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L'incrédulité des responsables helvétiques

Lorenz Liechti ne goûte guère aux nouvelles directives internationales.
Lorenz Liechti ne goûte guère aux nouvelles directives internationales.
La décision de la Fédération internationale de natation d'autoriser les combinaisons en polyuréthane ne laisse pas insensible Swiss-Swimming. "C'est le bordel", selon son porte-parole Lorenz Liechti.

Le monde de la natation en Suisse réagit avec passion et
incrédulité à l'homologation par la FINA de combinaisons tout en
polyuréthane pour 2009, une décision largement qualifiée
d'incohérente. Certains nageurs suisses sont avantagés, d'autres,
comme Dominik Meichtry, boivent la tasse.



«La décision de la FINA (Fédération internationale)
est un coup porté à la crédibilité de la natation. On peut bien
dire que c'est le bordel»,
relève Lorenz Liechti, ancien
nageur d'élite et porte-parole à Swiss-Swimming.



Le problème, avec certaines combinaisons high-tech, est que
l'égalité des chances est compromise. Il y a ceux qui les portent
avec bonheur, ceux qui peuvent se les payer ou qui ont la chance
d'avoir le bon équipementier, et les autres. «Pour les Mondiaux
de Rome
(fin juillet-début août), nos nageurs porteront ce
qu'ils voudront. Ils auront l'entière liberté»,
précise
Liechti.

Nageurs laissés de côté

La fameuse «Jaked01», cette tenue
italienne qui a mis le feu aux bassins avec sa composition 100 %
polyuréthane désormais homologuée qui favorise la flottabilité et
le maintien du tronc, a fait le bonheur ce printemps de nageurs
romands comme Damien Courtois ou Benjamin Le Maguet, qui marchent
sur Rome avec confiance.



«Des tests ont montré que Damien gagnait 1 seconde et demie
sur 25 m brasse avec la Jacked
», reconnaît son entraîneur à
Lancy-Natation, Benjamin Paris (ndlr: il a été chronométré en 27"3,
ce qui fait de lui un demi-finaliste en puissance aux Mondiaux).
Pour Benjamin Paris, «la course à l'armement
technologique
» est appelée à se poursuivre. Il n'y voit pas de
problème, pour autant que chacun soit sur pied d'égalité et ait
accès au meilleur matériel. Or, actuellement, «il y a le risque
que certains nageurs désargentés soient laissés sur le côté»
,
dit-il.



Ces «combis» miracle coûtent en effet 600 francs, ce qui fait dire
à beaucoup, comme Lorenz Liechti, que la décision de la FINA est
motivée par des intérêts économiques. La Jaked est sous contrat
avec la Fédération italienne, hôtesse des prochains Mondiaux.

Pas le même entraînement

Même à supposer que tout le monde y recoure - ce qui ne pourra
de toute façon pas être le cas -, les tenues 100 % polyuréthane
entraînent une redistribution des cartes. Car elles conviennent
mieux à certains qu'à d'autres. «Un Dominik Meichtry par
exemple
(ndlr: 6e des Jeux de Pékin sur 200 m) a beaucoup
de peine à s'y faire car il nage tout en finesse»,
relève
Benjamin Paris. Une qualité qui n'est plus forcément indispensable
avec les nouvelles tenues.



En effet, vu qu'elles favorisent la portance, plus besoin de
fournir autant d'énergie pour assurer son équilibre et la
pénétration dans l'eau. Un effort accru peut dès lors être fait à
l'entraînement sur la musculation et la puissance, ce qui change la
donne.



La morphologie joue aussi un rôle. La Schaffhousoise Marina Ribi,
très grande et fine nageuse, également qualifiée pour Rome,
«n'a jamais pu enfiler ces costumes», précise Lorenz
Liechti. D'autres, comme Flori Lang ou Patrizia Humplik, «ont
presque tout essayé»
ou en possèdent plusieurs (Jaked, Arena,
Speedo, 50 % ou 100 % polyuréthane...). Il y a aussi ceux qui,
comme le Genevois Aurélien Künzi, estiment que le «tout
polyuréthane»
est une technologie pour tricheurs et qui
refusent de les porter.



«C'est le Far West», constate Swiss-Swimming. En
attendant que la FINA remette de l'ordre, pour 2010 si tout va
bien, le journal «L'Equipe» en a tiré les conséquences: il ne
parlera plus de records, tout simplement.



si/alt

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Philippe Fontaine: «On dénature le sport»

Déjà très controversées au niveau de l'élite, les nouvelles combinaisons ont des conséquences considérables sur l'entraînement des jeunes. «Elles occultent la notion de travail», s'insurge Philippe Fontaine, coach des espoirs à Lancy-Natation (GE).

Selon ce spécialiste d'un des clubs phares de Suisse, le «tout polyuréthane» conduit à un renversement des valeurs: «L'entraînement classique avec les jeunes, jusqu'à présent, consiste à leur demander d'être toniques, de pénétrer dans l'eau comme un bateau d'aviron. C'est deux à trois ans de travail. Mais avec les nouvelles combinaisons, les gamins entrent dans l'eau comme des projectiles, plus besoin de faire le travail de gainage.»

Est-ce mal, finalement? Philippe Fontaine utilise cette image: «C'est comme si on donnait aux enfants une calculette avant qu'ils aient appris à calculer.»

Ce formateur ne cache pas son dégoût. «On dénature le sport avec ça. Vous verrez, au Critérium suisse de Renens, qui réunira les meilleurs nageurs du pays de 12 à 17 ans dans quinze jours, on aura des jeunes avec ces combinaisons. Pourront les porter ceux dont les parents auront le plus d'argent (à 600 francs la tenue)»... Argent, technologie: «Cela devient de la Formule 1», conclut Philippe Fontaine.