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Comment la Niña pourrait influencer notre hiver

Anomalies de températures observées à la surface de l'océan en septembre 2024. [NOAA/NCEP - Géraldine Malherbe]
Anomalies de températures observées à la surface de l'océan en septembre 2024. - [NOAA/NCEP - Géraldine Malherbe]
L’avènement d’un épisode de type la Niña ces prochaines semaines pourrait avoir un impact sur l’hiver européen. La position du jet stream pourrait ainsi être favorable à une situation de hautes pressions sur l’Ouest de l’Europe. Le vortex polaire, qui assure le maintien des courants d’Ouest, pourrait quant à lui être affaibli. Explications.

Après un épisode de type El Niño qualifié de modéré à fort, les conditions semblent à nouveau favorables à des conditions de type la Niña. Signature classique dans ce genre d’évènement, des anomalies froides apparaissent à la surface de l’océan sur le Pacifique central ainsi qu’au large de l’Equateur et du Pérou (ci-dessus).

Selon les dernières prévisions du Climate Prediction Center américain, la probabilité qu’un évènement de type la Niña se produise d’’ici à la fin de l’automne est de l’ordre de 60%. Il devrait être de faible intensité et durer jusqu’au printemps (ci-dessous). La probabilité qu’un épisode El Niño se développe à nouveau pendant cette période est négligeable.

Probabilité d'avènement d'un épisode de type El Niño ou la Niña entre septembre 2024 et juillet 2025 [NASA/NOAA/NCEP]
Probabilité d'avènement d'un épisode de type El Niño ou la Niña entre septembre 2024 et juillet 2025. [NASA/NOAA/NCEP]

Le phénomène La Niña se manifeste par un refroidissement à grande échelle des eaux de surface dans le centre et l’est du Pacifique équatorial, associé à des variations de la circulation atmosphérique tropicale, autrement dit des vents, de la pression et des précipitations. Les effets de la Niña varient en fonction de l’intensité et de la durée des épisodes ainsi que de la période de l’année à laquelle ils se produisent.

La Niña devrait amener un temps assez humide sur l'Afrique australe, l'Asie du Sud-Est ou l'Australie entre décembre 2024 et août 2025. Au-delà des régimes de précipitations, l’épisode à venir devrait favoriser la formation d’un système de haute pression sur le Pacifique Nord, ce qui devrait déplacer le courant-jet sur le Canada et le Nord Nord des États-Unis (ci-dessous).

Position moyenne du jet-stream sur le Canada et les Etats-Unis pendant l'hiver 2024-2025, prévue par la NOAA. [NOAA/NCEP - René Rappaz]
Position moyenne du jet-stream sur le Canada et les Etats-Unis pendant l'hiver 2024-2025, prévue par la NOAA. [NOAA/NCEP - René Rappaz]

Les conditions devraient ainsi être assez froides sur le Canada et le Nord des États-Unis. A l’inverse, les températures devraient être plus élevées sur les zones situées au Sud et à l’Est. Un temps plus sec que la normale devrait également prévaloir de la Californie jusqu’à la Floride, en passant par le Texas et la Louisiane.

Un impact également sur les conditions européennes

Les hivers européens dépendent beaucoup de la répartition des pressions et des températures entre les régions arctiques et l’Atlantique-Nord. L’étendue du manteau neigeux sur les grands plateaux continentaux et l’extension des glaces sur l’Arctique jouent également un rôle. Mais la Niña pourrait s'immiscer à ces rouages dans les semaines à venir.

Parallèlement au creusement du jet stream sur le Canada et le Nord des États-Unis, les dernières prévisions saisonnières du Centre européen (ECMWF) montrent en effet la présence d’une zone de hautes pressions entre les côtes américaines et le Vieux Continent (ci-dessous).

Anomalies de pressions en altitude, prévues par le Centre Européen pour l'hiver 2024-2025. Les flèches en bleu indique l'allure générale des courants. [ECMWF - Valérie Surdez]
Anomalies de pressions en altitude, prévues par le Centre Européen pour l'hiver 2024-2025. Les flèches en bleu indique l'allure générale des courants. [ECMWF - Valérie Surdez]

Les zones en rouge soulignent les anomalies positives de pressions en altitude, tandis que les flèches bleues montrent l’allure générale des courants. Dans cette configuration, les perturbations devraient circuler entre l’Est du Canada et l’Islande. De son côté, l’Europe devrait plutôt se trouver sous un régime de hautes pressions.

Toujours selon le Centre européen, les quantités de précipitations dans les Alpes devraient être dans la norme, voire légèrement au-dessus. Quant aux températures, elles devraient rester relativement douces (ci-dessous).

Anomalies de températures (à gauche) et de précipitations (à droite), prévues par le Centre Européen pour l'hiver 2024-2025. [ECMWF - Géraldine Malherbe]
Anomalies de températures (à gauche) et de précipitations (à droite), prévues par le Centre Européen pour l'hiver 2024-2025.  [ECMWF - Géraldine Malherbe]

Sur ces derniers points, la prudence reste cependant de mise : contrairement aux régions proches de l’équateur, la fiabilité des prévisions saisonnières pour l’Europe sont en général assez mauvaises dans le domaine des précipitations. Et l’avènement d’une vague d’air froid, entre janvier et février, n’est pas exclu.

La Niña pourra influencer le vortex polaire cet hiver

Les dernières sorties du Centre européen misent sur des températures supérieures à la normale en Europe pour l’hiver à venir mais les statistiques donnent un signal différent. Les chiffres montrent en effet qu’un épisode de type la Niña a 60 à 75 % de chances de produire un événement d'échauffement stratosphérique polaire. Ce qui peut avoir des conséquences assez importantes :

En hiver, la circulation des courants d’Ouest dépend du « vortex polaire » qui se forme dès l'automne au-dessus du Pôle Nord. Circulant à environ 30'000 mètres lorsque les températures avoisinent les -70 à -80°C, ce dernier s'organise autour de vents d’Ouest assez violents, atteignant parfois les 300 km/h et portant le nom de « jet de la nuit polaire ». Il perd généralement de son intensité au début printemps.

Position du vortex polaire et circulation des courants au niveau de la stratosphère en hiver. [NOAA - Françoise Tissot-Daguette]
Position du vortex polaire et circulation des courants au niveau de la stratosphère en hiver. [NOAA - Françoise Tissot-Daguette]

La présence d’un puissant vortex polaire favorise la tenue des courants d’Ouest qui circulent plus bas dans l’atmosphère mais il y a parfois des interactions : le phénomène se produit lorsque les courants d’Ouest ondulent avec une forte amplitude, à l’image d’une vague qui déferlent en prenant de l’ampleur ces derniers peuvent provoquer un effondrement du vortex polaire.

En s’effondrant sur la zone arctique, l’air contenu dans le vortex passe ainsi dans un champ de pressions plus élevées et subit de fortes compressions, d’où une hausse des températures au niveau de la stratosphère, qui peut aller jusqu’à 50°C (phénomène comparable à celui qui se produit lorsque de l’air est compressé dans une pompe à vélo). On parle alors de « réchauffement stratosphérique polaire soudain » (ci-dessous). Au cours de ce processus qui ne dure que quelques jours, les vents d’Ouest faiblissent et laissent place à un courant d’Est.

Températures du vortex polaires en janvier 2018 (à gauche) et en janvier 2019 (à droite). [NOAA/GFS/Meteociel.fr - Markus Peissard]
Températures du vortex polaires en janvier 2018 (à gauche) et en janvier 2019 (à droite). [NOAA/GFS/Meteociel.fr - Markus Peissard]

Au fur et à mesure que le temps passe, cette circulation d’Est progresse vers le bas et finit par interagir avec les systèmes météorologiques qui conditionnent le temps en Europe, provoquant un affaiblissement général des courants.

Cette situation a surtout pour effet de réduire la portée des courants doux océaniques sur le Nord et le Centre de l’Europe, au profit des courants d’Est continentaux ou des courants de Nord (ci-dessous). Ce qui est le préalable des épisodes neigeux et des vagues d’air froid.

Températures à 850 hPa (1500 m) et position du jet stream le 23 janvier 2019. [NOAA/GFS/Meteociel.fr - Valéry Héritier]
Diapositive9.JPG [NOAA/GFS/Meteociel.fr - Valéry Héritier]

De tels événements ont par exemple été observés pendant l’hiver 2011-2012, ou plus récemment pendant l’hiver 2018-2019. Dans un cas comme dans l’autre, la mise en place des courants d’Est ou des courants de Nord s’est traduite par une baisse notable des températures, alors qu’un épisode de type la Niña était en cours.

D’où l’idée que le scénario d’un hiver européen plus doux que la normale doit être traité avec la plus grande circonspection.

Philippe Jeanneret

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