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Le glacier du jugement dernier attendra...

Vue de l'Antarctique depuis l'espace le 21 septembre 2005 [NASA]
Vue de l'Antarctique depuis l'espace le 21 septembre 2005 - [NASA]
Situé en Antarctique, le glacier de Thwaites est l’un des plus surveillés au monde. En cas de fonte, il pourrait à lui seul faire monter le niveau des océans de 65 centimètres. Mais selon les conclusions d’un consortium international de recherche, un tel scénario ne serait pas envisageable avant plusieurs décennies. Voici pourquoi.

Surnommé « le glacier du jugement dernier » le glacier de Thwaites a une surface comparable à celle de l’Angleterre ou de la Floride.  Il forme une barrière de glaces alimentée par un courant glaciaire permettant à une partie des glaces de l’inlandsis Ouest-Antarctique de s'évacuer vers la mer d’Amundsen.

Les scientifiques ont découvert dans les années 1970 que ce glacier repose sur des vallées bordées de reliefs situés au-dessous du niveau de la mer, d’où la crainte d’un scénario-catastrophe. Si les glaces qui se trouvent en profondeur à proximité de ces reliefs se retirent, les eaux des océans pourraient pénétrer à l’intérieur des vallées, générer un réchauffement de grande ampleur. Et provoquer un effondrement.

Localisation du glacier de Thwaites en Antarctique
Localisation du glacier de Thwaites en Antarctique

Au-delà de la dislocation du glacier de Thwaites, qui pourrait provoquer une hausse du niveau de l’océan de 65 centimètres, les calottes glaciaires situées en amont pourraient également être soumises à un processus de retrait, ce qui provoquerait une hausse totale du niveau de l’océan de 3 mètres environ. Le scénario est pris très au sérieux dans la mesure où la fonte du glacier semble s’accélérer depuis le début des années 2000.

Effondrement du glacier peu probable d’ici à la fin du siècle

Afin étudier le comportement du glacier et comprendre dans quelle mesure son effondrement pourrait faire monter le niveau de l’océan, un consortium de recherche, l'International Thwaites Glacier Collaboration (ITGC), a été créé en 2018.

Les équipes qui le composent mènent depuis plusieurs années des campagnes de mesures sur le terrain, au moyen de submersibles télécommandés et de systèmes de télédétection. Elles disposent également d’outils informatiques pour effectuer des simulations. Les résultats de leurs recherches ont été divulgués la semaine passée lors du British Antarctic Survey (BAS) de Cambridge, en Angleterre.

Cartographie des glaces et des reliefs à proximité du glacier de Thwaites [Wikipedia/UTGC/Jennifer Matthews (IGPP) at Scripps Institution of Oceanography. - Nikolaj Bock]
Cartographie des glaces et des reliefs à proximité du glacier de Thwaites [Wikipedia/UTGC/Jennifer Matthews (IGPP) at Scripps Institution of Oceanography. - Nikolaj Bock]

Les conclusions préliminaires des groupes de modélisation suggèrent que dans les prochaines décennies, le glacier de Thwaites devrait continuer de reculer, contribuant à une élévation du niveau de 6 centimètres d’ici à 2100 – ce qui est loin d’être négligeable -, mais il ne devrait pas s'effondrer.

« Un scénario-catastrophe semble peu probable d’ici à la fin du siècle. Et ce quand bien même l'humanité s’arrêtait soudainement d’émettre des gaz à effet de serre », explique Daniel Goldberg, glaciologue informatique à l'Université d'Édimbourg et co-auteur du rapport.

L’affirmation repose en grande partie sur la mesure des épaisseurs de glace sur plusieurs années d’intervalle, grâce à l’utilisation d’un radar. « Les équipes ont découvert que pendant tout ce temps l'épaisseur du glacier n'a pas changé de manière substantielle » expliquent Erin Pettit, glaciologue à l'Université d'État de l'Oregon et Mathieu Morlighem, spécialiste des calottes glaciaires au Dartmouth College. « Les taux de fusion que nous avons pu mesurer sont partout proches du zéro. Le retrait du glacier semble être entraîné par la fracturation plutôt que par la fonte. Processus qui semble assez lent ».

Dans le cadre d’une étude parallèle, les chercheurs ont également prélevé des échantillons de roches sous la glace pour déterminer en laboratoire quand ces derniers avaient été exposés pour la dernière fois au rayonnement solaire. Les analyses montrent que le glacier de Thwaites était plus mince d’au moins 35 mètres il y a quelques milliers d'années. Cette découverte suggère qu’il peut se remettre d’une perte de masse.

Autre élément, une équipe a procédé à l’extraction de noyaux de sédiments sous-marins pour déterminer les phases de progression et de régression du glacier de Thwaites au cours des derniers siècles. Dans une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, les chercheurs ont découvert que la dernière phase de retrait a commencé dans les années 1940, bien avant la vague de réchauffement moderne. Le phénomène s’expliquerait par un fort El Niño sur le Pacifique.

À plus long terme, les perspectives sont plus sombres : dans les pires scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, le glacier de Thwaites et les nombreuses calottes glaciaires qui en dépendent pourraient s'effondrer d'ici 2300, ajoutant plus de 4 mètres au niveau de la mer, selon une estimation publiée ce mois dans Earth's Future.

Vue aérienne du glacier de Thwaites [Wikipedia/NASA]
Vue aérienne du glacier de Thwaites [Wikipedia/NASA]

Des zones d’incertitudes subsistent malgré tout. Au-delà des terrains difficiles d’accès à cause de leur instabilité, la pandémie a ralenti les campagnes de mesures en 2020. « Nous avons obtenu des données, mais pas autant qu’espéré », déclare Sridhar Anandakrishnan, un sismologue glaciaire à l'Université d'État de Pennsylvanie qui a dirigé l'un des projets. « Nous ne sommes pas en mesure de décrire de manière précise ce qu’il adviendra du glacier de Thwaites dans les prochaines décennies ».

Des points qui vont probablement rester en suspens. Aux dernières nouvelles, le Fond National américain pour la Science (NSF), l’un des principaux soutiens de l’ITGC, a décidé réduire les budgets pour la recherche en Antarctique.

Philippe Jeanneret, avec le concours du magazine Science

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