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Les réserves d’eau douce sur Terre ont chuté depuis 2014.

Vue de l'Aborgne à Villaz-Saint-Pierre (FR) [RTS - Fred Betticher]
Vue de l'Aborgne à Villaz-Saint-Pierre (FR)  - [RTS - Fred Betticher]
En analysant des données satellite de la NASA, une équipe internationale de chercheurs a découvert que la quantité totale d’eau douce sur Terre a chuté brusquement à partir de mai 2014. Le réchauffement climatique est pointé du doigt.

Les quantités d’eau douce sur Terre, à l'exclusion des calottes glaciaires et des glaciers, ont diminué de manière drastique depuis 2014, révèle une équipe internationale de chercheurs dans un rapport publié il y a quelques jours par le journal Surveys in Geophysics. Le constat s’appuie sur les observations des satellites Gravity Recovery and Climate Experiment (GRACE), exploités par le Centre aérospatial allemand, le Centre allemand de recherche en géosciences et la NASA.

Les satellites GRACE mesurent les fluctuations de la gravité de la Terre à des échelles mensuelles, lesquelles permettent de mesurer les changements des quantités d’eau en surface et sous les sols (pour en savoir plus, cliquez sur ce lien). Une première génération de satellites GRACE a volé de mars 2002 à octobre 2017. Une seconde génération, GRACE-Follow ON a été mise en orbite en mai 2018.

Satellite Grace en orbite (vue d'artiste). [NASA/JPL-Caltech]
Satellite Grace en orbite (vue d'artiste). [NASA/JPL-Caltech]

« De 2015 à 2023, les mesures effectuées par satellite ont montré que la quantité moyenne d'eau douce stockée sur terre - qui comprend l'eau de surface liquide comme les lacs et les rivières, ainsi que l'eau contenue dans les aquifères souterrains - était inférieure de 1 200 milliards de mètres cubes aux niveaux moyens de 2002 à 2014 » déclare Matthew Rodell, hydrologue au Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt, Maryland et co-auteur de l'étude. « C'est deux fois et demie le volume du lac Érié. ». A titre de comparaison, le Léman a un volume de 89 milliards de mètres cubes.

La baisse des quantités d’eau douce à l’échelle mondiale a commencé en 2014 par une grave sécheresse affectant le sud-est du Brésil, y compris les zones métropolitaines de São Paulo et Rio de Janeiro. À São Paulo, elle a été décrite comme la pire sécheresse depuis 100 ans. L’évènement a été suivi par d’autres sécheresses majeures en Australie, en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique.

Ces évènements s’expliquent en grande partie par l’avènement d’un fort épisode de type d'El Niño entre 2014 et 2016. Au-delà de la présence d’eaux particulièrement chaudes à la surface du Pacifique tropical, ce dernier a impacté de manière significative le comportement du jet-stream et indirectement le régime des pluies de part et d’autre du globe.

Mais à la fin de l’épisode El Niño, les quantités d'eau douce mondiale n'ont pas retrouvé leur niveau antérieur. L'image ci-dessous montre à quel moment les quantités d'eau douce les plus faibles ont été mesurées. Dans la plupart des cas, les niveaux les plus bas ont été mesurés récemment, bien après la fin de l'épisode El Niño de 2014 à 2026.

Années où les niveaux d'eau douce les plus bas ont été mesurés de part et d'autre sur Terre, entre 2015 et 2023. [NASA Earth Observatory/Wanmei Liang with data courtesy of Mary Michael O’Neill]
Années où les niveaux d'eau douce les plus bas ont été mesurés de part et d'autre sur Terre, entre 2015 et 2023. [NASA Earth Observatory/Wanmei Liang with data courtesy of Mary Michael O’Neill]

Matthew Rodell et son équipe constatent par ailleurs que 13 des 30 sécheresses les plus intenses observées par les satellites GRACE se sont produites depuis janvier 2015. D’où l’idée que réchauffement climatique pourrait également contribuer au phénomène

L’hypothèse s’appuie sur deux principes : le premier selon lequel des températures élevées contribuent à une augmentation des mécanismes d'évapotranspiration ; le second sur le fait qu’une atmosphère chaude puisse contenir de plus grandes quantités d’humidité, ce qui n’est pas sans conséquences sur le régime des précipitations.

« Le réchauffement climatique conduit l'atmosphère à contenir plus de vapeur d'eau, ce qui entraîne des précipitations plus extrêmes » explique Michael Bosilovich, co-auteur du rapport et météorologue au centre Goddard de la NASA. « Bien que les niveaux annuels de pluie et de chutes de neige puissent ne pas changer de façon spectaculaire, de longues périodes entre les événements de précipitations intenses permettent au sol de se dessécher et de devenir plus compact. Ce qui diminue la quantité d'eau que le sol peut absorber lorsqu'il pleut ».

« Le problème avec les précipitations extrêmes, c'est que l'eau finit par ruisseler au lieu de s'imprégner dans les sols et d’alimenter des réserves d'eaux souterraines », poursuit le chercheur. « Les niveaux d'eau douce à l’échelle mondiale sont ainsi restés assez bas depuis l’épisode El Niño de 2014 à 2016. Parallèlement de grandes quantités ont été piégées dans l'atmosphère sous forme de vapeur d'eau ».

« Bien qu'il y ait des raisons de soupçonner que la baisse brutale des quantités d'eau douce soit en grande partie due au réchauffement climatique, il n’est pas si simple de déterminer les relations de cause à effet », déclare de son côté Susanna Werth, hydrologue et scientifique de la télédétection à Virginia Tech, qui ne fait pas partie de l’équipe de recherche. « Il y a des incertitudes dans les prévisions climatiques. Les mesures et les modèles comportent toujours des erreurs. »

« Reste à voir si les quantités d’eau douce à l’échelle mondiale reviendront aux niveaux d'avant 2015, s’ils resteront stables ou s’ils poursuivront leur déclin » répond Matthew Rodell. « Partant de l’idée que les neuf années les plus chaudes du record de température moderne ont coïncidé avec le déclin brutal de l'eau douce, nous ne pensons pas que ce soit une coïncidence. Cela pourrait même être un présage pour l’avenir."

Philippe Jeanneret, avec le concours de la NASA

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