Jeudi passé, la station de mesure de l’aéroport de Cordoue a enregistré 38.8°C, selon l’agence météorologique espagnole AEMET. Cette température est la plus élevée jamais enregistrée en Espagne continentale pour un mois d’avril. Le précédent record datait de 2011 et avait été mesuré à Elche, dans la province d’Alicante, avec 38.6°C.
Ce record n’est toutefois pas un record absolu pour l’ensemble de l’Espagne, une valeur encore plus élevée ayant été enregistré en 2013 sur l’archipel des Canaries, avec 40,2 degrés.
Circulation des courants déterminantes sur l’Atlantique Nord
Selon les services météo espagnols, la montée des températures était liée à l’arrivée d’air saharien depuis le Maroc. Le phénomène n’a rien d’extraordinaire en soir mais il a pris une ampleur particulière :
L’analyse des données d’archives du NCEP, montre que les trains de dépressions ont régulièrement circulé entre la côte Est des États-Unis et les îles britanniques, avec parfois des creusements assez prononcés. Placée très à l’avant, la péninsule ibérique a souvent été confrontée à des conditions anticycloniques, synonymes de temps ensoleillé et sec. Elle a surtout été soumise aux courants de Sud qui ont permis à de l’air saharien de remonter vers le Nord (ci-dessous).
Ces poussées d’air saharien ont atteint le Maroc entre le 5 et le 8 mars, elles ont fait une première intrusion sur le Sud de l’Espagne le 12 mars puis sont revenues de manière de plus en plus récurrente, atteignant un pic d’intensité entre le 25 et le 28 avril (ci-dessous).
Dès le 29 avril, les courants ont pris une orientation plus à l’Ouest sur les côtes espagnoles, ce qui a fait revenir de l’air moins chaud depuis l’Atlantique Nord.
On peut parler d’évènement exceptionnel par sa précocité mais également par son ampleur, les températures présentant des dépassements à la norme atteignant entre 15 et 20°C dans les régions situées sur le Sud de la péninsule ibérique.
Lien probable avec le dérèglement climatique
Selon une étude publiée par une équipe de chercheurs coréens et suédois dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, le réchauffement des pôles a été plus important que sur les régions équatoriales ces dernières décennies, ce qui a eu un impact important sur la circulation du jet-stream.
Le jet-stream est un couloir de vents forts qui se forme sur les zones de conflits de masse d’air et qui traverse le Globe d’Ouest en Est à une altitude comprise entre 7'000 et 16'000 mètres. Il influence notamment la durée de vol des avions qui effectuent des trajets entre le continent américain et européen. Il peut soit prendre la forme d’un jet polaire à nos latitudes, soit celle du jet subtropical de part en marge des zones équatoriales.
Or le jet-stream a tendance à perdre de son intensité depuis une trentaine d’année. Résultat, les courants d’Ouest ont pris une amplitude plus importante, ce qui permet soit à de l’air tropical de remonter plus au Nord, soit à de l’air polaire de passer plus au Sud. Les situations de blocages sont également plus fréquentes, ce qui permet aux anomalies – chaudes ou froides – de s’étaler sur le temps. Les évènements des dernières semaines abondent dans ce sens.
Quelles conséquences pour l’été ?
L’avènement de vagues de chaleurs précoces sur l’Espagne ne signifie pas à priori que l’été sera marqué par des forts épisodes de canicules mais un certain nombre d’éléments doivent être pris en considération :
Les dernières prévisions saisonnières du Centre Européen (ECMWF) misent sur des températures supérieures à la normale entre juin et août entre l’Espagne, la France et la région des Alpes. L’écart à la norme pourrait être compris entre 1 et 2°C, la probabilité de dépassement étant de 60 à 70% (voir ci-dessus). Les prévisions du NCEP américain prévoient également des températures supérieures à la normale. Les anomalies chaudes ne devraient cependant pas se trouver sur les mêmes zones.
L’expérience montre par ailleurs que la présence d’air relativement chaud et sec sur la péninsule ibérique en période estivale n’est pas anodine pour la Suisse :
« Lorsque les courants tournent au Sud ou au Sud-ouest, l’air sec et chaud qui se trouve sur l’Espagne a tendance à transiter vers les Alpes » explique Didier Ulrich, prévisioniste au centre Météosuisse de Genève. « Dans ce genre de circulation, les températures montent assez rapidement dans nos régions. Les évènements ne sont pas forcément de longue durée mais ils peuvent provoquer de fortes chaleurs ».
Dans leur globalité, ces éléments plaident plutôt pour un été chaud mais au vu des derniers indices de fiabilité, la réserve reste de mise.
Philippe Jeanneret