L’éruption du Pinatubo a montré que la formation massive d’aérosols d’acide sulfurique dans la stratosphère pouvait absorber et réfléchir le rayonnement solaire au point de faire baisser la luminosité d’environ 10% à la surface terrestre. Selon les estimations, le phénomène a provoqué une diminution de la température moyenne au sol entre 0,5 et 0,6 °C dans l’hémisphère-nord et 0,4 °C sur tout le globe.
Depuis un certain nombre d’années, les scientifiques tentent de comprendre, dans quelle mesure l’injection d’aérosols dans la stratosphère - par avion ou par l’usage de ballons météorologiques -, pourrait avoir un effet similaire et faire baisser la température terrestre, ou du moins contenir le réchauffement en cours.
Les recherches menées à ce jour montrent que la plupart des obstacles logistiques peuvent être surmontés et qu’il serait possible d’agir sur le climat. L’option est même qualifiée d’extraordinairement bon marché » par l’économiste Scott Barret, qui estime qu’elle serait bien moins chère que tous les investissements pour réduire les émissions de CO2.
Mais en y regardant de plus près, la solution est loin d’être satisfaisante : l’emploi de particules de sulfate, préconisé par la plupart des études, en raison de leur coût peu élevé, pourrait par exemple provoquer des pluies acides, dévastatrices pour les forêts. La présence de grandes quantités de sulfate dans la stratosphère devrait également appauvrir la couche d’ozone, ce qui pourrait perturber la circulation générale des courants dans les couches inférieures de l’atmosphère.
Afin de lever les doutes, une équipe de l’EPFZ, dirigée par un post-doctorant, Sandro Vattioni, a tenté de savoir si d’autres matériaux étaient susceptibles d’être utilisés. Elle a passé en revue 6 types de substances, parmi lesquelles le dioxyde de soufre ainsi que les poussières de diamant, d’aluminium et de calcite, qui est l’ingrédient principal du calcaire.
Les effets de chaque type de particules ont été évalués par le biais de simulations numériques, le tout sur des périodes de 45 ans. Les calculs ont tenu compte des propriétés chimiques de chacune d’entre elles, de leur manière de se déplacer dans l’atmosphère, de leur faculté à absorber ou à réfléchir la chaleur mais également d’autres propriétés microphysiques moins étudiées comme la sédimentation. L'étude a été publiée dans la revue Advancing Earth and Space Science.
Les résultats ont montré que les particules de diamant étaient les plus efficaces pour réfléchir le rayonnement tout se maintenant en altitude et en évitant les phénomènes d’agglomération. Le diamant est également considéré comme chimiquement inerte, ce qui signifie qu’il ne réagirait pas pour former des pluies acides, comme le soufre. Avantage non-négligeable.
Seulement voilà, pour atteindre 1,6 °C de refroidissement, 5 millions de tonnes de particules de diamant devraient être injectées dans la stratosphère chaque année, explique Sandro Vattioni. Une telle quantité nécessiterait une augmentation considérable de la production de diamants synthétiques dans le monde.
Le coût de l’opération serait énorme : avec un prix de 500 000 dollars à la tonne, l’emploi de poussière de diamant synthétique coûterait environ 175 milliards de dollars pour une utilisation entre 2035 et 2100, soit 2 400 fois plus qu’en utilisant du soufre. Vu sous cet angle, le projet a peu de chance de se réaliser.
Injection d’aérosols dans la stratosphère : des avantages mais surtout des risques
L’option consistant à injecter de grandes quantités d’aérosols dans la stratosphère pour refroidir la planète a séduit un certain nombre de décideurs, comme Bill Gates qui propose avec le projet SCoPEx de pulvériser de la poussière de carbonate de calcium (CaCO3) non toxique dans l’atmosphère pour réfléchir la lumière solaire. Mais nombre de scientifiques on lancé des mises en garde :
Une étude publiée dans la revue Nature en 2017 montre par exemple que des émissions massives d’aérosols dans la stratosphère pourraient à terme bouleverser les équilibres dans la circulation générale des courants, notamment le régime des pluies : certaines régions du globe pourraient ainsi connaître des inondations, d’autres des sécheresses, avec un impact non-négligeable sur la sécurité alimentaire.
Plus grave, si les émissions d’aérosols cessent au bout de quelques années alors que les concentrations de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, la hausse de la température terrestre sera encore plus violente. Autant de raisons qui poussent à la retenue.
Recherches nécessaires malgré tout
Certes, les risques de la géo-ingénierie sont régulièrement mis en évidence. Mais nombre de questions restent en suspens, comme l’impact réel des émissions d’aérosols sur la circulation générale des courants et le changement possible du régime des pluies de part et d’autre.
Afin d’y répondre, le Congrès américain a demandé en 2020 à la NOAA de lancer un programme de recherche pluriannuel pour « étudier les activités naturelles et humaines qui pourraient modifier la réflectivité de la stratosphère et leur impact potentiel sur le système climatique de la Terre ».
La NOAA a ainsi lancé le programme de mesure scientifique SABRE utilisant l'avion de recherche WB-57 de la NASA pour étudier le transport, la chimie, la microphysique et les propriétés radiatives des aérosols dans la haute troposphère et la basse stratosphère.
L’étude de l’EPFZ s’inscrit en complément. « Des recherches comme celle-ci, qui évaluent les avantages et les inconvénients de différents matériaux de géo-ingénierie, sont vraiment précieuses », explique Shuchi Talati, directeur exécutif de l’Alliance for Just Deliberation on Solar Geoengineering. « Il faut comprendre la physique des particules potentielles à un stade précoce pour pouvoir ensuite discuter des impacts plus larges. »
Bref, des recherches nécessaires pour mieux informer le public et surtout permettre aux politiciens de prendre les décisions en connaissance de cause.
Philippe Jeanneret