"Il faut souffrir pour avancer". Ces propos sortaient
de la bouche de Stéphane Lambiel le 8 avril 2007 lors de l'émission
"Pardonnez-moi" de la TSR. Le Valaisan faisait référence à son
esprit de compétiteur, de gagneur mais également à sa sensibilité à
fleur de peau qui l'a conduit vers des sommets.
Dix-huit mois plus tard, le "Prince de Saxon" est toujours animé
de la même passion, celle de se donner du plaisir mais surtout d'en
procurer à ses fans. Seulement, lorsque le corps est usé, fatigué,
blessé, rien ne sert de s'obstiner à tirer sur la corde. Lambiel a
dit stop. La raison l'a emporté sur le coeur.
Une décision mûrement réfléchie
16 octobre 2008, 11h02. Stéphane Lambiel arrive au lieu de
rendez-vous à Berne devant un parterre d'une quarantaine de
journalistes. Souriant, mais également ému au moment d'annoncer son
retrait de la compétition. Les mauvaises langues diront qu'il
s'agit d'un nouveau coup de tête, d'un autre caprice, du même style
que celui du 17 janvier 2007, lorsqu'il avait dit ne plus avoir le
"feu sacré" et déclaré forfait pour les Européens de
Varsovie.
Oui, notre as des pirouettes est extrêmement sensible. Un rien
peut le déstabiliser ou le stimuler. Là, c'est fini. Sa décision a
été mûrement réfléchie. Cette annonce était à quelque part
prévisible. Tiraillé par des douleurs persistantes à l'adducteur
gauche depuis 7 mois, Lambiel doit battre en retraite.
Au revoir "Vancouver 2010"
"Mon but est de gagner, d'être champion du monde, champion
olympique. Mais à 90%, c'est impossible. Ces derniers mois, mon
corps ne suivait pas. Les douleurs étaient présentes. J'effectuais
des entraînements par petites doses et évitais les mouvements qui
faisaient mal. Bander ma jambe et porter un short de soutien m'a
plongé dans le doute. Ce n'est pas comme ça que je conçois le sport
de compétition".
"Le Prince de Saxon" est un compétiteur mais, contrairement à
d'autres, il ne va pas jusqu'à mettre sa santé en jeu. Le double
champion du monde et vice-champion olympique arrête à cause de sa
blessure. Et si elle se résorbait? "Je réfléchirais, mais le
but n'est pas de revenir". Bye bye donc aux Jeux olympiques de
Vancouver en 2010. Et take care...
Lambiel n'a aucun regret
Des regrets, le "chouchou des Romands"
n'en a aucun: "J'ai réalisé des rêves que je n'avais même pas
osé imaginer lorsque j'étais petit... Une satisfaction? celle
d'avoir écouté mon corps".
Une belle page se tourne pour le Valaisan, prêt à en ouvrir une
autre. "A 23 ans, j'ai le temps. D'abord je veux recouvrer la
santé. Puis je veux créer, transmettre, partager ma passion en me
produisant dans des galas".
De Berne, Miguel Bao
"JE N'AVAIS PAS LES MOYENS D'ATTEINDRE MES
OBJECTIFS"
Après la conférence de presse, Stéphane Lambiel s'est entretenu
avec quelques journalistes. Morceaux choisis.
- Pensez-vous que la blessure dont vous souffrez est la
conséquence d'une surcharge de travail?
STEPHANE LAMBIEL: Tous les patineurs qui
atteignent le haut niveau commencent à un jeune âge. Le sport de
haut niveau en général est ainsi fait. Je ne connais pas un sportif
qui a traversé toute sa carrière sans blessure.
- En dehors des titres, qu'est-ce qui vous a le plus marqué
dans votre carrière?
STEPHANE LAMBIEL: J'évoquerais par exemple
l'accueil des Japonais. Je repars à chaque fois avec un carton
plein de lettres touchantes. Ca m'impressionne et me marque.
- Quand avez-vous décidé de mettre un terme à la
compétition?
STEPHANE LAMBIEL: Je n'ai pas pris cette décision
après une mauvaise nuit. J'ai longuement réfléchi. Cette annonce
n'est que la conséquence des sept derniers mois. Je n'avais pas les
moyens d'atteindre mes objectifs. J'ai toujours été à l'écoute de
mon corps, de mes envies, de ma tête. En ce moment, mon corps me
dit d'arrêter. Je ne veux pas, dans 10 ans, ne pas pouvoir aller
skier parce que ma hanche me fait mal. J'ai envie de pouvoir faire
un jogging sans boîter après 20 minutes... Je suis un sportif qui
aime la compétition et j'ai pris beaucoup de plaisir durant ma
carrière.
- La compétition va logiquement vous manquer...
STEPHANE LAMBIEL: C'est une nouvelle vie qui
commence pour moi. A 23 ans, j'ai l'avenir devant moi. Il n'y aura
plus l'adrénaline de la compétition mais l'envie de patiner est
toujours là. Dès que ma santé me le permettra, j'irai m'entraîner.
Ce ne sera pas comme si je m'entraînais pour les Jeux olympiques.
Je vais pouvoir créer simplement. Je vais travailler avec plusieurs
chorégraphes. J'ai envie de travailler des programmes qui vont me
permettre de faire des nouvelles choses. Mais avant tout ça, j'ai
des voyages qui sont prévus, tout en continuant des traitements
pour ma jambe. L'avenir m'appartient. Je vais faire ce dont j'ai
envie.
De Berne, Miguel Bao
Les différentes étapes de la carrière de Lambiel
1995: début de sa collaboration avec Peter Grütter.
1997: champion de Suisse novice.
2001: premier titre national en élite (invaincu depuis en CH).
2002: percée internationale (4e des Championnats d'Europe).
Octobre 2004: Lambiel se sépare une première fois de Peter Grütter pour s'entraîner avec le Vaudois Cédric Monod.
Janvier 2005: Lambiel renoue avec Peter Grütter.
Mars 2005: 1er titre mondial à Moscou.
Janvier 2006: Vice-champion d'Europe à Lyon.
Février 2006: médaille d'argent aux JO de Turin.
Mars 2006: 2e titre mondial à Calgary.
Janvier - mars 2007: Fatigué, Lambiel fait l'impasse sur les Européens de Varsovie. Puis arrache le bronze aux Mondiaux de Tokyo en mars.
2007-08: saison mouvementée. Vice-champion d'Europe à Zagreb, 5e aux Mondiaux de Göteborg.
Lambiel, une carrière exceptionnelle
La carrière de Lambiel restera exceptionnelle. Sous la houlette de Peter Grütter, qui l'a coaché pendant 13 ans, à peine interrompus d'un intermède de quelques mois avec Cédric Monod, il a remporté deux titres mondiaux, deux médailles d'argent aux Championnats d'Europe et une autre aux Jeux de Turin en 2006, qui restent son meilleur souvenir.
Lambiel aura marqué les juges par ses programmes toujours flamboyants et d'une formidable sensibilité artistique. Sur le plan technique en revanche, lorsqu'il n'était pas au top comme ses deux derniers hivers, il manquait parfois de stabilité, surtout sur son triple axel.
Champion de Suisse sans discontinuer depuis 2001, Lambiel a percé au plan international en 2004 (4e aux Mondiaux). Il est le deuxième champion à annoncer son retrait cet automne. Le Canadien Jeffrey Buttle, champion du monde en titre, a récemment raccroché, par lassitude.
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