Dans le premier article que la presse lui avait consacré, le 9 décembre 2010, ceci alors qu'il avait seulement passé deux mois dans l’élite, Jeremy Jaunin confiait dans la Tribune de Genève être surpris de voir comment les choses tournaient pour lui. "Je ne m'attendais pas à obtenir un rôle de cette importance, mais je suis conscient qu'il me reste beaucoup de travail. Reste que je suis fier de prouver que les petits peuvent aussi réussir dans le basket." Près de 14 ans plus tard, le meneur de poche (170 cm) vient d'actionner le clap de fin sur sa carrière avec un palmarès en or massif. Quadruple champion de Suisse, quadruple lauréat de la Coupe de Suisse, quintuple vainqueur de la Coupe de la Ligue et sacré une fois en Supercoupe de Suisse, "Jay", qui a brillé avec les Lions de Genève, Fribourg Olympic et Nyon, vit les premiers jours du reste de sa vie. Confidences d'un grand bonhomme, sur le parquet comme en dehors.
RTSsport.ch: Jeremy Jaunin, à vos yeux le petit gars de Cartigny, nanti de 14 trophées, a-t-il définitivement convaincu tout le monde que les petits peuvent aussi briller en basket?
JEREMY JAUNIN: (il rit) Je crois, oui. En tout cas, même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais pas imaginé tout cela. A la base, mon but dans le basket était de progresser chaque année, de voir jusqu'où je pouvais aller, de me dépasser moi-même. Je n'aurais pas pensé gagner un titre chez les pros, alors encore moins remporter autant de trophées que cela, jouer en Europe et représenter la sélection suisse! Lorsque je me retourne sur ma carrière, je ne peux que me dire que ça a été génial. Vraiment. Je ne pouvais définitivement pas espérer mieux que cela.
RTSsport.ch: Il nous semble que vos premiers pas en LNA, en 2010, étaient hier. Avez-vous vu ces 14 ans passer?
JEREMY JAUNIN: Pas tant que cela, pour être honnête. Ces quatorze années ont filé à très grande vitesse. Surtout les 6 premières aux Lions, puis les 4 autres à Fribourg. J'étais la tête dans le guidon, comme dans un TGV. Tout allait vite, tout s'enchaînait. Et comme les résultats positifs suivaient, j'en voulais toujours plus, comme tout compétiteur qui se respecte.
RTSsport.ch: Au final, que retenez-vous de ces 14 saisons au plus haut niveau?
JEREMY JAUNIN: Ma plus grande fierté, ce ne sont pas les paniers inscrits ni les assists distribués ou les titres glanés. Non. Ce sont bien les amitiés que j'ai pu nouer au fil de mon parcours. J'ai reçu, et je reçois encore, tant de messages chaleureux depuis l'annonce de ma retraite… Par moments, je me dis "waouh!". J'ai parfois l'impression qu'on me parle de quelqu'un d’autre. Tout cela a bien davantage de valeur que tout le reste. Je n'avais pas imaginé qu'un jeune puisse me dire que je l'ai inspiré ou qu'un autre m'écrive m'avoir eu comme modèle. Tout cela ainsi que les émotions, les bonnes comme les mauvaises, qui jalonnent une carrière sportive constituent les plus belles choses de ma vie de basketteur.
RTSsport.ch: Votre carrière a été faite de grands matches, mais aussi de rencontres humaines. Reste que parmi les souvenirs, le fait d'avoir été champion de LNA avec notamment Mikael Maruotto, Florian Steinmann et Babacar Touré, qui ont été vos partenaires chez les jeunes à Bernex, doit rester tout en haut de la liste…
JEREMY JAUNIN: Ah oui, ça c'est clair! Enlever des titres, dont celui de champion de Suisse, avec Miki et Flo, mais aussi Baba, qui nous a rejoints plus tard à Bernex, est et restera quelque chose de mythique. Depuis que nous sommes gamins, nous nous sommes toujours suivis, et ce jusqu'en 2013, année du premier sacre des Lions de Genève. Je crois que nous avons déjoué tous les pronostics, car pas grand monde ne nous voyait réussir en LNA, et ce pour des tas de raisons différentes qui peuvent tout à fait se comprendre. Mais finalement, nous avons tout gravi ensemble. Nous avons gagné chez les Juniors, puis en 1re Ligue, puis en LNB. Ensuite, nous sommes parvenus à évoluer en LNA et carrément à y enlever des titres, tout en ayant de vrais rôles dans nos équipes. C'est une très belle histoire que nous avons partagée. En reparler me renvoie des images de nous quatre, allant tous ensemble aux entraînements en LNA; c'était extraordinaire. L'une de mes autres grandes fiertés est d’avoir pu, avec eux, rendre à Bernex-Basket tout ce qu'il nous a donné.
RTSsport.ch: Vous avez aussi été international suisse. Un fait marquant?
JEREMY JAUNIN: Oui! Je crois que pour n'importe quel athlète, porter le maillot de son pays est le plus grand des honneurs. Quelle fierté de pouvoir me dire que le petit gars de Cartigny, dans la campagne genevoise, a réussi, avec son mètre septante, à aller se frotter aux mastodontes internationaux! J'aurais aimé pouvoir porter ce maillot plus souvent, mais j'ai dû faire des choix par rapport à ma vie privée. Ca a aussi été une belle époque.
RTSsport.ch: En club, vous avez grandi avec les Lions de Genève, puis avez rejoint le grand rival Fribourg Olympic, où vous avez vécu d'autres moments en or…
JEREMY JAUNIN: Fribourg, c'est la référence en Suisse pour le basket. Si un gars me dit aujourd’hui qu'il a l'opportunité d'aller jouer là-bas, je lui dis de foncer! J'y ai pour ma part trouvé une équipe et des gens extraordinaires. Une famille, pour tout dire. Pour mon épouse, nos enfants et moi-même, tout s'est merveilleusement déroulé. Toutes les discussions étaient franches, les gens honnêtes, droits, attachants. Ces quatre années ont tout simplement été formidables. L'autre jour, en buvant un verre après l'un de nos matches des quarts de finale des playoffs, j'ai eu l'impression que je n'étais jamais parti de là-bas.
RTSsport.ch: Si vous deviez ne retenir qu'un moment de votre carrière, quel serait-il?
JEREMY JAUNIN: N'en retenir qu'un seul est impossible, notamment car il y en a deux que je ne peux départager: primo la campagne européenne 2018/2019 avec Fribourg Olympic, avec 6 matches de barrage et 14 autres rencontres continentales. On a alors vécu un truc incroyable, au plus haut niveau, inédit pour des Suisses. C'était dingue. Puis deuxio, il y a l'acte V de la finale des playoffs 2013 contre Lugano. C'était le plus gros match de l'histoire des Lions et nous avons pu ramener le titre à Genève après 25 ans d’attente. C'était totalement fou!
RTSsport.ch: Votre humilité semble vous interdire de rappeler que vous avez été décisif ce 31 mai 2013…
JEREMY JAUNIN: (il sourit, gêné) Il est vrai que lorsque je reviens sur le parquet, dans le 4e quart, il y a un déclic dans l'équipe. Je suis simplement entré en me disant "fais ce que tu sais faire!" et j'ai été de ceux qui ont pu rallumer un moteur qui était alors grippé. Ce match résume un peu ma carrière. Après une saison difficile, lors de laquelle le coach Ivan Rudez ne m'avait jamais ménagé, j'étais animé par quelque chose de particulier. Je voulais lui dire, et lui montrer, qu'il pouvait me faire vivre l'enfer, je serais malgré tout toujours là, je répondrais toujours présent. C'est mon caractère: je ne me suis jamais caché, j'ai toujours tout donné. Je sais que ce match 5 a changé le regard que les gens portaient sur moi.
RTSsport.ch: Vous avez évoqué Ivan Rudez. Mais parmi tous les entraîneurs que vous avez eus, lequel vous a le plus marqué?
JEREMY JAUNIN: Oh punaise... il y en a plein, chez les jeunes comme chez les pros! Mais je suis obligé de citer Nebojsa Lazarevic (connu à Bernex puis aux Lions), qui a énormément fait pour moi. Ensuite viennent Ivan Rudez, Petar Aleksic et Stefan Ivanovic. Le premier m'a cassé, "pourri", mais il m'a endurci et permis de grandir comme joueur et comme homme. Je me suis rendu compte plus tard qu'il a été comme un grand frère. Il a été très, très dur avec moi, mais c'était pour mon bien. Je dois beaucoup à Ivan. Petar Aleksic est pour sa part un manager hors-pair, un grand homme, qui arrive parfaitement à cerner ses protégés. Il savait comment me parler mais aussi comment m'utiliser. Il a su tirer le meilleur de moi-même. Enfin, Ivanovic m'a donné les clefs à Nyon. C'est un jeune coach certes, mais un très fin connaisseur, qui maîtrise son sujet. Cela a été un honneur d'avoir pu travailler sous ses ordres.
Arnaud Cerutti (textes et vidéos)
Retour au travail
Jeremy Jaunin n'a pas eu à se poser de question sur son avenir. Tout est déjà planifié. "J'ai mon CFC de charpentier et je vais m'impliquer encore davantage dans l'entreprise de mon père, dit-il. Je me réjouis car je vais pouvoir m'y mettre à 100%, voire plus encore, car je n'aurais plus le basket pro. J'ai toujours bossé en parallèle, mais plus assidûment depuis mes dernières saisons, à Genève puis à Nyon. Je vais aussi me concentrer sur mes projets familiaux (ndlr: marié à Aurélie, il a 2 enfants, de 6 et 4 ans)."
Toujours un pied sur le parquet
Difficile de croire que le passionné Jeremy Jaunin puisse rompre avec les parquets. Non, non et non! "Rassurez-vous, je vais garder un pied dans le basket, sourit le Genevois. Mais j'ignore encore où et comment! Cela pourrait être en tant que joueur en LNB avec Bernex, car c'est "mon" club, celui dont mon père est président. Ce serait chouette de boucler la boucle à Vailly. Mais cela pourrait aussi être en 2e Ligue... En tout cas, je peux vous jurer que vous ne me verrez pas coacher des adultes!"
Jeremy Jaunin, en bref
Né le 2 février 1991, à Genève.
Poste: meneur.
Formé à Bernex-Basket, club dont son père François est président.
International suisse.
Clubs successifs: Lions de Genève (2010-2016); Fribourg Olympic (2016-2020); Lions de Genève (2020-2021); BBC Nyon (2021-2024).
Palmarès: 4 x Championnat de Suisse (2013, 2015, 2018, 2019); 4 x Coupe de Suisse (2014, 2018, 2019, 2021); 5 x Coupe de la Ligue (2013, 2015, 2018, 2020, 2021); 1 x Supercoupe de Suisse (2017).