2023 est l’année la plus chaude depuis le début des mesures mais paradoxalement les incertitudes qui planent sur les données océaniques du XIXème siècle ne permettent pas d’articuler de chiffre précis sur la hausse. Selon certains experts, la planète s'est réchauffée de 1,34 °C par rapport à la moyenne de 1850-1900. Selon d’autres, cette hausse serait de 1,54 °C. En faisant abstraction de 2023 et en prenant comme référence la période 2011-2020, la fourchette est comprise entre 0.95°C et 1.20°C .
Cette différence de 0,2 °C ne remet pas en question le réchauffement provoqué par l'homme depuis le début de l’ère industrielle mais l’enjeu est de taille : Il s’agit de savoir si le seuil arbitraire de 1,5°C, considéré comme « dangereux » selon les termes de l'accord de Paris de 2015, est atteint.
Ce désaccord sur l’ampleur du réchauffement ne tient pas à l’évaluation des températures actuelles, mais à celle du passé. Plus précisément à l’interprétation des mesures effectuées sur les océans entre la fin du XIXe siècle et le début du XXème siècle.
Aucune estimation de la température mondiale n'est en effet possible sans inclure les océans, qui couvrent 70 % de la surface de la planète. Aujourd'hui, les chercheurs font la moyenne des données provenant des satellites, des stations météorologiques et des bouées pour estimer les températures à la surface de la planète. Mais pour le XIXème siècle, les données sont peu nombreuses et leur interprétation est plus difficile.
Les enregistrements de mesures ont commencé aux États-Unis vers 1850. Les observations comprenaient les principaux paramètres d’état de l’atmosphère mais également la température de l’eau. Dans un premier temps, les marins utilisaient des sceaux en bois, plongés dans la mer et hissés sur le pont des navires, puis des sceaux en toile et en caoutchouc. Lorsque les navires à vapeur ont pris le relais, ces dernières ont été faites en passant par les soupapes d’admission des moteurs, puis avec des capteurs disposés le long de la coque.
Chaque méthode comporte un biais : les seaux en toile, par exemple, exposent l'eau au refroidissement par évaporation, tandis que les vannes d'admission, chauffées par le navire lui-même, chauffent l'eau. Et la manière d’interpréter les données n’est pas toujours la même : la NOAA croise les températures mesurées dans le sceau avec les températures de l'air prises au même endroit et à la même heure, tandis que le Met Office s'appuie sur un « modèle théorique de sceau » pour estimer la température de l'eau avant qu'elle ne soit prélevée de l’océan. D’où la nécessité de corriger les mesures pour obtenir un ensemble homogène de données.
Un biais froid décelé dans les mesures du début du XXème siècle
Afin de mieux comprendre l’évolution du passé, les chercheurs ont passé en revue l’ensemble des mesures disponibles entre 1850 et 2020. Les résultats ont ensuite été comparés avec des reconstitutions effectuées sur la base d’outils d’apprentissage statistique. La cohérence des données a également été examinée.
Au terme de leurs analyses, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les températures à la surface de l’océan ont probablement été sous-évaluées, notamment entre 1900 et 1930. Certes, certaines de ces années ont été marquées par une importante activité volcanique, synonyme de baisse globale. Mais les températures effectuées sur l’océan montrent une différence de 0.26°C avec les mesures faites sur les zones terrestres, écart qui ne peut s’expliquer par la variabilité naturelle du climat ou par les activités humaines.
Les reconstitutions des températures océaniques faites à partir de méthodes d’apprentissage statistique, qui atténuent cet écart, montrent en revanche une bonne cohérence avec l’ensemble des mesures à disposition. Elles correspondent également mieux aux schémas et aux données issus des modèles climatiques.
En tenant compte de ces corrections, les auteurs de l’étude donnent ainsi une fourchette comprise entre 0.92°C et 1.20°C pour définir la hausse des températures entre les périodes de référence 1850-1900 et 2011-2020. Soit un chiffre légèrement inférieur à celui articulé par le GIEC dans son sixième rapport, lequel est compris entre 0,95°C et 1.20°C.
L'étude peut sembler assez académique mais fait de disposer aujourd’hui d’une base de données plus riche et homogène apporte une meilleure vision du rythme du réchauffement climatique. Il met en lumière la façon dont le réchauffement de l'océan varie d'un bassin à l'autre, ce qui est fondamental pour comprendre les mécanismes à grande échelle comme El Niño. Une meilleure gestion des enregistrements aide également à consolider les projections des modèles sur le réchauffement climatique.
Philippe Jeanneret