Dans les années 50, le cyclisme suisse vit une période faste. Trois de ses champions se distinguent particulièrement sur les grands Tours: Hugo Koblet, Carlo Clerici et Ferdi Kübler. Les deux premiers gagnent le Giro d’Italia en 1950 et 1954. Ferdi Kübler (vainqueur du Tour de France en 1950) montera sur la 3e place du podium à deux reprises en 1951 et 1952.
En 1950, Hugo Koblet est un illustre inconnu hors des frontières suisses. Pistard au physique léger et dépourvu d’expérience sur la route, il éclabousse le Giro de sa classe et de son talent. Au départ de Milan, personne ne fait attention au jeune Zurichois de 25 ans. Mais il marque très vite les esprits par son panache et son élégance sur et hors du vélo.
Le public et les médias découvrent un coureur différent, qui prend le temps de se coiffer et se nettoyer le visage avant de répondre aux sollicitations
La 6e étape fait une incursion sur sol tessinois et Koblet attaque du côté de Brissago. Il se présente seul à Locarno pour signer sa première victoire d’étape dans un grand tour. Le public et les médias découvrent un coureur différent, qui prend le temps de se coiffer et se nettoyer le visage avant de répondre aux sollicitations.
Deux jours plus tard, Koblet récidive à Vicenza. Cette fois-ci, il prend le maillot rose et le conservera jusqu’à Rome. Privée de son "campionissimo" Fausto Coppi, qui a abandonné sur chute lors de la 9e étape, l’Italie est sous le charme de ce "Faucon Blond", un champion chaleureux et accessible. À son arrivée à Rome, Koblet est porté en triomphe par une foule immense. Avant d’être reçu par le Pape en audience privée. En Suisse, certaines écoles sont fermées et les cloches retentissent un peu partout.
En 1954, les coureurs sont mécontents des conditions. La 4e étape fait 378 km! Agacé, le peloton traîne, roule sans conviction...
En 1954, le Giro part de Palerme. Pour la première fois, la RAI retransmet des images de la course. Le Tour d’Italie entre ainsi dans une autre dimension. Mais les coureurs sont mécontents des conditions. Treize étapes sur les vingt-deux dépassent les 220 km. La 4e en fait même 378 (!). Agaçé, le peloton traîne, roule sans conviction et se montre désintéressé.
Dans ce contexte particulier, le Suisse Carlo Clerici se retrouve en tête lors de la 6e étape. Avec l’Italien Nino Assirelli, il va compter une demi-heure d’avance à l’arrivée à l’Aquila. Clerici se retrouve maillot rose. Il le portera jusqu’à l’arrivée à Milan.
Carlo Clerici est né à Zurich, où son père s’est réfugié dans les années 30 pour fuir le fascisme. Il s’est naturalisé après avoir eu maille à partir avec le camp italien l’année précédente. Camp qui lui reproche d’avoir aidé son coéquipier Hugo Koblet à rentrer dans le peloton après une chute au lieu de servir les intérêts de Fausto Coppi.
Bien épaulé par Koblet et le reste de l’armada suisse, Clerici va gérer les moments-clés sans jamais céder à la panique. Notamment sur l’étape de Bormio, où Coppi tente un baroud d’honneur. Puis sur celle de Saint-Moritz remportée par Koblet. Clerici peut voir venir: il s’impose avec 24 minutes d’avance sur son coéquipier et ami. Et avec 26 minutes sur son compagnon d’échappée Nino Assirelli.
Pour Carlo Clerici, cette victoire au général est un inattendu cadeau du ciel qui ne se reproduira plus. Il se retirera de la compétition en 1957 avec 20 victoires à son actif.
Depuis le début des années 90, Tony Rominger, excellent rouleur, devient aussi à l'aise en montagne.
Quarante et un ans après Clerici, Tony Rominger s’impose en patron sur le Giro 1995. Sur la lancée du Tour de Romandie qu’il vient de remporter, le leader de l’équipe Clas-Mapei confirme être au sommet de sa forme dès le contre-la-montre de la 2e étape, exercice dans lequel il excelle. A Assise, Rominger fait d’une pierre deux coups: il endosse aussi le maillot rose pour le garder jusqu’à Milan.
Deux jours plus tard, sur un terrain accidenté qu’il affectionne, Rominger remporte la 4e étape à Loreto, ceci après avoir contré une attaque et fini seul en tête. Le Suisse impressionne.
Passé professionnel sur le tard, Tony Rominger est un excellent rouleur. Depuis le début des années 90, il est aussi à l’aise en montagne. Des aptitudes étonnantes qui lui ont permis de remporter trois fois la Vuelta (92/93/94). Sur ce Giro 95, il profite surtout de trois contre-la-montre taillés à sa mesure. Le Colombien Rincón est le meilleur en montagne, le Russe Berzin a du panache, mais le grand patron de ce Giro 95 est bien Tony Rominger, qui contrôle la course dans les Alpes avant de s’imposer au général avec quatre succès d’étapes. Le Suisse ne gagnera pas d’autre grand Tour malgré ses tentatives répétées sur la Grande Boucle. Il se retirera en 1997.
Miguel Aquiso