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Le cyclisme suisse à bout de souffle

Zülle,Rominger,Dufaux: podium 100% suisse lors de la Vuelta 96
Zülle,Rominger,Dufaux: podium 100% suisse lors de la Vuelta 96
A la veille de la Vuelta, elle semble bien loin l'époque où les Rominger, Zülle et autre Dufaux faisaient la loi sur les routes espagnoles. Enquête sur les raisons d'un déclin.

"Il ne faut pas se voiler la face: Cancellara, c'est un peu
l'arbre qui cache la forêt." Entraîneur national sur piste et
ancien cycliste professionnel, Daniel Gisiger n'a pas sa langue
dans la poche. Jadis enviée par tous ses voisins, la Suisse qui
roule est redescendue de son piédestal depuis une dizaine d'années.
Le vélo suisse est dans l'ornière. Les faibles résultats obtenus
chez les professionnels ces dernières années sont sans équivoques
mais ne représentent que la pointe de l'iceberg. Le mal est plus
profond qu'un simple effet cyclique. Au cœur même du système, c'est
toute la relève qui est en danger.

Les jeunes désertent le vélo

Premier signe de déclin: le nombre de licenciés sur route a
drastiquement diminué ces dernières années en Suisse. Même s'il
n'est pas possible de séparer formellement les disciplines chez les
juniors et les amateurs, les estimations données par Roland
Richner, responsable de la formation chez Swiss Cycling, sont
éloquentes: "La fédération compte aujourd'hui près de 3200
licenciés. Au niveau J+S, 80% des personnes formées le sont dans le
VTT, une discipline en plein essor depuis la fin des années 80. Et
dans les 20% restants, sont aussi compris toutes les autres
disciplines, à savoir la piste, le cyclo-cross, le BMX ou encore le
vélo artistique".



"Le nombre de clubs se consacrant à la route a reculé de manière
extrême, notamment en Suisse alémanique", constate avec amertume
Roland Richner. Autre signe de déclin d'un sport autrefois parmi
les plus populaires du pays: le nombre de partants lors de courses
populaires n'a jamais été aussi bas. Il y a 20 ans, un peloton
amateur comptait jusqu'à 220 têtes. S'il y en a la moitié
aujourd'hui, les organisateurs sont satisfaits. Même chose côté
juniors. Lors des courses nationales fin juin à Lugano, seuls 34
concurrents ont pris le départ chez les Juniors (M19),
respectivement 28 chez les Cadets (M17). Un désert.

Le dopage, coupable idéal

Dopage: le coupable de cette désaffection semble vite désigné.
Depuis 1998 et l'affaire Festina, censée marquer un tournant
radical dans la lutte contre les tricheurs, les scandales n'ont pas
fini de faire la "Une". Avec en apothéose un "Tour de France du
Renouveau" qui s'est transformé en véritable "Tour de la Farce". Si
tous les acteurs du milieu sont conscients de l'image
catastrophique que leur sport véhicule dans le public, ils ne sont
pas tous prêts à faire du dopage un bouc émissaire.



Plus que cela, c'est le manque de structures de formation et la
philosophie dans lesquelles a évolué le cyclisme sur route ces
dernières années qui font débat. Un exemple: points de passage
souvent obligés vers le cyclisme professionnel, les équipes
amateurs élite ont fondu comme neige au soleil. En quelques années,
on est passé de 35 à seulement 5 équipes actives en Suisse, selon
Roland Richner.

"Il faudrait une
équipe nationale capable de faire le tampon entre les amateurs
élite et le monde Pro Tour"

Daniel
Gisiger

La fédération tousse

Autre grand problème évoqué par Julien Taramarcaz, coureur
talentueux d'à peine 20 ans et qui ambitionne de rejoindre une
équipe Pro Tour dans les 2 ou 3 ans : "Il manque une structure
permettant d'accueillir des jeunes de plus de 22 ans, qui souvent
arrêtent à cet âge faute de pouvoir trouver une formation prête à
leur faire signer un contrat".



Un avis que partage Daniel Gisiger: "Il faudrait créer une équipe
nationale capable de faire le tampon entre les amateurs élite et le
monde Pro Tour afin de permettre aux jeunes de continuer à
progresser". Mais pour cela, le Biennois sait très bien qu'il
faudrait de l'argent, ce dont manque cruellement la fédération.
Exsangue, Swiss Cycling croule en effet sous les dettes. Et les
fortes dissensions au sein de l'institution n'améliorent pas la
situation.

L'argent, nerf de la guerre?

"Récemment encore, j'ai reçu un blâme de la fédération pour
avoir dépassé le budget lors d'un camp d'entraînement. Notre
situation financière ne nous permet pas de travailler de manière
optimale avec les jeunes. Je pense toutefois qu'il faudrait fixer
des priorités. Mais je ne suis pas au comité directeur et ce n'est
pas moi qui décide", lâche Daniel Gisiger.



Faute d'argent, nerf de la guerre, la fédération n'aurait donc pas
les moyens d'assurer une politique de formation et de promotion
satisfaisante pour le cyclisme sur route helvétique. Une
affirmation que conteste catégoriquement Roland Richner: "Avec tout
le respect que je dois à Daniel Gisiger, je ne peux pas être
d'accord avec lui. Le système des subsides octroyés par l'Office
fédéral du Sport et Swiss Olympic fonctionne très bien. Ainsi, par
le biais de Jeunesse + Sports, les clubs peuvent obtenir des
subventions en formant des entraîneurs. La manne est pratiquement
illimitée, puisque la Confédération met 60 millions à disposition
et que nous pouvons former autant de gens que nous souhaitons dans
le cyclisme".

"Le milieu du
cyclisme sur route est très conservateur"

Roland Richner

Des pratiques à bannir

Pourquoi alors ne pas plus profiter de cette source intarissable
à disposition? "Le problème, c'est que le milieu du cyclisme sur
route est très conservateur. Dans les clubs, on se moque souvent de
J+S en affirmant que les exercices pratiqués sont un peu des jeux
pour enfants. Mais c'est faux! L'époque est révolue où un
entraîneur pouvait dire à ses coureurs: 'Suivez-moi les enfants,
aujourd'hui on va grimper 5 cols!'. Il faut miser sur la
coordination et la technique, l'endurance suit
naturellement".



Swiss Cycling veut donc en finir avec ces pratiques dignes du XIXe
siècle et encore trop courantes. Pour cela, elle a mis en place une
politique de promotion de la relève auto-proclamée comme "l'une des
meilleures au monde", et selon Roland Richner, enviée par nombre de
nos voisins. Un avis que ne semble pas totalement partager Daniel
Gisiger: "Je crois qu'on se regarde un peu trop le nombril au lieu
de travailler. Il faudrait davantage soutenir les clubs et les
bénévoles qui s'y investissent énormément."

Fatigue au sein des clubs

Des clubs, justement, qui outre les difficultés de recrutement,
doivent faire face à de nombreux problèmes. Trouver des sponsors
devient de plus en plus difficile, l'organisation de courses n'est
plus toujours rentable et devient plus compliquée en raison des
normes de sécurité imposées. Mais pour Roland Richner, Swiss
Cycling n'est pas coupable de ce déclin: "La fédération n'a jamais
soutenu directement les clubs. Ce sont les entreprises qui
s'intéressaient à ce sport qui finançaient leurs activités. C'est
vrai que c'est devenu plus dur pour eux, mais certains s'en sortent
très bien. Malheureusement, il arrive aussi que les dirigeants
soient un peu fatigués et qu'il manque des personnes capables
d'assurer le bon fonctionnement du club".



Si la relève fait défaut, c'est aussi en raison de l'évolution
naturelle de la société. Sport exigeant par excellence, le
cyclisme, à l'image de l'athlétisme, fait les frais de l'engouement
de la jeunesse pour une kyrielle de nouvelles disciplines plus
"fun" apparues ces dernières années. La baisse de pratique du sport
observée chez les jeunes n'aide pas non plus à susciter des
vocations. Et contrairement au football, le cyclisme ne séduit pas
ou très peu les jeunes étrangers installés en Suisse.

Foi dans l'avenir

Pourtant, relève Daniel Gisiger, "je
n'ai jamais vu autant de gens grimper des cols le dimanche. Je
crois que le vélo reste un sport merveilleux et très apprécié". Le
Biennois est optimiste quant à l'évolution de la pratique de son
sport. Comme son aîné, Julien Taramarcaz a gardé la foi: "C'est un
peu un phénomène de mode. En VTT, la fédération bénéficie d'un
engouement extraordinaire car les coureurs suisses sont au sommet
de la hiérarchie mondiale. Je pense que l'enthousiasme reviendrait
également si la route nous offrait quelques champions
d'envergure."



En battant, Roland Richner est convaincu que son engagement en
faveur de la formation atteindra son objectif. Mais pour cela, il
faudra "beaucoup de courage et un véritable changement de
mentalité".



TXT/Samuel Jaberg

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La Vuelta a perdu ses accents helvétiques

Pour illustrer le déclin du cyclisme professionnel suisse, il suffit de jeter un coup d'oeil sur le palmarès du Tour d'Espagne. Troisième plus grande course à étapes après le Tour de France et le Giro, la Vuelta a plutôt réussi aux Suisses dans les années 90, considérées comme les années EPO.

Tony Rominger, vainqueur en 92, 93 et 94, et Alex Zülle, lauréat en 96 et 97, ont marqué de leur coup de pédale les routes espagnoles. En 1996, trois Suisses, Alex Zülle, Tony Rominger et Laurent Dufaux ont même réussi l'exploit de monter sur le podium final à Madrid. Un triplé historique!

Cette époque est désormais révolue. En 2005, le meilleur Suisse au classement général, Patrick Calgagni, s'est classé 40e à 1h25'. En 2006, notre meilleur représentant, David Loosli, a terminé 63e à 1h45. Cette année encore, les espoirs de voir un coureur du cru s'illustrer sont quasi nuls.

Phonak et Astana: même gâchis!

Eté 2006: Floyd Landis est testé positif à la testostérone à l'issue d'un Tour de France remporté de manière spectaculaire après une folle chevauchée solitaire lors de la 17e étape. Déjà secouée par de nombreuses affaires de dopage, Phonak ne se remettra jamais de ce coup dur de trop et se voit contrainte de quitter le monde du cyclisme par la petite porte.

Eté 2007: Alexandre Vinokourov, grand favori du Tour de France à l'agonie, tente le tout pour le tout et se fait pincer pour s'être transfusé le sang d'un autre. Son équipe, Astana, se retire des routes françaises. Déjà confrontée à des cas de dopage en série, la formation de Marc Biver, manager annoncé sur le départ, voit son avenir au sein du peloton bien assombri.

Phonak et Astana: deux équipes à licence suisse, deux équipes censées jouer les premiers rôles dans l'élite du cyclisme, deux équipes briseuses de rêve pour de nombreux coureurs helvétiques talentueux.

Si Astana n'a pour certains de suisse que les plaques neuchâteloises montées sur les voitures suiveuses, la quasi-totalité du financement étant assuré par cinq entreprises kazakhes actives dans le pétrole et la sidérurgie, il n'en demeure pas moins qu'elle compte en son sein quatre coureurs du cru censés incarner l'avenir.

"Même si c'est le talent qui prime, il est vrai qu'on se sent quelque part le devoir d'engager des coureurs helvétiques et d'aider les jeunes à évoluer", nous confiait ainsi Marc Biver lors d'une interview en juin. Aujourd'hui, Rast, Morabito, Schär et Frei sont empêtrés dans un bourbier dont ils auront bien du mal à sortir.

Equipe espoir à l'eau?

Gâchis supplémentaire: Astana avait l'intention de créer une équipe continentale espoir l'année prochaine, véritable tremplin vers l'équipe Pro Tour. "Une structure mise en place par Tony Rominger et dont une part du financement est assurée par la fédération kazakhe. Cette formation M23 courra sous licence suisse et devra donc compter au moins 50% de coureurs suisses", nous avait assuré Marc Biver il y a un peu plus de deux mois.

Aujourd'hui, la création de l'équipe, qui aurait pu être un formidable levier pour de nombreux coureurs suisses, est suspendue à l'avenir d'Astana. Le Valaisan Julien Taramarcaz se réjouissait d'intégrer cette formation: "A l'heure actuelle, je ne sais toujours pas si je courrai pour Astana l'année prochaine. Mon manager (ndlr: qui n'est autre que Tony Rominger) m'a simplement dit d'attendre."

L'équipe verra-t-elle finalement le jour? Nul ne sait. Contactée, Astana nous a répondu de manière laconique par l'intermédiaire de sa cheffe de presse, Corinne Druey : "Actuellement, nous ne pouvons pas donner d'informations très concrètes. Si structure il y aura, elle sera totalement indépendante de la structure actuelle d'Astana Cycling Team. Il n'est pas non plus confirmé que Tony Rominger dirige cette éventuelle future structure. Peut-être que de nouveaux éléments pourront être communiqués en fin de saison." Les jeunes attendent, la caravane passe.