Mais la Suisse de l'athlétisme, désormais décomplexée, se dit que le rêve pourrait se prolonger. Car la probabilité est légitime que le dimanche 17 août 2014 devienne une référence historique dans les cahiers du sport suisse.
Car si le relais féminin est entouré de rouge dans l'agenda depuis belle lurette, le marathon matinal pourrait bien accoucher - rêvons un peu - de 3 médailles pour Swiss Athletics!
Les rêves les plus fous sont permis
Au départ du marathon, les Suisses n'alignent ni plus ni moins que les no1 (Abraham Tadesse) et no4 européens (Viktor Röthlin). Donc, en cas de double podium helvétique et une bonne course de l'un des 4 autres coureurs helvétiques, les Suisses remporteraient également une breloque par équipes!
Les prestations des athlètes à croix blanche cette semaine autorisent désormais les rêves les plus fous. Mujinga Kambundji n'a-t-elle pas disputé les finales des 100 et 200m? Kariem Hussein n'est-il pas le nouveau roi continental du "tour de piste avec obstacles"?
Alors oui, le Letzigrund veut encore s'enflammer, chanter fort l'hymne national, et communier avec les siens.
La situation aurait de quoi lui faire peur. En possession du passeport suisse depuis juin dernier - "j'ai eu peur de ne pas l'avoir à temps jusqu'à ce que je l'aie entre les mains", rigole-t-il -, Abraham Tadesse (31 ans) ne se cache pas, ne fuit pas la pression.
"J'ai réussi à rester calme jusqu'ici"
Ses 2h07'44 réussis en avril 2013 lors du marathon de Zurich font de lui le meilleur Européen des 2 dernières années. L'Erythréen d'origine sera bien le favori no1 à la succession de... Viktor Röthlin (Barcelone 2010, pas de marathon en 2012, année olympique).
"J'ai réussi à rester calme jusqu'ici", explique le résident genevois, au pays depuis 10 ans. "Mais je sais que la pression va gentiment monter".
Tadesse, débarqué à Uster - il fait toujours partie du club zurichois - en tant que requérant d'asile au sortir des Mondiaux de cross en Belgique -, ne s'affole pas, même si cette première sous le maillot suisse en sera également une dans un grand championnat.
"Oui, je suis le favori, mais n'oublions pas que ce n'est pas un marathon normal. Ce sont des Européens!", explique-t-il dans un bon français. "En plus, le parcours avec ses 4 boucles ne sera pas facile du tout".
Une vie qui pourrait changer du tout au tout
Tadesse ne se départit pas de son flegme, même s'il sait au fond de lui qu'une médaille, ou même l'or, pourrait changer radicalement sa vie, d'un point de vue financier en premier lieu.
Aujourd'hui, le petit clan Tadesse - Abraham et Senait, sa compagne genevoise elle aussi d'origine érythréenne, ont un petit Elod - vit modestement, au gré des victoires du néo-Suisse, comme il y a peu lors du GP de Berne.
"Je sais bien que si je gagne, de belles choses vont arriver", explique Tadesse. "Et si c'est le cas, tant mieux. Sinon, ce sera le sport... Mais je dois avant tout me concentrer sur ma performance".
Car ce sera bien toute la difficulté, en ce dimanche dans les vallonnées rues zurichoises. "Pour nous, c'est évidemment un avantage de bien connaître le parcours", avance le Genevois. "Bien des marathoniens n'aiment pas les collines. Pour nous Suisses, c'est normal".
"La clé de la course, ce sera la force mentale", estime Tadesse, qui se sait encore perfectible dans le domaine. "Il faudra parfaitement gérer les différents facteurs: les kilomètres, le chrono et la tactique. D'ailleurs, par rapport à un marathon "normal", ces 4 boucles ça change un peu les choses".
A la meilleure des écoles, celle de... Viktor Röthlin
Mais voilà, Abraham Tadesse était à la meilleure des écoles ces dernières années, aux côtés de Viktor Röthlin. Le maître-tacticien obwaldien, qui prendra sa retraite dimanche au terme de la course, ne lui a-t-il pas établi ses plans d'entraînements pendant 8 ans?
"L'élève" Tadesse sait bien que le "maître" ne sera pas facile à battre. "Il a l'intelligence, l'expérience des grands championnats".
"Viktor, c'est un parfait tacticien. Il sait comment gérer une telle course, et comment la gagner", livre Abraham Tadesse, qui s'est préparé un mois en Ethiopie puis avec les autres marathoniens suisses en Engadine. "Pour moi, ce sera en même temps un apprentissage et un statut de favori à assumer".
Une fois encore, ça ne l'inquiète pas. Mieux, il trouve même source de motivation à devoir se frotter au tenant du titre de Barcelone. "Avoir deux Suisses comme favoris, ça aide, ça motive".
Tadesse et Röthlin ont l'histoire au bout des chaussures, au bout des 42,195 km de bitume. Ne reste plus qu'à élaborer la bonne tactique, celle qui fera de ce dimanche un jour peut-être historique...
Zurich, Daniel Burkhalter - Twitter @DaniBurkhalter
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Les relais suisses en finale, record national chez les hommes
"Rien ne va se casser si je ne gagne pas de médaille"
Champion d'Europe en titre du marathon, Viktor Röthlin remet sa couronne en jeu, à près de 40 ans et pour la dernière course de sa carrière.
RTSsport.ch: Dimanche, ce sera un peu spécial?
VIKTOR ROETHLIN: Oui, tout à fait, après 15 ans de marathon et 20 ans d'athlétisme. Je m'étais déjà demandé aux JO de Londres si je n'allais pas arrêter, mais j'ai préféré le faire devant mes amis, ma famille. Ce sera le moment parfait pour dire au revoir.
RTSsport.ch: Vous avez eu l'or en 2010 et l'argent en 2006. Il manque le bronze...
VIKTOR ROETHLIN: Oui, mais celui-là je l'ai eu aux Mondiaux, à Osaka 2007. Après Londres, en vacances en Finlande, j'ai beaucoup discuté avec mon épouse concernant mon objectif, ici à Zurich. Et elle m'a dit: "il ne faut pas croire que quelque chose va se casser si tu ne gagnes pas de médaille".
Bien sûr qu'une nouvelle médaille ferait plaisir à tous mes fans, aux médias. Mais si je n'en gagne pas, ce n'est pas grave non plus, car j'en ai déjà quelques-unes! J'ai déjà réussi quelque chose de fantastique.
RTSsport.ch: Est-ce un peu le moyen de vous enlever la pression?
VIKTOR ROETHLIN: Bien sûr que j'aimerais en gagner une nouvelle, et j'ai tout fait pour y parvenir. Mais il n'y en a que 3 en jeu, pas 15!
RTSsport.ch: Vous êtes réputé pour votre intelligence tactique, et vous êtes quand même l'un des favoris...
VIKTOR ROETHLIN: Oui, et le fait que ce soit une course "à la maison" fait que les conditions sont optimales. Dans ma tête, je suis prêt, et je sais comment faire pour gagner. Tout le monde aimerait que j'arrête au sommet, avec quelque chose autour du cou. Ce serait extraordinaire, bien sûr, mais au final, ça ne changera pas grand-chose.
RTSsport.ch: Avec Abraham Tadesse, vous disposez d'un coéquipier solide, mais aussi d'un sacré adversaire...
VIKTOR ROETHLIN: C'est très bien pour moi, mais surtout pour l'équipe. Pour la 1ère fois, je n'aurai pas à assurer le rythme tout seul. Là, j'aurai un équipier qui est le no1 actuel en Europe.
RTSsport.ch: Vous dites d'ailleurs que la pression est sur Abraham Tadesse...
VIKTOR ROETHLIN: Il est le no1, moi le no4. Avant, c'était toujours à moi de réussir quelque chose. Là, la pression sera sur ses épaules.
RTSsport.ch: Mais pour lui, c'est nouveau...
VIKTOR ROETHLIN: Ce sera une nouvelle expérience, une 1ère sous le maillot suisse, pour "Tade". Il a la possibilité de fêter une 1ère très grande victoire. Moi je connais déjà ça!
RTSsport.ch: Au bout, il y a aussi cette possibilité de fêter une médaille dans l'épreuve par équipes...
VIKTOR ROETHLIN: Oui, bien sûr. Mais il ne faut pas croire que parce que Abraham Tadesse est no1 et moi no4 que c'est "du tout cuit". Nous sommes certes no2 par équipes sur la liste de départ, mais le top-6 est très proche. Je vous rappelle qu'un 3e chrono est aussi nécessaire. Et il faut bien sûr que tout le monde soit dans un bon jour
RTSsport.ch: Vous ferez quoi après cette dernière course?
VIKTOR ROETHLIN: Je vais déjà reprendre mon travail de physiothérapeute à l'hôpital et m'occuper de mes 2 enfants. J'aurai pas mal à faire!