Le regard de Richard Chassot

De directeur de course à directeur de course, Richard
Chassot, n'êtes-vous pas obligé d'avouer que le Tour de France a
tout fait juste, en (p)réservant le suspense de sa course jusqu'au
bout?



Richard Chassot: Je ne suis pas d'accord. Car, le Tour a
snobé les Pyrénées. La densité extraordinaire de cette dernière
semaine de course eût été sauvegardée, même si Contador avait
démontré sa suprématie dès les premières étapes dans le Midi. Le
Tour n'aurait pas été plié pour autant. Le Mont Ventoux garderait
tout son attrait. Avec ce col mythique à la veille de l'arrivée aux
Champs-Elysées, la construction du Tour est une réussite. Mais on
n'avait pas besoin pour autant d'escamoter - c'est un avis
personnel - les Pyrénées.

Contador, qu'on t'adore?

Contador nous a gratifiés de numéros extraordinaires. Même si on
le sent brimé, freiné dans cette formation Astana. Malgré tout, il
gardera sans doute un souvenir plus fort de son second triomphe que
de celui de 2007. Il avait alors gagné notamment grâce à
l'exclusion de Rasmussen par sa propre équipe avant la 17e étape et
la problématique Vinokourov («Vino» positif, Astana se retire lors
de la 2e journée de repos). Mais au moins, il avait alors l'apport
entier de son directeur sportif Johan Bruyneel. La victoire de
Contador, cette fois, n'a pas gagné en simplicité. Mais c'est un
coureur très fort et encore jeune. A 26 ans et demi, il aura déjà
gagné 2 Tours. Je lui souhaite à l'avenir une belle équipe
espagnole, «à la Indurain» (Miguel Indurain n'a gagné le
premier de ses 5 Tours qu'à l'âge de 27 ans, à sa 7e
participation)

Une vision du Tour de France du futur?

Christian Prudhomme et Jean-François Pescheux forment un duo
complémentaire. La communication et l'aspect commercial, «vendre»
le Tour, cela appartient à cet ancien journaliste de télévision
qu'est Prudhomme. Pescheux est l'architecte du Tour. Ce qui me
plaît, c'est que cet ancien pro donne la priorité au cyclisme. Il
doit tenter de surprendre. Le problème est que le Tour doit visiter
toutes les régions. Et pour «relooker» le Tour, le rendre attrayant
à chaque fois, il faut tenir compte des limites qu'impose le
territoire: les Pyrénées, les Alpes et de grandes parties plates
conditionnent le parcours.

Mais bon, deux, trois grandes étapes dans les Alpes, une et
demie dans les Pyrénées, un grand contre-la-montre, et le Tour est
joué. Le reste n'est que de la transition, non?

On ne peut pas envisager le Tour
uniquement dans la perspective du classement général! Le Tour est
fait pour tout un peloton, pour toutes les équipes, pour valoriser
tout le cyclisme et ses composantes, pas uniquement pour 4/5
leaders. Les étapes de transition ne sont de transition que pour
nous. Les victoires d'étape comptent, qu'elles soient remportées
par un sprinter, un baroudeur, un grimpeur, un rouleur ou un homme
du classement général.

Projection sur la fin de ce Tour - le Mont Ventoux et les
Champs-Elysées!

Sauf accident, Contador s'imposera. Je vois Andy Schleck
renforcer sa 2e place. Et la famille luxembourgeoise réaliser un
exploit: placer même Fränk, le frère aîné, sur le podium. Si Astana
a encore une visée collective sur un tiercé
Contador-Armstrong-Klöden, l'équipe doit passer à l'attaque,
pousser les Schleck à la faute...

Il y a Tour et Tour...

Pas - ou pas encore ? - d'affaire de dopage. Souvent annoncé,
serait-ce enfin le «Tour du renouveau»?

Voilà bien un terme qui m'énerve, le «renouveau», qui n'existe
pas. C'est «évolution» qui convient, le cyclisme évolue! Même si
aujourd'hui, il faut toujours attendre une quinzaine de jours après
l'arrivée finale pour en être sûr: le passeport bio est au point;
le cyclisme, dans son ensemble, est sur la bonne route; il est de
bonne qualité. La grande majorité, moi je dis 90% du peloton, est
respectueuse de l'exercice de son métier.

Que pouvez-vous retenir pour votre Tour, le Tour de Romandie,
comme bénéfice, comme leçon, comme expérience?

Le Tour de France est tellement gigantesque! Il bénéficie de
toutes les faveurs, de passe-droit, au niveau de la sécurité
notamment. Pour le Tour, on boucle hermétiquement tout un réseau de
routes. En Suisse, le peloton ne peut emprunter qu'une
demi-chaussée... Le Tour n'a rien à voir avec l'épreuve que nous
organisons. A la limite, c'est bien plus dur, bien plus compliqué
pour nous. Il nous importe de mettre sur pied une course valable
pour les mêmes coureurs, un peloton tout aussi fourni, une caravane
de véhicules d'équipe aussi importante. Le fait d'être ici,
honnêtement, ne me sert pas à grand-chose du point de vue de ma
fonction de directeur du TdR. Regardez le Tour arriver en ville et
poser ses immenses camions dans les jardins publics. Impensable
chez nous. On ne vit pas dans le même monde.

Alors, si le Tour de France s'apparente au cinéma de Hollywood,
le Tour de Romandie a tout de même un rôle de cinéma d'auteur à
jouer...

Oui, il y aussi des avantages à notre statut. Au Tour de
Romandie, chaque étape compte. Et nous n'avons tout de même pas
autant de pression sur les épaules. Avec notamment ce problème
lancinant des routes ouvertes, je ne suis d'ailleurs pas mécontent
que le TdR ne dure pas 23 jours mais seulement six.

Tsrsport.ch/propos recueillis par Ed.Stutz