Imaginée en 1944 comme le "Grütli du sport suisse", l’école de Macolin devait entretenir la forme des jeunes soldats. Plus de 70 ans plus tard, elle est devenue la Haute école fédérale de sport. L'élite sportive suisse s'y entraîne et y étudie.
De son village natal de Gossau, Giulia Steingruber a rejoint les hauteurs de Bienne à 14 ans. Pour se plier aux exigences d’une vie spartiate, celle qui accompagne les gymnastes. Une vie au cours de laquelle l’exigence physique est autant intransigeante que la carrière est éphémère. Souriante et décontractée, la récente double championne d’Europe (saut et sol) s’est confiée à Macolin, là où tout a commencé.
RTSsport.ch: Quand avez-vous su que vous feriez carrière dans la gymnastique ?
GIULIA STEINGRUBER: C’est difficile à dire. J’ai longtemps pris les choses comme elles venaient, sans vraiment me poser trop de questions. En 2011 à Berlin, j’ai disputé mon 1er championnat d'Europe individuel en élite. J'ai à ce moment frôlé la médaille mais je suis tombée en finale. Je crois que c’est à partir de là que j’ai construit la suite de ma carrière, cela a été un déclic. Je suis reconnaissante que l’environnement ait suivi et m’ait permis de réussir dans l’élite.
RTSsport.ch: Comment se sont passés les jours qui ont suivi les 2 médailles d’or européennes décrochées à Berne début juin ?
GIULIA STEINGRUBER: Les émotions étaient vraiment grandes et naturellement très positives. J'ai énormément savouré mais j’étais aussi très fatiguée, avec plusieurs crampes…J’ai eu du plaisir de pouvoir passer quelques jours à la maison, de pouvoir dormir et fêter avec ma famille et mes amis ces 2 titres.
RTSsport.ch:Puis il a fallu se remettre à l’entraînement pour préparer les Jeux…
GIULIA STEINGRUBER: Oui, nous nous sommes remis à l’entraînement pour préparer d’abord les championnats de Suisse (ndlr : qu’elle a survolé en décrochant les 5 titres). Ensuite une semaine à Majorque pour faire redescendre la pression et maintenant nous avons repris les entraînements intensifs pour les Jeux.
RTSsport.ch: La pression du public et des médias était très forte à Berne.
GIULIA STEINGRUBER: Oui, c’était quand même difficile et spécial. Mais au final, j’ai essayé de faire comme si c’était un événement comme les autres. Le public m’a aussi donné énormément d'énergie pendant la compétition. C’était vraiment génial.
RTSsport.chQu’apportent ces 2 titres européens dans l’optique de Rio ?
GIULIA STEINGRUBER: Ils m’apportent de la confiance, mais Rio est encore quelque chose de différent. C’est un événement beaucoup plus grand, mais comme à chaque compétition je vais tenter de donner le meilleur.
RTSsport.ch: Vos prestations au sol et au saut vous ont donné l’or européen à Berne. Mais que vaudraient-elles à l’échelle des Jeux olympiques ?
GIULIA STEINGRUBER: C’est une bonne question… (Elle réfléchit). Au sol, aucune idée… Je pense que cela aurait donné une 4e place. Au saut, probablement aussi la 4e place. En fait, mon programme au sol présenté à Berne m’aurait peut-être quand même offert une médaille à Rio.
"J'ai le droit de rêver"
RTSsport.ch: Une médaille olympique en saut passe par l’exécution du salto avant tendu avec double vrille, encore jamais présenté en compétition. Est-il maîtrisé?
GIULIA STEINGRUBER: Je le travaille chaque jour à l’entraînement. J'aimerais bien le présenter au tournoi des 5 nations à Chemnitz (ndlr : le 23 juillet). Ça serait évidemment mieux pour les sensations. Je prends les choses les unes après les autres mais j’aimerais quand même énormément pouvoir le présenter.
RTSsport.ch: Ce saut est l’un des plus difficiles au monde, avec une réception aveugle (dos face à l'engin). Prendriez-vous le risque de le poser à Rio sans l’avoir présenté avant ?
GIULIA STEINGRUBER J’aimerais bien. Nous en discutons actuellement avec mon coach. Si tel était le cas, ça ne serait probablement pas avant la finale à Rio.
RTSsport.ch: La concurrence au niveau mondial est très dense en saut. Cet enchaînement suffira-t-il pour une médaille ?
GIULIA STEINGRUBER: S'il est parfaitement maîtrisé, oui la médaille serait alors envisageable.
RTSsport.ch: Qu’est-ce que votre coach Zoltan Jordanov a-t-il apporté à votre carrière ?
GIULIA STEINGRUBER: Je suis arrivée aussi loin dans la gymnastique grâce à lui. Il m’a beaucoup aidé sur ma route. C’était vraiment un super entraîneur pour moi, qui me connaît très bien et sait comment me gérer. Je pense que c’est une des clés de mon succès.
RTSsport.ch: Son départ après les Jeux olympiques vous affecte-t-il ?
GIULIA STEINGRUBER: Cela va être un nouveau défi, avec un nouvel entraîneur. Je ne peux pas encore dire si cela sera difficile et je ne peux rien faire contre. Mais nous connaissons bien le nouveau coach (ndlr: le Français Fabien Martin qui est entraîneur à la Fédération suisse de gymnastique depuis 2005) et je suis enthousiaste à l’idée d’une nouvelle expérience.
RTSsport.ch: Vingt ans après l’or olympique décroché à Atlanta par Donghua Li, pensez-vous parfois à un pareil exploit?
GIULIA STEINGRUBER: L'or olympique est un rêve, comme toute autre médaille dans des Jeux. Mais cela va être extrêmement difficile. J’ai le droit de rêver…
" Mes attentes sont bien plus grandes à Rio"
RTSsport.ch: Vous étiez à 18 ans la plus jeune athlète helvétique à Londres en 2012. Qu’est-ce qui a changé depuis votre 1re expérience olympique ?
GIULIA STEINGRUBER: Beaucoup de choses ont changé. J’ai gagné en expérience, je suis devenue plus vieille (rires). J’ai gagné en confiance, même si cela serait bien que j’en aie davantage. Le fait que je sois très critique envers moi-même n’a par contre pas changé.
RTSsport.ch: Etes-vous moins stressée qu’il y a 4 ans ?
GIULIA STEINGRUBER: Absolument pas (rires) ! Je suis encore plus stressée, car mes attentes sont bien plus grandes qu’à Londres (ndlr: elle avait terminé 14e du concours général individuel).
RTSsport.ch: A 22 ans, vous êtes la plus âgée dans l’équipe suisse féminine. Pouvez-vous déjà vous projeter aux prochains JO de Tokyo en 2020 ?
GIULIA STEINGRUBER: C’est encore un peu trop loin. J’aimerais d’abord faire les Jeux de Rio avant de me projeter dans la suite. Pour le moment je ne pense pas encore arrêter, mais on va voir cela plus tard. Je prends les choses les unes après les autres.
RTSsport.ch: Quels sont les prochains objectifs de votre carrière après Rio ?
GIULIA STEINGRUBER: L’objectif, c’est de finir mes études (rires). Après Rio, je vais baisser l'intensité des entraînements, pour que je puisse relâcher la pression physique et mentale et faire une vraie pause jusqu'à la fin de l’année. J’aimerais ensuite reprendre plus sérieusement la gymnastique en 2017.
RTSsport.ch : La Suisse est redevenue une nation de gymnastique, avec vos nombreuses médailles européennes, mais aussi l’équipe masculine qui s’est qualifiée pour la 1re fois depuis 24 ans pour les JO. Sans oublier la surprenante première médaille européenne junior pour la Suisse avec l’argent de Lynn Genhart (14 ans) à Berne.
GIULIA STEINGRUBER : Les hommes sont depuis 2 ans très forts avec le team. Ils ont d'excellents gymnastes et c’est génial d’avoir pu suivre cette évolution. Du côté des femmes et des juniores, la progression a aussi été constante et j’espère que cela va durer et que l’on deviendra encore meilleures. C’est très motivant de savoir que la relève est là.
RTSsport.ch : On sent que vous êtes une sorte de modèle pour ces jeunes gymnastes.
GIULIA STEINGRUBER : Je ne me vois pas forcément comme un modèle, mais c’est sympa de l'être si c’est le cas. Je me considère plus comme une collègue lorsque nous nous entraînons ensemble. Je donne volontiers des conseils si elles viennent me le demander. En tant que capitaine, c'est aussi mon rôle d’être là pour elles.
Propos recueillis à Macolin par Sylvain Bolt - Twitter @SylvainBolt
Zoltan Jordanov: "Giulia est l’athlète qui m’a le plus marqué"
Après une décennie à la tête de la sélection féminine suisse, Zoltan Jordanov (64 ans) se retirera à la fin de l’année 2016. Le coach double national hongrois et britannique évoque mieux que personne sa protégée Giulia Steingruber.
Ses chances de médailles à Rio
"Les médailles sont là. Mais le chemin est long pour les décrocher. La rivalité est tellement plus importante aux Jeux. Avec son nouveau programme au sol, elle fait partie du top-5 mondial. Au saut, elle a les qualités pour aller en finale. Après, tout est possible. »
Son dernier grand événement comme coach
"Ce seront mes 8es Jeux olympiques, mais ceux-ci seront forcément spéciaux. Si Giulia est plus mature qu'il y a 4 ans, les attentes envers elle sont aussi beaucoup plus grandes. De mon côté, j’ai également plus de responsabilités".
La personnalité derrière l’athlète
"C’est une bonne personnalité, souriante, humble. Giulia aide toujours les autres et tient parfaitement son rôle de capitaine. La bonne alchimie entre nous a amené ses nombreux succès. C’est l’athlète qui m'a le plus marqué".
Giulia Steingruber en bref
Née le 24.03.94 à Gossau (St-Gall)
Palmarès:
Championnats de Suisse :
27 titres, dont 6 au concours général (record de Romi Kessler, grande dominatrice entre 1978 et 1983, égalé.)
Championnats d’Europe :
9 médailles (5 or, 1 argent et 3 bronze)
Championnats du monde:
16e du concours général individuel, 5e au saut de cheval (Tokyo 2011)
7e au concours général individuel, 4e au saut de cheval, 5e au sol (Anvers 2013)
Jeux olympiques :
14e du concours général individuel (Londres 2012)