En réalisant 9"58 dimanche en finale du 100 m aux Mondiaux de
Berlin, Usain Bolt a redéfini les frontières du possible. A y
regarder de plus près, sa performance n'est cependant pas
supérieure à celle de sa finale olympique de Pékin, où il avait
coupé son effort. Et elle répond à une logique de l'évolution
humaine et animale.
Comme toujours, pareil exploit suscite d'un côté un déchaînement
d'enthousiasme, de l'autre rumeurs et suspicion. Au-delà du chrono,
l'incroyable aisance de cet homme qui donne l'impression d'être en
footing à 44 km/h fait penser à un extra-terrestre. "Usain
court sur Mars, tous les autres sont sur terre", a résumé
l'ancien triple champion du monde américain Maurice Greene.
En réalité, les faits montrent que le Jamaïcain est tout
simplement un phénomène: à 15 ans, il était le meilleur junior du
monde face à des rivaux de trois ou quatre ans plus âgés. Et à 17
ans, il courait le 200 m en 19"93, un temps qu'aucun sprinter
européen ne peut actuellement ne serait-ce qu'approcher, malgré
tout l'apport scientifique et toute la technologie imaginables.
Usain court sur
Mars, tous les autres sont sur terre
Maurice
Greene
Bolt vient d'une région du monde où les
infrastructures ont juste commencé à se développer mais se résument
encore le plus souvent à des pistes en herbe et à des gymnases
décatis. Malgré tout, les petites îles des Caraïbes comme la
Jamaïque mais aussi Antigua, St-Kitts-et-Nevis ou la Barbade
sortent chaque année des sprinters dotés d'un talent et de fibres
musculaires d'exception.
Tard dans la nuit après son exploit, en conférence de presse, Bolt
affichait son entrain habituel: "J'ai pris mon temps cette
saison (pour arriver en forme), mais quand viennent les
grands championnats, je suis toujours prêt et concentré
(rires). Je m'amuse." Interrogé sur ses limites, il a dit:
"Je sais que j'ai déjà évoqué 9"4. Mais on ne sait jamais. Il
faut juste continuer à travailler."
Aux Jeux de Pékin, Bolt avait couru en 9"69 en décélérant et en
ouvrant les bras bien avant la ligne, par vent nul. A Berlin, le
vent soufflait à 0,9 m/s (gain de 5 centièmes), et le champion a
poussé jusqu'au bout. Les chronos sont donc équivalents. Il reste
de la marge, eu égard au peu d'expérience du bonhomme, qui n'a en
tout qu'une quinzaine de 100 m au compteur.
si/dbu
Toujours plus grands
Juste avant les Jeux, une étude de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport à Paris avait calculé que l'évolution des records s'arrêterait à 9"72-9"73. D'autres scientifiques ont ensuite vu une limite vers 9"6, ou 9"5. Qui va encore se hasarder à des prédictions aujourd'hui?
"Chez les animaux, les grands spécimens se déplacent naturellement plus vite que les petits. Cela ne se voit souvent pas, car leur progression semble aisée", explique Adrian Bejan, ingénieur en mécanique à l'Université Duke à Durham (EU). La comparaison vaut aussi pour les humains. Ainsi, avec sa taille de 1m96, Bolt est le plus grand, avec aussi un excellent rapport poids-puissance. Dans les années 80-90, Carl Lewis, autre monstre sacré, faisait figure de géant avec 1m91. Et Jesse Owens était grand avec 1m78 dans les années 30.
En attendant de trouver un rival à sa hauteur, Bolt a le chronomètre pour seul adversaire. Cela devrait encore se vérifier jeudi sur 200 m, sa distance préférée, et 4 x 100 m dimanche...