Les situations de fortes bises sont assez fréquentes sur le Plateau. Des pointes à plus de 90 km/h sont parfois enregistrées en plaine mais à l’image des événements du 8 mars 2010 où les rafales n’ont pas dépassé les 96 km/h à St-Prex (VD), des vents à plus 100 km/h sont assez rares. En altitude, ces derniers peuvent en revanche être plus violents, dépassant parfois les 130 km/h.
Au regard des ces éléments, la situation du 25 avril 1972 apparait comme assez exceptionnelle : les systèmes de mesures étaient loin d’être aussi perfectionnés qu’aujourd’hui mais les archives de Météosuisse font état de pointes à près de 130 km/h en plaine et 150 km/h à la Dôle.
Autre chiffre révélateur, le vent moyen à Nyon (VD) sur 24 heures qui était de 80 km/h. Chiffre supérieur à celui qui a été enregistré 27 ans plus tard, au passage de la tempête Lothar.
Dans son ouvrage « Climat et Météorologie de Suisse-romande » (Payot 1972), Max Bouët apporte également un témoignage intéressant : « Au Mont-sur-Lausanne (VD), j’ai mesuré la vitesse de déplacement des ombres portées sur le sol par les petits cumulus entraînés par le courant de nord-est au niveau de 1200 m environ: à 8h, elle était de 120 km/h ». Au sol même, cette vitesse devait être un peu inférieure, ce qui porte l’estimation à 110 km/h...
Fort gradient de pressions au sol associés à une descente d’air froid
La carte au sol du 25 avril 1972 montre que la Suisse se trouve entre un anticyclone sur les îles britanniques affichant 1025 hPa et une dépression sur le Nord de l’Italie avec un centre à 1000 hPa environ.
Signature assez classique à ce genre d'évènement, les courants de Nord-est s’accompagnent d’une forte baisse des températures, lesquelles ne dépassent guère les 5 à 6 degrés en plaine ce jour-là. Les vents sont par ailleurs orientés au Nord-est à toutes les altitudes.
Au-delà des vents et de la sensation mordante de froid qu’ils génèrent, les archives de l’Institut Suisse de Météorologie (remplacé quelques années plus tard par Météosuisse) font état de chutes de neige jusqu’à 400m. Autant d’éléments qui portent à croire que la situation du 25 avril 1972 est l’une des plus extrêmes dans la catégorie « bise », depuis le début des mesures, voire la plus extrême.
De nombreux dégâts en Suisse-romande
De nombreux arbres sont arrachés ce jour-là sur le Plateau et en région lémanique. La ligne des CFF est temporairement interrompue entre Genève et Lausanne, à cause d’un échafaudage qui s’est effondré sur la voie ferrée. Les trains ont parfois deux heures de retard, les quotidiens romands s'en font largement l'écho dans leurs éditions du 26 avril.
A Genève, les pompiers doivent intervenir à plus de 200 reprises pour sécuriser des toitures, mises à mal par les éléments, ou pour dégager les nombreux débris qui jonchent les rues, des amas de tôles sont même tombés sur une ligne de trolleybus dans le centre-ville. Pour la petite histoire, les pompiers genevois étaient en grève à cette époque…
Sur le petit-lac, les vagues atteignent facilement les deux mètres avec une amplitude d’environ 25 mètres. Près des rives, les amarres des embarcations finissent par lâcher : une dizaine de bateaux sont emportés et finissent par couler.
Même scènes de chaos à Lausanne, où la police est submergée par les appels. De nombreuses tuiles s’envolent depuis le toit de la Cathédrale, qui est littéralement « décoiffée ». Les autres cantons ne sont pas épargnés non plus : à Fribourg, près des Charmettes, une toiture de 600 mètres carrées s’est envolée et a traversé une route cantonale. Les dégâts sont estimés à 30'000.- frs, somme non-négligeable à l’époque ! Dans le canton de Neuchâtel, de nombreux arbres sont arrachés, les toits sont également endommagés.
Au bout du lac de Neuchâtel, la violence des vagues est telle que la digue est sévèrement endommagée dans le port de Grandson (VD). Des dégâts sont également signalés dans le port de St-Gingolph. Les vents ont également été assez dévastateurs le long du Jura, où les rafales ont été encore plus fortes que sur le Plateau. Ironie du sort, la tempête le coup de vent se produit le jour où se réunissent les communes sinistrées par la tornade de la vallée du Joux du 26 août 1971.
Certes, les vents n’ont pas été aussi violents qu’avec la tempête Lothar, le 26 décembre 1999, mais les comptes rendus faits dans la plupart des journaux attestent du caractère exceptionnel de cette situation. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, ces derniers peuvent être consultés sur le site de la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne. Une véritable mine d’or !
Philippe Jeanneret, avec le concours d’André-Charles Letestu de Météosuisse