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Un Tour de France enfin à l'eau de source?

Martial Saugy est convaincu que les mentalités ont évolué.
Martial Saugy est convaincu que les mentalités ont évolué.
Le Tour de France échappera-t-il enfin au fléau du dopage cette année? Martial Saugy, directeur du laboratoire de Lausanne, fait preuve d'un optimisme modéré.

Le Tour de France fête un bien triste anniversaire cette année.
Il y a tout juste 10 ans éclatait l'affaire Festina, véritable
révélateur d'un dopage organisé et généralisé dans le vélo. Depuis,
la volonté d'éradiquer le fléau a été répétée à souhait parmi les
instances dirigeantes du cyclisme. Las, le Tour du Renouveau
annoncé haut et fort chaque début de juillet n'a apporté que
désillusions et scandales jusqu'ici. En ira-t-il autrement cette
année sur les routes du Tour? Martial Saugy, directeur du
Laboratoire suisse d'Analyse du Dopage, répond aux interrogations
d'un public de plus en plus sceptique.



TXT: - Depuis 10 ans et l'affaire Festina, on
parle chaque année de Tour du Renouveau. Et à chaque fois, la
désillusion est totale. Pensez-vous qu'il en ira différement cette
année?




MARTIAL SAUGY: Je fais preuve d'un optimisme
modéré. Je ne pense pas que l'on puisse parler d'un Tour du
Renouveau ou d'une révolution dans le cyclisme. On ne va pas d'un
coup tomber dans une situation idyllique sans aucun cas positif.
Une véritable prise de conscience a néanmoins eu lieu. La
répétition des affaires a fait beaucoup de tort au cyclisme et les
mentalités ont évolué.



- L'introduction du passeport sanguin après le scandale Astana
l'année dernière a-t-il, selon vous, fait changer les comportements
des coureurs?




MARTIAL SAUGY: Oui, selon moi, les coureurs sont
davantage attentifs et redoutent de se faire épingler.
Malheureusement, le passeport ne pourra pas être utilisé cette
année car le Tour de France ne fait pas partie du calendrier de
l'UCI. Et l'UCI refuse de mettre les passeports à disposition des
organisateurs.

"Des sanctions médicales et non pénales"

- Le conflit entre les organisateurs de grands tours et
l'UCI ne met-il pas en péril une lutte antidopage
efficace?




MARTIAL SAUGY: Malheureusement oui. Ces conflits
sont néfastes pour la lutte antidopage. Hélas, les enjeux
financiers et de prestige ne contribuent pas à ramener une plus
grande crédibilité au sein du public. Il faut vraiment que les
différentes instances reprennent le dialogue pour que l'on arrive à
une optimalisation globale de la lutte.



- L'aspect juridique du passeport sanguin pose également
certaines questions. Sans preuve d'administration de substances, ne
risque-t-on pas d'assister de plus en plus à des procès
interminables comme celui de Floyd Landis?




MARTIAL SAUGY: C'est effectivement l'un des
points que l'on doit résoudre au plus vite. Il faut trouver une
autre voie pour prouver la manipulation. Certains juristes estiment
qu'au lieu de sanctions pénales, il faudrait plutôt appliquer des
sanctions médicales. Ainsi, on pourrait retirer des coureurs d'une
compétition si leurs caractéristiques sanguines sont suspectes. Il
faut trouver un juste milieu afin d'éviter d'entrer dans des
procédures juridiques d'une longueur incroyable et qui mettent à
mal la crédibilité de la lutte antidopage, comme ce fut le cas dans
l'affaire Landis.

"Il faut être plus créatif dans la lutte"

- Outre le dopage sanguin, il
existe une kyrielle d'autres formes de dopage plus classiques
(anabolisants, testostérone). La lutte antidopage est-elle
désormais efficace pour ces produits
?



MARTIAL SAUGY:

Je pense qu'il y a toujours des
gens qui essayent de tricher avec ce genre de produits. La
testostérone est par exemple difficile à déceler si on se restreint
à faire un contrôle urinaire après l'arrivée. C'est pour cela qu'il
faut être plus créatif dans la récolte des échantillons, en allant
tester les coureurs au bon moment, souvent à leur domicile. C'est
ce qu'on nomme "l'intelligence testing".



- Cela implique une intrusion de plus en plus grande dans la
sphère privée. Les cyclistes l'accepteront-ils
?



MARTIAL SAUGY:

Ceci va immanquablement aboutir à
une perte de liberté supplémentaire. Mais il faut que les coureurs
l'acceptent, afin d'arriver plus rapidement à un sport propre. Pour
que le public, les médias et les sponsors suivent encore, les
cyclistes sont désormais prêts à faire beaucoup d'efforts. Il y a
bien sûr une vieille garde qui se montre un peu plus réticente,
mais les jeunes sont conscients du sacrifice à apporter pour
redorer le blason.

"Il y a urgence à trouver des parades"

- Outre les formes de dopage traditionnel évoquées
précédemment, une autre menace apparaît, celle du dopage génétique.
Cela vous fait-il peur?




MARTIAL SAUGY: Pour l'instant, j'ai le sentiment
que l'implantation de gênes modifiés dans le corps humain n'est pas
vraiment à l'ordre du jour. En revanche, la modification du
métabolisme par l'utilisation de substances inductrices,
c'est-à-dire de substances qui vont stimuler la production de
globules rouges ou d'EPO endogène, m'inquiète. Pour cette raison,
l'introduction d'un véritable passeport biologique et non seulement
sanguin est nécessaire. Il y a urgence à trouver des parades.



- Finalement, au vu des difficultés de la lutte antidopage, ne
faudrait-il pas simplement légaliser la prise de produits interdits
dans le sport d'élite, devenu désormais
"sport-business"?




MARTIAL SAUGY: Personnellement, je pense qu'il
n'y a aucun avenir pour un dopage légalisé dans le sport. Ce serait
un très mauvais message pour notre société. C'est comme si on me
demandait de prendre des amphétamines avant d'aller au boulot! Il
faut qu'on accepte les limites du corps et qu'on réapprenne à avoir
du plaisir dans la performance. La compétition doit reprendre le
dessus sur la recherche de records.



Samuel Jaberg

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Le LAD à la pointe de la lutte

Le Laboratoire suisse d'Analyse du dopage (LAD), basé à Lausanne, est à la pointe des technologies dans la lutte antidopage mondiale. C'est notamment ce laboratoire indépendant rattaché au CHUV et dirigé par Martial Saugy qui a conçu le fameux passeport sanguin.

Ce dernier a été introduit en janvier 2008 pour une période probatoire d'un an par les principaux acteurs du cyclisme. Etabli après une demi-douzaine de prélèvements sur les coureurs, le passeport est basé sur le suivi individualisé des paramètres sanguins. Par la suite, il s'étendra au profil stéroïdien ou hormonal (testostérone, hormones de croissance) et deviendra ainsi un véritable passeport biologique.

Le passeport sanguin, comment ça marche?

Les experts chargés d'étudier les profils sanguins des coureurs s'appuient sur un logiciel d'interprétation qui peut tenir compte d'informations aussi subtiles qu'essentielles comme l'altitude à laquelle vit ou s'entraîne le coureur, son âge, son sexe, la façon dont l'échantillon a été recueilli (pendant ou hors la compétition), son origine ethnique, la température de transport et de stockage.

Ces informations sont essentielles car susceptibles de modifier de manière importante les paramètres des intéressés. Ainsi, un athlète séjournant en altitude aura facilement un taux d'hématocrite de 50% (forte concentration de globules rouges), sans pour autant s'être dopé. Un autre en revanche pourra sérieusement être suspecté de manipulation même si son hématocrite ne dépasse pas 45% par exemple, pour peu que son taux habituel tourne autour de 40 % et que rien ne puisse expliquer cette hausse subite.

Des valeurs inhabituellement basses, au niveau de l'hémoglobine par exemple, peuvent également être suspectes, laissant supposer un don du sang à des fins de transfusions. Le passeport peut tenir compte de tous ces aspects en individualisant les données au maximum pour autant que les coureurs continuent de jouer le jeu et puissent bien être localisés.

source: AFP