Joueur, il mettait ses capacités au service du collectif, il était ce meneur chargé de mettre du liant dans une équipe. Vingt ans plus tard, Sevag Keucheyan s'occupe de faire le lien entre les acteurs, les coaches et les clubs. Impossible d'avoir assisté à un match de basket sans l'avoir vu dans les parages! L'ancien distributeur des Geneva Devils est non seulement devenu l'agent le plus coté de Suisse, mais aussi un grand nom en Europe. En témoignent les sollicitations dont il est l'objet, les messages et appels se bousculant sur son téléphone.
Ce quotidien, l'intéressé l'a voulu, en a rêvé, même. "J'ai toujours souhaité pouvoir rester dans le basket, expose-t-il. Mais je ne voulais surtout pas devenir coach, car je n'aurais pas voulu devoir gérer des types comme moi (rires)! Je faisais des études d'économie d'entreprise et, comme j'étais passionné depuis toujours par le recrutement, le repérage, que je visionnais déjà des tonnes de vidéos et que j'avais déjà ma propre base de données en étant joueur, je me suis orienté vers ce métier d'agent."
J'ai toujours souhaité pouvoir rester dans le basket, mais je ne voulais surtout pas devenir coach, car je n'aurais pas voulu devoir gérer des types comme moi...
Une voie cependant pas évidente à prendre, en Suisse. Mais Sevag Keucheyan, dont les premiers clients se sont appelés Cédric Mafuta ou Mikael Maruotto, a su faire son trou. Notamment car il est resté fidèle à lui-même. "C'est quelqu'un de fiable et d'honnête, relève Imad Fattal, ancien président des Lions de Genève, qui fut le coéquipier de l'agent en 2004/2005. En 12 ans à la tête du club, je n'ai jamais eu d'embrouille avec Sevag, car il est un intermédiaire efficace et intelligent, qui cherche à trouver des solutions, pas à créer des problèmes..."
La bonne fortune - ou est-ce le flair? - a aussi escorté l'agent d'origine arménienne. "J'avais repéré Arizona Reid, mais il n'avait alors pas signé avec moi, détaille-t-il. Dans la foulée, l'Américain avait obtenu un contrat en Italie mais s'était blessé en arrivant là-bas. Une fois touché, il n'avait plus eu de nouvelles de son agent. Donc il m'avait appelé. Je lui ai dit de venir à Genève pour se (re)lancer. Quinze ans plus tard, Arizona est devenu une superstar en Asie. C'est ainsi que ma carrière a décollé..."
Sevag est quelqu'un de fiable et d'honnête, qui cherche à trouver des solutions, et non pas à créer des problèmes.
Depuis, le manager est partout. D'aucuns râlent de le voir par-ci, par-là. D'autres, a contrario, louent son coup d'oeil et sa capacité à proposer les bonnes pistes. Son entregent, aussi. En Suisse, il ne peut manifester de préférence, tant il a des joueurs dans tous les clubs. "On me dit parfois que j'aide davantage une équipe qu'une autre, mais c'est faux, se défend d'ailleurs l'ancien meneur. Seulement oui, je propose des joueurs en fonction des souhaits des directeurs sportifs et des entraîneurs, tout en jonglant avec les enveloppes budgétaires des clubs. Alors forcément que je ne peux pas offrir la même chose à tout le monde..." Il sait qu'il ne peut pas faire l'unanimité. "J'espère néanmoins donner l'image d'un vrai passionné, qui travaille beaucoup et connaît parfaitement le marché", complète-t-il.
J'ai besoin de relationnel, besoin de contacts. Les joueurs ne sont pas des numéros.
Dans ce milieu concurrentiel, Sevag Keucheyan avoue privilégier l'humain. "J'ai besoin de ce relationnel, besoin de contacts. Les joueurs ne sont pas des numéros." Et derrière le cliché de l'agent qui compte(rait) les sous se nichent de belles histoires. Celle qui le lie à Chris Jones (Valencia) est à mettre en haut de la liste.. "Je l'ai repéré en 2016, lorsqu'il avait 23 ans, et je l'ai fait venir à Bâle, se souvient l'ex-international helvétique. Il gagnait alors à peu près 1500 francs suisses par mois. Aujourd'hui, il est l'un des meilleurs joueurs d'EuroLeague et est multimillionnaire. Notre relation dépasse celle d'agent-joueur."
Après quasiment 20 ans dans ce rôle d'entremetteur, Sevag Keucheyan ne se lasse pas. "Alors oui, je suis connecté 24h/24, et c'est parfois dur pour l'entourage, mais ma femme et mes deux enfants sont extraordinaires, pose-t-il. Le fait est que je suis mû par la même passion qu'au début et j'adore ce que je fais. Je prends le même plaisir à aller voir un match de l'élite qu'une rencontre de 25e Ligue (rires). Certains confrères, plus âgés, me confient qu'ils commencent à perdre cette passion et que cela se complique pour eux. Je crains que cela m'arrive un jour. Mais pour le moment ce n'est pas du tout le cas."
Arnaud Cerutti
"J'ambitionne de créer une structure pour les jeunes"
Impliqué dans le basket suisse depuis près de 30 ans, Sevag Keucheyan ne cache pas que notre pays dispose d'un vivier extraordinaire, comme le prouvent Kyshawn George (le prochain Helvète en NBA), Yannick Niederhauser ou Klark-Luca Riethauser. Manquent seulement les infrastructures et le professionnalisme. Ce qui ne lui a pas échappé. "Je rêve et j'ambitionne de pouvoir créer une structure pour les jeunes, avec comme finalité de pouvoir en amener un directement de la Suisse à la draft NBA, admet l'agent. Cela requiert énormément de travail, car il s'agit de former ceux qui... formeront les jeunes, mais cette envie m'accompagne depuis un petit moment."
"J'étais très moyen..."
Malgré ses sélections internationales et sa relative jolie carrière en LNA, Sevag Keucheyan rigole de son passé de joueur. "Honnêtement, j'étais très moyen, se rappelle-t-il. Bien sûr que j'avais une vraie compréhension du jeu, une bonne lecture et une bonne vision du basket, mais j'avais de telles lacunes physiques...! A dire vrai, j'ai travaillé comme un fou pour n'arriver finalement qu'à un très petit niveau..."
"Il faut jouer les médiateurs"
Puisque tout n'est pas rose, il arrive parfois qu'un joueur de Sevag Keucheyan soit dirigé par... un entraîneur de Sevag Keucheyan et que tous deux ne s'entendent pas. "Dans ce cas-là, je dois jouer par moments les médiateurs, sourit le Genevois. Mais je ne peux pas faire de miracles non plus. Il faut que chaque partie comprenne où se situent ses intérêts, que chacun soit intelligent. Parce qu'au final, ce sont eux qui passent 8 à 10 mois ensemble, à se voir quasiment chaque jour, pas moi..."
Playoffs: Genève bientôt en chantier?
Même si les Lions ont sauvé une balle de série en demi-finales des playoffs contre Fribourg Olympic grâce à leur victoire samedi, ils vivent une saison en dents de scie et "FO" reste le grand favori pour le titre. Au Pommier, les dents grincent et l'entraîneur Dragan Andrejevic, qui bénéficie encore d'une année de contrat, est semble-t-il sur la sellette. D'aucuns rêvent d'un retour de Manu Schmitt sur les bords du Léman (l'ancien coach des Geneva Devils est en fin de contrat à Aix-Maurienne), où un immense chantier pourrait s'ouvrir ces prochains jours. A moins d'un immense exploit?