de la nuit polaire». Ce dernier perd généralement de son intensité à la fin de l’hiver ou au début printemps, pour laisser place en été à un courant d’Est.
Vortex sensible aux courants d’Ouest
Malgré sa puissance, ce vortex est parfois perturbé par les ondulations des courants d’Ouest qui se trouvent à nos latitudes. Lorsqu’elles s’accentuent, ces dernières peuvent en effet provoquer un effondrement rapide du jet de la nuit polaire. Un peu comme une vague qui déferle en prenant de l’ampleur.
Les différentes études qui ont été menées à ce jour mettent l’accent sur les mouvements verticaux qui accompagnent les ondulations des courants d’Ouest (appelées ondes de Rossby) pour expliquer cette bascule soudaine. L’allure du vortex au-dessus du Pôle peut également jouer en rôle, en particulier lorsqu’il prend une forme allongée. Théories expliquées par exemple dans l’étude de Varavut Limpasuvan, David T. Thompson et Dennis L. Hartmann, publiée dans l’AMETSOC en 2004.
Phénomène de hausse de température en cours
En s’effondrant sur la zone arctique, l’air contenu dans le vortex passe dans un champ de pressions plus élevé et subit de fortes compressions, d’où une hausse des températures qui peut aller jusqu’à 50°C (phénomène comparable à celui qui se produit lorsque de l’air est compressé dans une pompe à vélo). On parle alors de « réchauffement stratosphérique polaire soudain ». Au cours de ce processus qui ne dure que quelques jours, les vents d’Ouest faiblissent et laissent place à un courant d’Est. Au fur et à mesure que le temps passe, ces ondulations - qui agissent comme des coups de buttoirs – font progresser cette circulation d’Est vers le bas.
En arrivant vers le sommet de la troposphère, cette dernière finit par interagir avec les systèmes météorologiques qui conditionnent le temps en Europe, provoquant un affaiblissement des courants d’Ouest mais également un décalage du Jet Stream Nord-Atlantique vers le Sud. Cette situation a pour effet de réduire la portée des courants doux océaniques sur le Nord et le Centre de l’Europe, au profit des courants d’Est continentaux ou des courants de Nord. Ce qui est le préalable des épisodes neigeux et des vagues d’air froid.
De tels événements ont par exemple été observés pendant l’hiver 2011-2012, ou plus récemment pendant l’hiver 2018-2019. Dans un cas comme dans l’autre, la mise en place des courants d’Est ou des courants de Nord s’est traduite par une baisse notable des températures. Le mois de janvier 2019 a ainsi été le plus froid des 30 dernières années en montagne, sur les versants Nord des Alpes.
Il convient cependant de préciser que d’une situation à l’autre, la portée et la localisation des vagues d’air froid peut singulièrement changer. Parfois, ces bascules n’ont que peu d’influence sur la Suisse.
Réchauffement stratosphérique en cours
Les observations de ce début de semaine montrent des températures proches des -60°C au-dessus de l’Europe mais une poche d’air chaud apparaît entre la Sibérie et le Pôle-Nord, avec des températures avoisinant les -10°C. Une baisse notoire des régimes de vents apparaît également au niveau de la stratosphère (voir ci-dessous).
En regardant de plus près la répartition des pressions à cette même altitude, le vortex subit par ailleurs une contrainte depuis le Nord du Pacifique et depuis l’Europe (voir ci-dessous).
Parallèlement, deux zones dépressionnaires se sont formées, la première sur le Groenland, la seconde sur le Nord de la Sibérie.
L’image ci-dessous montre sur la partie bleue de la courbe les forces de vents observées depuis le mois de juin, et sur la courbe rouge les forces de vents prévues par le modèles américain GFS pour les semaines à venir. Lesquels devraient rester relativement faibles ces prochaines semaines, avec un impact non négligeable sur la circulation générale des courants à nos latitudes.
Scénario de hautes pressions et de temps assez doux pour la Suisse
En période hivernale, les phénomènes de réchauffement stratosphérique soudain s’accompagnent souvent de vagues d’air froid sur l'Europe. Mais la situation est différente au printemps, dans la mesure où le vortex polaire a naturellement tendance à se résorber, avec le retour progressif de la lumière sur l’hémisphère-Nord.
De fait, les observations de ces dernières années montrent que ces réchauffements « tardifs », à cette période de l'année, n’entraînent pas forcément des vagues d’air froid et qu’il peut y avoir de fortes différences d’un cas à l’autre.
Le dernières analyses proposées par le site www.severe-eather.eu montrent une certaine persistance des conditions actuelles, caractérisées par la présence de basses pressions sur le Nord de la Sibérie et sur l’Est du Canada pendant le mois d’avril (voir ci-dessous).
Il y aura probablement des aléas mais en Europe, les conditions devraient être dictées par une dominante de hautes pressions pendant cette même période. Les températures devraient également être au-dessus de la norme.
Les prévisions d’ensemble du modèle européen (ECMWF) pour Fribourg, confortent cette idée pour la quinzaine à venir. Les précipitations devraient en effet être assez faibles sur l’ensemble de la période. De leur côté, les températures continueront de passer la barre des 12°C à 14°C l’après-midi. Des 20°C pourraient même être atteints début avril.
Un signal de temps assez doux, certes. Mais qui ne doit pas faire oublier qu’à cette période de l’année, les gels matinaux restent assez fréquents. Surtout après une nuit claire !
Philippe Jeanneret