La famille de Caster Semenya, championne du monde d'athlétisme
du 800 mètres mercredi à Berlin, jure que la nouvelle héroïne
nationale sud-africaine est bien une femme, en réponse aux
interrogations sur le sexe de cette coureuse prodige de 18 ans.
"C'est ma petite fille. Je l'ai élevée et je n'ai jamais douté
de sa féminité. C'est une femme et je peux le répéter un million de
fois", déclare son père dans le journal populaire "The
Sowetan".
Comme tous les autres grands journaux du pays, "The Sowetan"
consacre sa première page au phénomène de l'année sur 800 mètres,
sous le titre: "Notre fille en or".
"Pour la première fois les Sud-Africains ont quelqu'un dont
ils peuvent être fiers, et les détracteurs hurlent avec les
loups", déplore le papa de la championne du monde. "C'est injuste.
Je voudrais qu'ils laissent ma fille tranquille".
Soupçonnée d'être un hermaphrodite
Mercredi, c'est pourtant la Fédération internationale
d'athlétisme (IAAF) elle-même qui a demandé à la Fédération
sud-africaine de lui fournir des informations sur Caster Semenya,
une jeune femme au visage masculin et à la voix grave, soupçonnée
d'être un hermaphrodite et de présenter des attributs féminins et
masculins.
Le patron du comité olympique sud-africain, Gideon Sam, a volé au
secours de son athlète maltraitée par la rumeur. "Sa victoire
est d'autant plus remarquable qu'elle a dû faire face aux
allégations des médias à propos de son sexe", a-t-il souligné.
"C'est une athlète remarquable", a-t-il insisté, en
ajoutant qu'il avait confiance dans le comité de sélection de la
fédération sud-africaine.
"Cruellement humiliée"
La grand-mère de Semenya, Maphuthi Sekgala, 80 ans, a raconté au
"Times" que sa petite-fille, étudiante en première année de sport,
a toujours été moquée pour son aspect masculin, et pour avoir été
la seule fille dans l'équipe locale de football.
"Ça ne me dérange pas beaucoup, parce que je sais qu'elle est
une femme, je l'ai élevée moi-même", précise la grand-mère,
interrogée dans son village de la province du Limpopo, dans le nord
du pays. "Elle m'a appelée après les séries, et elle m'a dit:
ils croient que je suis un homme. Que puis-je faire si on la traite
d'homme, puisqu'elle n'en est pas un? C'est Dieu qui lui a donné
cette apparence".
Encore totalement inconnue voici quelques semaines, la jeune femme
vient d'un village reculé, où elle a vécu avec sa grand-mère, sans
électricité ni eau courante, pendant ses années de lycée. Son
entraîneur Michael Seme, dans le quotidien de langue afrikaans
"Beeld", repousse lui aussi les spéculations sur le sexe de sa
protégée, reconnaissant que Caster devait souvent répondre aux
questions des autres jeunes, qui lui demandent si elle est un
garçon.
Selon lui, elle a même été "cruellement humiliée" cette saison,
lorsque certaines personnes ont voulu lui interdire l'accès aux
toilettes des dames. "Vous voulez que je baisse mon pantalon
pour que vous puissiez voir", leur a-t-elle répondu, en
contenant sa colère. Les gens concernés sont ensuite venus
s'excuser, selon Seme. "Il lui faut toujours expliquer qu'elle
n'y peut rien si elle a une voix aussi grave, et qu'elle est
vraiment une fille. Ce qui est remarquable, c'est que Caster reste
totalement calme et n'a jamais perdu sa dignité quand on
l'interroge sur son sexe", ajoute son entraîneur.
agences/alt
Semenya tenue à l'écart
Après son étonnant titre mondial sur 800 m qui soulève de délicates questions, la Sud-Africaine Caster Semenya ne s'est pas présentée devant la presse mercredi soir. La Fédération internationale (IAAF) veut protéger cette jeune athlète de 18 ans au sujet de laquelle de sérieux doutes sont émis quant à son sexe.
«Elle est jeune, elle n'est pas préparée à répondre aux questions que vous êtes en droit de lui poser. Il y a six mois, personne ne la connaissait», a expliqué Pierre Weiss, le secrétaire général de l'IAAF. Semenya n'a ni participé à la conférence de presse, ni répondu aux questions des reporters qui l'attendaient après sa course.
Issue d'un village reculé mais établie désormais à Pretoria, la jeune athlète à la voix grave et aux traits très masculins a fait fureur tout autant par son titre que par la manière dont il a été acquis. Toute en puissance, elle a creusé sur le deuxième tour un écart de plus de deux secondes sur la tenante du titre kényane Janeth Jepkosge, 2e, et signé le meilleur temps de l'année (1'55"45).
Aucune tricherie
Des enquêtes ont été diligentées pour déterminer le sexe de Semenya, soupçonnée d'être hermaphrodite. «C'est clair: si à la fin de ces enquêtes (ndlr: une en cours en Afrique du Sud, une autre à Berlin) il apparaît que ce n'est pas une femme, nous la retirons de la liste des vainqueurs», a précisé M. Weiss. «Pour l'heure, il n'y a aucune preuve.»
Le porte-parole de l'IAAF Nick Davies a ajouté qu'il était hors de question d'invoquer une supercherie: «C'est une affaire médicale, rien avoir avec de la tricherie. C'est extrêmement complexe». Les investigations, à la fois gynécologiques et psycholoiques, devraient prendre plusieurs semaines.
Ces "championnes" qui n'étaient pas des femmes
L'histoire de l'athlétisme a retenu quelques rares cas de "championnes" qui étaient soit des hommes, soit les victimes d'anomalies génétiques qui ne permettait pas une définition très nette de leur identité sexuelle. Le cas le plus connu est probablement celui de Stella Walsh, née en Pologne sous le nom de Stanislawa Walaziewiz, mais immigrée très jeune aux Etats-Unis avec sa famille.
Médaillée d'or sur 100 m et 1ère femme à passer sous les 12", aux Jeux de Los Angeles de 1932, elle fut de nouveau médaillée d'argent en 1936 à Berlin, sous les couleurs de son pays natal. Ironie de l'histoire, après sa défaite à Berlin face à l'Américaine Helen Stephens, un journaliste polonais accusa la championne olympique d'être un homme, et Stephens fut contrainte de produire un certificat de féminité.
En 1980, Walsh fut abattue par une balle perdue lors d'une fusillade pendant un hold-up. L'autopsie révéla qu'elle n'avait pas d'organes sexuels féminins, mais bien un pénis et des testicules atrophiés. Son cas fut décrit comme un cas de "mosaïcisme", présence simultanée de chromosomes masculins et féminins. Son nom figure toujours au palmarès des JO.
Des tests peu fiables
A la même époque, la Tchécoslovaque Zdena Koubkova devint en 1934 la première "femme" à passer sous les 2'15" sur 800 m, avec un record en 2'12"08. Quelques années plus tard, l'athlète révèle qu'il est un homme. Le record est invalidé. En 1938, l'Allemande Dora Ratjen bat le record du monde du saut en hauteur avec un bond de 1,67 m aux Championnats d'Europe. Disqualifiée pour professionnalisme, il apparaîtra quelques mois plus tard que Dora était un homme: le record ne fut pas officialisé. Elle devint barman à Hambourg sous le nom de Herman Ratjen.
En septembre 1967, Ewa Klobukowska est exclue de la Coupe d'Europe des Nations pour "féminité insuffisante" constatée par 6 médecins. La Polonaise avait pourtant eu le temps de se construire un palmarès: médaille de bronze aux Jeux de Tokyo 1964 sur 100 m et médaille d'or du 4x100 m. Son nom reste au palmarès, mais tous ses records furent effacés. Après guerre, deux Françaises médaillées aux championnats d'Europe en 1946, Claire Bressolles (bronze sur 100 m) et Léa Caurla (bronze sur 200 m), se sont révélé être des hommes. Elles deviendront pères de famille sous les prénoms respectifs de Pierre et Léo.
L'histoire retient également nombre de cas "suspects", dont les protagonistes n'ont jamais été suspendus ni disqualifiés, mais qui ont suscité les doutes de leurs adversaires. Les tests de féminités, pratiqués depuis 1948, ont pris des formes variées au long des décennies, mais ont toujours été controversés. Jugés peu fiables, ils ont finalement été abandonnés en 1992 par l'IAAF (Fédération internationale), et les cas litigieux sont désormais remis entre les mains d'un comité d'experts.