"Le 100m, que ce soit en finale des JO, au meeting de Genève ou ici aux Européens, ça reste l'épreuve-reine, celle à ne pas rater", explique Pascal Thurnherr, consultant et journaliste RTS.
"Le 100m, ça passionne tout le monde par son côté haletant, électrisant", poursuit cet ex-sprinter. "C'est quand même l'épreuve qui détermine qui est l'homme (ou femme) le plus rapide".
A Zurich, le vainqueur sera Lemaitre, Dasaolu, voire Chambers, "mais ça fera de toute façon les gros titres", prédit Thurnherr. Et même si, le même soir, Mo Farah, vedette des derniers JO de Londres, dispute la finale du 10'000m.
"L'événement prend le dessus sur les stars au départ"
"L'événement prend le dessus sur les stars au départ", corrobore Pierre Morath, autre ex-athlète et consultant RTS. "Il y a cette dramaturgie, cette notion de faux départ ou encore cette tension électrique entre les athlètes".
Pour Alexandre Lachat, spécialiste de l'athlétisme au "Quotidien jurassien" et chef technique du club de Bassecourt, cette fascination légendaire pour le sprint court a une explication plus élémentaire, presque scolaire.
"Le 100m, c'est la valeur étalon, celle que tout le monde connaît. Qu'on le court en 12" ou 18", tout le monde parvient à situer ce chrono. Par contre, si tu fais 15' sur un 5000, ça ne dira rien à personne", image Alex Lachat.
"En plus, tout le monde a un jour joué dans la cour d'école à celui qui ira toucher le plus vite le mur d'en face", enchaîne Pascal Thurnherr. "Le 100m, c'est comme le chasseur qui fond sur sa proie".
Epreuve la plus simple à comprendre
Cette passion générale pour l'épreuve-reine ne date pas d'hier, et il n'est pas besoin d'être le meilleur spécialiste de l'athlétisme pour la comprendre: "le 100m est finalement l'épreuve la plus simple à comprendre", explique Morath. "Une ligne droite, sans obstacle, à avaler le plus vite".
"Pourtant, on ne se rend pas toujours compte à quel point la technique est importante en sprint", reprend Alexandre Lachat, lui-même ancien sprinter au niveau régional. En gros, un 100m, ce sont 3 phases bien distinctes: la sortie de blocs, la mise en action et la phase d'accélération.
"Cette dernière s'étale à peu près sur 60m", détaille Pascal Thurnherr. "Après, la vitesse décline naturellement. Et le but est évidemment de garder ce pic de vitesse le plus longtemps possible".
Grosse évolution dans la discipline ces dernières années
Même si, dans le plus facile des raccourcis, c'est toujours le plus rapide qui gagne, "le 100m, c'est surtout l'optimisation du rapport entre la foulée et la fréquence", selon nos consultants.
En moyenne, 44 à 45 foulées sont nécessaires pour boucler un 100m. Le phénomène Usain Bolt n'a lui besoin que de 41 chevauchées pour effectuer la longueur du stade. "Génétiquement, Bolt c'est un monstre", explique Lachat. "Il est longiligne, avec une immense foulée et un moteur extrêmement performant".
"Ces dernières années, il y a eu une énorme évolution de la discipline", notent Morath et Thurnherr, en précisant "sans dopage, à notre avis". "Aujourd'hui, les meilleurs ne sont plus forcément des boules de muscles. Ils sont même plutôt fins et alongés".
"La clé dans le sprint actuel, c'est devenu à trouver la faculté à ramener la jambe libre (réd: celle qui ne touche pas le sol), le plus vite possible", disent-ils.
De Zurich, Daniel Burkhalter - Twitter @DaniBurkhalter
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La Suisse aurait besoin d'une locomotive
Comment donc expliquer la différence entre le gratin mondial, et les Suisses par exemple? Et où situer le cas Christophe Lemaitre, 1er sprinter blanc sous les 10"? La Suisse pourrait-elle un jour compter une exception, le "Federer de l'athlétisme", un sprinter capable de disputer des finales mondiales?
Pour nos 3 interlocuteurs, rien n'est impossible. "Ca peut être question de dynamique", lâche Pierre Morath. "Il suffirait qu'une locomotive émerge, comme cela a été le cas pour les Jamaïcains, tout à coup très forts".
Lemaitre, lui, est un cas un peu à part, "qui peut dire merci à papa et maman pour son patrimoine génétique", plaisante Alexandre Lachat. "Il n'a été qu'à quelques kilomètres d'être Suisse. Il est né à quoi, 50km de la frontière genevoise?", poursuit le Jurassien.
"Lemaitre, c'est d'autant plus un hasard qu'il n'a pas la meilleure technique. Mais il a du talent, et a très vite trouvé un entraîneur qui a cru en lui, l'a fait progresser".
En Suisse, c'est au niveau mental qu'on pèche parfois, selon Morath. "Sur la ligne de départ, un Schenkel n'est pas plus mauvais qu'un Bolt. Et Wilson a des origines jamaïcaines!"
"Ma seule chance face à Bolt? D'avoir la honte!"
Pour Pascal Mancini, tout frais champion de Suisse, "il y a un monde d'écart entre les meilleurs Suisses et Bolt & Cie. J'ai parfois même l'impression que ce n'est pas le même sport".
Cet "autre monde", Pascal Mancini, l'homme qui s'entraîne tout seul, n'est pas prêt de le rejoindre, ni même n'en rêve. "Je ne fais pas de l'athlétisme pour la gloire ou pour gagner de l'argent, mais parce que ça me fait plaisir. J'essaie de toujours m'améliorer".
"Et si j'arrive à 10"10 d'ici à 2 ans, ce sera déjà un sacré niveau", estime le Fribourgeois, revenu de suspension pour dopage "à l'insu de son plein gré".
Mancini est bien sur sa petite planète, et il s'en contente. "Affronter Bolt un jour? Non, merci, je n'ai pas envie de prendre 10m sur 100! Je préfère essayer de battre des gars un poil plus forts que moi. Contre Bolt, ma seule chance est d'avoir la honte!".