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Jo Gutknecht: "Jamais je n'aurais pensé, même secrètement, qu'on atteindrait la finale"

Jo Gutknecht et son NUC disputent la finale de la Coupe CEV. [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]
Jo Gutknecht et son NUC disputent la finale de la Coupe CEV. - [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]
Le NUC a bouleversé la hiérarchie cette saison en Coupe CEV, 2e échelon de la Coupe d'Europe, en atteignant la finale. Récompensées de leurs efforts et talent, les Neuchâteloises défieront à 19h00 dans ce match aller les Turinoises de Chieri dans une salle de la Riveraine pleine à craquer. Présidente du club depuis 2000, Jo Gutknecht est consciente du défi qui se présente tout en précisant que "Chieri devra sortir le grand jeu".

Mardi 16h00: Jo Gutknecht ainsi que de nombreux bénévoles mettent la main à la pâte pour que la salle de la Riveraine soit prête à accueillir mercredi à 19h00 Chieri, championne d'Europe de la Challenge Cup (équivalent de la Conference League en football) l'année dernière, et ses nombreux fans. Pris de court par le parcours XXL de son équipe, Jo Gutknecht fait face, tant bien que mal, devant l'ampleur de cette organisation, mais n'en perd pas pour autant sa passion et son sourire. Elle nous a accordé 30 minutes pour évoquer les implications financières d'une telle finale, le rôle vital des bénévoles et l'engagement sans faille des joueuses de Lauren Bertolacci.

Jo Gutknecht et Lauren Bertolacci (à droite) vivent une saison de rêve. [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]
Jo Gutknecht et Lauren Bertolacci (à droite) vivent une saison de rêve. [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]

RTSsport: Est-ce le moment fort de votre carrière?

JO GUTKNECHT: Complètement. C'est un moment inimaginable. Jamais je n’aurais pensé, même secrètement ou discrètement, qu'on atteindrait ce stade de la compétition.  C'est vraiment quelque chose de complètement incroyable pour moi. 

RTSsport: Qui dit finale de la Coupe CEV, dit forcément grosses implications au niveau de l’organisation. Concrètement, ça représente quoi?

JO GUTKNECHT: Le quotidien, c'est organiser, c'est s'inquiéter, c'est beaucoup de travail, notamment administratif. Et évidemment, on ne transforme pas la Riveraine, qui n'est absolument pas adaptée pour ce genre d'événements sportifs. On se rend compte, par exemple, qu'on a 35 représentants des médias pour cette finale et qu’il n'y a pas de place. Donc il faut tout inventer, il faut trouver les astuces pour accueillir notre public, les journalistes, les photographes, ainsi que les supporters italiens. Habituellement, on parlait de 7 à 10 places pour l'équipe adverse. Là, Chieri a demandé 150 places pour ses supporters.

Même les clubs professionnels ne peuvent pas se passer des bénévoles

Jo Gutknecht

RTSsport: Un mot sur les bénévoles de NUC?

JO GUTKNECHT: Ils sont absolument indispensables et vitaux. Même les clubs professionnels ne peuvent s'en passer. On ne peut pas les rétribuer, même pas défrayer la valeur du travail qu'ils effectuent. En tout cas, je les remercie. Je suis tellement fière de voir tous ces gens qui donnent de leur temps, toute une journée, toute une soirée. Il y a des travaux vraiment ingrats comme porter des tables, nettoyer la zone VIP… les tâches ne sont pas toutes flamboyantes, mais ils sont là match après match simplement par plaisir, reconnaissance et pour vivre avec l'équipe. Pour la finale, nous pourrons compter sur 150 bénévoles.

RTSsport: Si on dit que le NUC est un club pro avec des moyens "amateurs", vous trouvez que c'est dur comme description?

JO GUTKNECHT: Ce n'est pas un club pro. En revanche, il compte une équipe en LNA et son staff est 100% professionnel. Les joueuses ne le sont pas toutes. Cela représente à peu près la moitié de l’équipe. Mais l'attitude de toutes les joueuses est extrêmement professionnelle. Elles font toutes les efforts nécessaires pour être à la hauteur des attentes. Les joueuses viennent au NUC pour progresser individuellement. Il faut que l'on se professionnalise au niveau administratif parce que pour l'instant les compétences reposent trop sur les mêmes personnes, sans avoir de back up.

Le budget du NUC s'élève à 650'000 francs pour la 1re équipe

Jo Gutknecht

RTSsport: Pour se faire une idée. A combien s'élève le budget du NUC?                

JO GUTKNECHT: Il s'élève environ à 800'000 francs, dont 650'000 pour l'équipe de LNA. Le reste du club dispose aussi d'un budget assez intéressant parce qu'on est aussi présent en LNB et en 1ʳᵉ ligue. Sans oublier notre mouvement junior constitué de 180 joueuses (le NUC possède une équipe de 2ᵉ ligue masculine et quelques écoliers). C'est très gratifiant de voir que l'année passée notre entraîneur Lauren Bertolacci a intégré 3 purs produits du club (Caroline Delley, Nina Scrucca et Tanaïs Camélique) dans la 1ʳᵉ équipe. C'est un message fort.

RTSsport: La Coupe d'Europe, ça vous rapporte de l'argent?

JO GUTKNECHT: Les coûts sont vertigineux quand on les additionne. On a constaté jusqu'ici qu'on perdait environ 10'000 francs par tour passé. Pour la demi-finale et la finale à domicile, il y a par exemple la production télévisuelle des matches. La RTS couvre 80% de ces coûts qui sont très élevés. J'espère qu'au terme de cette campagne européenne on arrivera à un équilibre financier.

On doit absolument se diriger vers au moins un poste professionnel administratif, sans toucher au budget de l’équipe première

Jo Gutknecht

RTSsport: Est-ce que le NUC est arrivé à la limite dans sa configuration actuelle?                

JO GUTKNECHT: Nous sommes arrivés à la limite de ce qu'on peut faire en termes de management des bénévoles. Je pense que là, on doit absolument se diriger vers au moins un poste professionnel technico-administratif, sans toucher au budget de l'équipe première. Il faut essayer de trouver d’autres sources de financement tout en sachant que les possibilités ne sont pas grandes. Dans ce sens, la salle de la Riveraine nous limite un peu.

RTSsport: Cette situation met-elle la pérennité du club en danger?                

JO GUTKNECHT: Je ne pense pas, mais ça nous oblige à trouver d'autres solutions. Nous avons par exemple une coach extrêmement performante qui parvient finalement chaque année à dénicher des joueuses dans une gamme de prix abordable. Tant qu'on y arrive, je pense qu'on peut continuer de régater au niveau sportif et financier avec un équilibre. Grâce à Lauren Bertolacci, il y a vraiment beaucoup de joueuses qui voient le NUC comme un tremplin.

Notre top-scorer Tessa Grubbs avait donné une interview en octobre en disant qu’elle était restée au NUC pour gagner au niveau européen

Jo Gutknecht

RTSsport: Les sponsors et la Ville vous soutiennent-ils suffisamment?

JO GUTKNECHT: Pour ce qui est des sponsors, oui. Pour ce qui est de la Ville, je suis un peu mal à l'aise de dire non. Pour cette campagne de Coupe d'Europe, elle nous soutient. Pas de façon phénoménale, mais tout de même. Ce n'était pas le cas avant. On paie les salles, on a de la peine à obtenir ce qu'on a envie. Par exemple, on essaie toujours d'avoir notre propre vestiaire. Que les joueuses puissent s'installer dans un vestiaire, laisser parfois leur équipement quand on s'entraîne à midi et le soir. Et ça, pour l'instant, c'est impossible parce que la salle de la Riveraine, elle fait partie aussi des écoles. Il y a toutes ces contraintes.

RTSsport: Avant le début de la saison, quel était l'objectif du NUC?

JO GUTKNECHT: Notre top-scorer Tessa Grubbs avait donné une interview en octobre en disant qu'elle était restée au NUC pour gagner au niveau européen. Je m'étais demandé, à ce moment-là, comment elle pouvait déclarer une telle chose car c'est tellement au-delà de notre réalité de petit club suisse... Finalement, elle n'avait pas tort. Donc oui, on peut rêver de titre. On a envie que ces filles soient récompensées de tous leurs efforts.
                

Avec Lauren Bertolacci, on ne peut pas s'endormir

Jo Gutknecht

RTSsport: Un mot sur la coach Lauren Bertolacci, qui est au NUC depuis 2018?

JO GUTKNECHT: C'est la meilleure décision que le NUC ait prise, sans dénigrer les entraîneurs, comme par exemple Philippe Schütz, qui ont précédé Lauren Bertolacci. Depuis qu'elle est là, le NUC a pratiquement gagné tous les titres qui ont été mis en jeu et pas toujours avec la même équipe. On a chaque année dû refaire un recrutement et finalement elle le mène à chaque fois à merveille.

RTSsport: Mais encore?

JO GUTKNECHT: C'est aussi une femme extrêmement intelligente, ambitieuse dans le bon sens du terme. Elle ne se satisfait pas d'une routine, elle veut toujours aller de l'avant. Avec elle, on ne peut pas s'endormir. Dès qu'on a l'impression d'avoir bien fait quelque chose, il y a une autre attente ou une autre proposition. Elle vit vraiment pour le club en intégrant des juniors qui ont du talent et qui travaillent dur. Elle attache de l'importance aux finances du club et puis elle reconnaît le bon travail des autres entraîneurs du club. C’est un magnifique signal.

RTSsport: Elle est extrêmement exigeante avec l'équipe. L'est-elle aussi avec vous?                

JO GUTKNECHT: Elle est exactement la même avec moi. S’il y a des choses qui ne vont pas, elle le dira. Elle a la même exigence pour elle-même... Elle aime beaucoup ses joueuses. Elle veut les faire arriver à un niveau qu’elle pense pouvoir les faire atteindre.

La Coupe CEV, c'est vraiment la cerise sur le gâteau

Jo Gutknecht

RTSsport: Avec ce NUC qui gagne, comment faites-vous pour conserver les joueuses et le staff?

JO GUTKNECHT: Je n’en sais rien (rires).  Je pense que le staff technique y est pour quelque chose. On l'a souvent dit. Le NUC est un tremplin, donc c'est normal qu'après une ou deux saisons des joueuses partent. Je ne pense pas que les joueuses qui ont quitté le NUC ne s'y plaisaient pas. Elles ont toutes un projet de carrière. Et pour moi, ce n’est même pas un crève-cœur. C’est simplement logique. Je suis même contente et reconnaissante de ces joueuses qui ont passé une ou deux saisons au NUC et qui nous ont apporté leur talent et leur personnalité.                

RTSsport: Et Lauren Bertolacci?

JO GUTKNECHT: Je pense que forcément à un moment donné un grand club avec des grands moyens la contactera. On ne pourra que la remercier pour toutes les années qu’elle a passées au NUC. On ne pourra jamais s’aligner financièrement sur les propositions des grands clubs. Pour l’instant, elle est là. Profitons.

Ca fait 4 fois qu'on nous dit qu'on est plus faible sur le papier, donc pourquoi pas une 5e fois.

Jo Gutknecht

RTSsport: Le NUC a remporté cette saison la Supercoupe, est en finale de la Coupe de Suisse, en demi-finales des playoffs et en finale de la Coupe CEV. L’appétit vient en mangeant.

JO GUTKNECHT: La Coupe CEV, c’est vraiment la cerise sur le gâteau. Donc là, je pense qu'il n'y a aucun objectif. Mais on le dit aussi, une finale, ça se gagne, ça ne se joue pas. On va y aller pour la gagner. Après, quel que soit le résultat, on ne pourra être que très fier de notre parcours. On va avoir une médaille européenne autour du cou. C'est juste phénoménal! Concernant Lauren Bertolacci, elle y va pour gagner toutes les compétitions. C’est dans sa mentalité.

RTSsport: Un mot sur cette équipe de Chieri?

JO GUTKNECHT:  Le championnat d'Italie, c'est la Mecque du volley. Chieri est 5e de son championnat, mais les 4 meilleures équipes sont toutes en Champions League. Il y en a 2 qui sont en demi-finales. Chieri a un rythme et des compétences que nous n’avons pas. Mais ça fait 4 fois qu'on nous dit qu'on est plus faible sur le papier, donc pourquoi pas une 5ᵉ fois. Il y a une telle camaraderie et un tel mental dans notre équipe que, en tout cas, nous n'abandonnerons pas jusqu'au dernier point. Chieri va devoir sortir le grand jeu pour nous battre, c'est sûr.

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Neuchâtel, Miguel Bao

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Présidente du NUC "par hasard"

RTSsport: Que représente le volley pour vous?

JO GUTKNECHT: C'est tout. C'est tellement de choses. C'est un sport passionnant, où il y a beaucoup de solidarité, de complicité, d'interactions entre les personnes. Et puis c'est un club, c'est une grande famille, c'est un sport que mes 3 fils pratiquent.

RTSsport: Le grand public ne le sait peut-être pas, mais vous avez aussi été joueuse en Ligue nationale dans les années 80.

JO GUTKNECHT: Oui, j'ai disputé une finale de la Coupe de Suisse et fêté 2 promotions en LNA avec Neuchâtel. Je suis aussi partie à Zurich en LNA pour apprendre le suisse allemand. A 30 ans, c’était le bon moment d’arrêter.

RTSsport: Et depuis 2000, vous êtes présidente du NUC. Comment devient-on présidente?

JO GUTKNECHT: Par hasard. J'étais déjà au comité depuis plusieurs années. François Hirschi était resté 14 ans président et après son règne, ça a été plus difficile de trouver quelqu'un sur la durée. Et on avait décidé au comité que tous les 2 ans un des membres du comité deviendrait président. En 2000, c'était mon tour. Et puis en 2002, quand on aurait dû continuer de tourner, tout le monde m'a dit ‘’ben non, c'était bien, reste présidente’’. Et finalement ça m'avait plu aussi donc j'ai pas dit non. On ne m'a pas forcé (rires).