Juan Antonio Samaranch, décédé mercredi à l'âge de 89 ans,
restera comme l'homme qui a fait passer l'olympisme de
l'amateurisme pur au libéralisme financier le plus débridé, avec
toutes les dérives que cela peut entraîner. Resté 21 ans à la tête
du Comité international olympique (CIO) de 1980 à 2001, l'Espagnol
aura marqué le mouvement olympique autant que le baron Pierre de
Coubertin, l'initiateur des Jeux olympiques de l'ère moderne.
Samaranch a permis à Atlanta, la ville de Coca-Cola, l'un des
parraineurs les plus importants du CIO, d'obtenir l'organisation
des JO en 1996 alors qu'Athènes était toute désignée pour
accueillir ces Jeux du Centenaire. La capitale grecque avait en
effet accueilli en 1896 les premiers Jeux de l'ère moderne rénovés
par le baron français.
"Il a dominé les autres présidents de la tête et des
épaules"
Si Samaranch n'a pu s'approprier le record de longévité à la
tête du CIO, détenu par Pierre de Coubertin resté président 29 ans,
entre 1896 et 1925, son règne a fortement compté dans l'évolution
du CIO, devenu une instance incontournable pour les hommes
politiques du monde entier. "Après Coubertin, il ne fait aucun
doute que Samaranch domine les autres présidents de la tête et des
épaules en termes d'impact, non seulement en ce qui concerne les
Jeux mais aussi pour la place du mouvement olympique dans le
monde", estime l'historien John MacAloon, un spécialiste du
mouvement olympique.
Dick Pound, l'ex-président de l'Agence mondiale antidopage (AMA),
estime que Samaranch fait partie des tout meilleurs: "Coubertin
pour avoir lancé les Jeux, Avery Brundage pour les avoir maintenus
dans une période très difficile et Samaranch pour les avoir fait
passer de la cuisine à l'échelle mondiale".
Une ère mouvementée à la tête du CIO
L'ère Samaranch a sans doute été la plus mouvementée de
l'histoire du CIO, marquée par les boycotts politiques, la fin de
l'amateurisme pur, l'explosion de la commercialisation, la
croissance exceptionnelle de la popularité des Jeux, le dopage et
le scandale de Salt Lake City. "Il faut comparer les Jeux à ce
qu'ils étaient il y a vingt ans: c'est mon héritage",
affirmait Samaranch, en rendant les clés du CIO en 2001. "Il y
a beaucoup plus important. Tout notre financement provient de
sources privées et nous ne recevons pas le moindre dollar des
gouvernements. Cela signifie que nous pouvons assurer notre
indépendance et notre autonomie".
A son arrivée, le CIO était quasiment en faillite, les Jeux
avaient été victimes de boycott (Moscou en 1980, avant Los Angeles
en 1984), frappés par le terrorisme (Munich 1972) et les problèmes
financiers. Les coffres du CIO regorgent désormais de milliards de
dollars, l'ère des boycotts est terminée et les Jeux sont
l'événement sportif le plus populaire de la planète.
Le scandale de Salt Lake City
Pourtant, le règne du marquis catalan a aussi été entaché de
controverses. Le triomphe de l'argent et la recherche de la
performance à tout prix, rendue possible par le dopage, deux
aspects de l'olympisme apparus sous sa présidence, ont été
critiqués par beaucoup. Son règne de 21 ans a également été marqué
par la plus grosse affaire de corruption jamais connue par le CIO,
qui a conduit à la purge de dix membres ayant bénéficié de plus
d'un million de dollars en liquide, cadeaux et livres destinés à
assurer le succès de la candidature de Salt Lake City en
2002.
"Ce que je regrette, que je regrette vraiment, c'est ce qui
s'est passé à Salt Lake City", reconnaissait Samaranch, marqué
par cette affaire qui a réellement mis en danger l'olympisme.
L'Espagnol avait pourtant su s'en tirer, en lançant un train de
réformes destiné à moderniser le CIO, à l'ouvrir et à le rendre
plus démocratique, et qui interdit désormais aux membres de se
rendre dans les villes candidates.
Cet épisode n'a pas semblé ternir son image. Pas plus en tout cas
que son passé franquiste, dans les années 60 et 70, que ses
critiques, comme l'auteur britannique Andrew Jennings, rappellent
souvent. Samaranch a toujours répliqué qu'il n'avait pas de vraies
responsabilités sous Franco, en tant que directeur général des
Sports.
Quand il se penchait sur son passé, Samaranch reconnaissait qu'il
avait failli partir plus tôt, après les Jeux olympiques de
Barcelone, sa ville natale, et après ceux d'Atlanta en 1996. Mais à
chaque fois, ses partisans l'avaient convaincu de rester.
ap/dbu