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Mariages forcés au Pakistan : les effets inattendus du réchauffement

A gauche, jeune fille signant un acte de mariage au Pakistan. A droite, nuages de mousson. [Wikipedia/Nasa - Farrah Zakir]
A gauche, jeune fille signant un acte de mariage au Pakistan. A droite, nuages de mousson. - [Wikipedia/Nasa - Farrah Zakir]
L’avènement d’épisodes de moussons de plus en plus intenses, en lien avec le réchauffement climatique, s’accompagne d’une augmentation du nombre de mariages forcés au Pakistan. Bien que la loi interdise les mariages entre des personnes de moins de 18 ans, les « fiancées de la mousson » sont de plus en nombreuses dans le pays, selon les ONG locales.

La mousson indienne est le plus important des systèmes de mousson au monde. Elle affecte principalement l’Inde, le Bengladesh, le Pakistan et le Sri Lanka .Le phénomène fait référence au vent saisonnier de l’océan indien et de l’Asie du Sud, qui souffle du sud-ouest en été et du nord-est en hiver. Il apporte de grandes quantités de précipitations entre juin et septembre.

L’évènement est particulièrement attendu par les agriculteurs qui représentent une forte proportion de la population et qui dans la plupart des cas ne font pas recours à l’irrigation. Chaque aspect de la mousson a son importance dans le rendement des cultures, les situations de pluies excédentaires, comme les périodes de sécheresse prolongées.

Mécanisme de la mousson indienne [Wikipedia - Arne Hückelheim]
Mécanisme de la mousson indienne [Wikipedia - Arne Hückelheim]

Or la mousson d’été a tendance à devenir plus courte mais également plus intense. Le phénomène devrait même s’accentuer à l’avenir : selon une étude publiée en 2021, le sous-continent indien devrait s’attendre à 5,3% de précipitations excédentaires pendant la mousson pour chaque degré Celsius supplémentaire d’augmentation de la température mondiale. Des précipitations qui semblent plus susceptibles de se déverser d’un coup plutôt que de manière uniforme.

Impact non négligeable sur les mariages forcés au Pakistan

Selon des ONG locales, l’avènement de périodes de moussons plus intenses n’a pas seulement un impact sur la sécurité alimentaire : de plus en plus de familles ayant perdu leurs terres à la suite de précipitations hors norme obligent leurs filles, souvent très jeunes, à se marier, afin d’obtenir une dot et d’être à même de nourrir le reste de la famille.

"J'étais heureuse quand on m'a annoncé que j'allais me marier", raconte à l'AFP Shamila Ali, agée de 14 ans et qui vit dans le village de Khan Mohammad Mallah, entre l'Indus et le Baloutchistan. En s'apprêtant pour la fête organisée pour son mariage et celui de sa sœur avec des hommes deux fois plus âgés qu'elles, elle pensait que sa "vie serait plus facile". "Mais, finalement, je n'ai rien gagné. Et, avec les pluies, j'ai peur de tout perdre".

Son cas n’est pas isolé : Mashooque Birhmani, fondateur de l’ONG Sujag Sansar (« réveiller le monde » en ourdou) a recensé 45 mariages de mineures cette année dans son village qui compte 250 familles. Un tiers des unions a eu lieu en mai et en juin, juste avant le début des moussons.

« Aujourd’hui, les familles gagnent au maximum 10 000 à 12 000 roupies par mois », soit environ un euro par jour pour une dizaine de personnes. « Chaque bouchée de nourriture par enfant compte », explique Mashooque Birhmani.

Et les lendemains sont souvent difficiles, à l’image du cas de Najma Ali qui a été mariée à 14 ans, il y a deux ans, en échange d'une dot de 250 000 roupies. Elle pensait alors pouvoir s'offrir "du maquillage, des vêtements et de la vaisselle", raconte-t-elle. "Mais mon mari avait contracté un prêt et il n'arrive pas à le rembourser », explique-t-elle à l’AFP. « Nous n'avions rien à manger et j'ai dû rentrer (chez mes parents) avec un mari et un bébé" de six mois.

La loi pakistanaise interdit le mariage de filles et de garçons de moins de 18 ans, mais, pour les travailleurs d'ONG, les "fiancées des moussons" sont de plus en plus nombreuses. 

Manque de volonté des autorités

L’avènement de période de moussons plus intenses provoque une recrudescence des mariages forcés mais le phénomène tient surtout au manque de volonté des autorités à éradiquer ces derniers.

Un rapport publié en janvier par des experts des droits humains de l'ONU dans le domaine des enlèvements, mariages et conversions forcés de jeunes filles issues de minorités religieuses explique de manière claire comment les lois sont contournées :

« Les membres de la famille disent que les plaintes des victimes sont rarement prises au sérieux par la police, qui soit refuse d'enregistrer ces rapports, soit affirme qu'aucun crime n'a été commis parce qu'il s'agit de 'mariages d'amour », expliquent les experts, soulignant que les ravisseurs « forcent souvent leurs victimes à signer des documents qui attestent faussement qu'elles ont l'âge légal de se marier et qu'elles le font de leur plein gré ».

Ce manque chronique de réaction de la part des autorités s’explique en grande partie par la difficulté d’endiguer les coutumes ancestrales (les mariages forcés existent depuis la nuit des temps). Le paiement de la dot joue également un rôle important dans l’économie des familles.

Pratique répandue dans le monde

Les mariages forcés sont une réalité dans les pays du grand Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie), en Mauritanie, au Soudan, en Afrique subsaharienne, en Turquie et en Asie.

Ils touchent également l'Afrique subsaharienne, la Macédoine, la Russie, la Thaïlande, l'Asie du Sud-Est et le sous-continent Indien.

Selon des chiffres communiqués par l’Unicef, 650 millions de filles et de femmes aujourd’hui en vie ont été mariées avant l’âge de 18 ans. Ceci représente une jeune femme sur 5 dans le monde. Les mariages d’enfants se produisent majoritairement entre 16 ans et 17 ans mais 5% des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans.

Pourcentage de jeunes filles mariées avant 18 ans dans le monde [Radio Canada/Wikipedia - Bidgee]
Pourcentage de jeunes filles mariées avant 18 ans dans le monde [Radio Canada/Wikipedia - Bidgee]

Selon cette même source, un garçon sur 25 est marié avant l’âge de 18 ans, les unions avant 15 ans étant pratiquement inexistantes. Un enfant marié sur 3 dans le monde vit en Inde. En Afrique subsaharienne, 34% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans. Cette proportion dépasse 50% dans plusieurs pays de cette région du monde.

L’Europe également concernée

Les mariages forcés ne sont pas seulement une réalité en Afrique ou en Asie. Le gouvernement français estime que 4% des femmes immigrées dans le pays et 2% des filles d’immigrés nées sur le territoire âgées de 26 à 56 ans ont subi un mariage non consenti.

En Suisse, une étude publiée en 2012 par des chercheuses de l’UniNE estime à près de 1400 le nombre de personnes ayant subi des pressions de leur entourage, soit pour se marier, pour rompre une relation amoureuse, ou encore pour renoncer à un divorce, ce sur une période de 2 ans. (cliquer ici pour en savoir plus).

On précisera qu’en Suisse comme en France, les lois se sont durcies ces dernières années, pour combattre le phénomène.

« La question des mariages forcés tient beaucoup de la volonté des Etats », explique Saskia Ditisheim, avocate et Présidente de la branche suisse d'Avocats sans frontières. « Mais le changement climatique amène une dimension supplémentaire au problème dans la mesure où, à cause du réchauffement, les jeunes filles se marient de plus en plus jeunes dans des pays comme le Pakistan. Certaines d’entre-elles ne sont pas encore pubères au moment de leur mariage. Cela est extrêmement préoccupant ».

Philippe Jeanneret

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