Encore plus que le Tour de Romandie, la boucle nationale a été
conçue pour faire découvrir les régions escarpées de nos contrées.
Trop difficile, ont estimé plusieurs favoris du Tour de France, qui
ont décliné l'invitation. Marc Biver estime également que ce Tour
de Suisse est beaucoup trop exigeant.
Le directeur général de la formation d'origine kazakhe se livre
sur les attentes de son équipe et fait le point sur les questions
brûlantes du cyclisme suisse. Formation, dopage et Tour de France
garnissent le menu.
Marc Biver à l'interview
TXT: Après la mort de Phonak, Astana est devenue la nouvelle
équipe suisse du ProTour. Vous sentez-vous investi d'une mission
particulière, notamment vis-à-vis des coureurs suisses?
MARC BIVER: Les engagements ont été faits en
fonction des qualités et non de la nationalité. Tant au niveau
sportif que moral, Rast, Morabito, Schaer et Frei correspondent à
ces critères. Mais c'est vrai qu'on se sent quelque part le devoir
d'engager des coureurs helvétiques et d'aider les jeunes à évoluer.
Mais avant tout, ce sont vraiment les qualités qui nous
importent!
- La victoire de Rast au Tour du Luxembourg ou encore l'énorme
travail accompli par Morabito au Tour de Roman die doivent vous
réjouir...
MARC BIVER: Bien sûr, ça fait plaisir de voir que
les coureurs suisses travaillent bien dans l'équipe. La prestation
de Morabito prouve que les athlètes du crû ont beaucoup de talent,
de qualités et un rôle important à jouer.
- On dit aussi le plus grand bien du jeune Thomas Frei, peu
connu en Suisse.
MARC BIVER: Frei est un coureur d'avenir qui va
certainement faire de grands résultats. Il a une approche
extrêmement professionnelle de son métier.
- Malgré tout, le cyclisme suisse, hormis Cancellera, vit
actuellement une grande traversée du désert...
MARC BIVER: Il peut y avoir des fluctuations dans
tous les sports. On ne peut pas avoir trois ou quatre générations
consécutives de grands coureurs suisses. Il ne faut pas oublier que
l'époque Zuelle-Rominger-Dufaux était exceptionnelle et que tout le
monde nous enviait. Il faut un peu de patience pour permettre aux
jeunes d'évoluer. Ca ne sert à rien de tirer une conclusion
négative sur le cyclisme suisse. A mon avis, c'est une grande
erreur.
- Au niveau de la formation, la situation n'est pas non plus
idéale.
MARC BIVER: C'est vrai. Mais un centre de
formation pour les M23 va voir le jour dans la région neuchâteloise
prochainement. C'est une structure qui va être mise en place par
Tony Rominger et dont une part du financement est assurée par la
fédération kazakhe. Si Astana n'est pas directement impliquée dans
cette opération, les jeunes coureurs pourront néanmoins bénéficier
d'une certaine synergie avec l'équipe pro. La formation M23 va
courir sous licence suisse et devra donc aligner au moins 50% de
coureurs suisses.
- Le Tour de Suisse débute samedi. Avec quelles ambitions
Astana aborde-t-elle cette boucle nationale?
MARC BIVER: Les deux leaders de l'équipe seront
Kloeden et Kessler. Je ne pense toutefois pas qu'ils se battront
pour la victoire finale dans une course qui s'annonce extrêmement
difficile.
- Pensez-vous que ce parcours montagneux a incité certains
coureurs à ne pas participer au Tour de Suisse?
MARC BIVER: Complètement! Je pense que c'est une
erreur de la part de l'organisation d'avoir fait des étapes aussi
difficiles. Ce Tour de Suisse est beaucoup trop exigeant pour un
coureur qui a des ambitions au Tour de France.
- Quel rôle auront les coureurs suisses dans "leur" boucle
nationale?
MARC BIVER: Si Rast peut gagner une étape, il ne
va pas se gêner. Mais ce sera surtout un test pour le Tour de
France.
- Dans moins d'un mois, c'est justement le grand rendez-vous
de la saison. Comment allez-vous l'aborder?
MARC BIVER: Pour l'heure, on est calme.
Vinokourov et Kashechkin disputent le Dauphiné et Kloeden aura un
bon test, notamment sur le contre-la-montre, au Tour de Suisse.
Savoldelli et Mazzoleni sont quant à eux en phase de préparation.
Avec sa bonne forme actuelle, Rast devrait être de la partie au
Tour de France. Il restera donc 3 places à attribuer.
txt/tou Interview de Samuel Jaberg
Biver et le dopage
- N'est-ce pas problématique d'avoir certains leaders de votre équipe, comme Kloeden ou Vinokourov, qui ont fait partie de l'équipe Deutsche Telekom, empêtrée dans des affaires de dopage?
MARC BIVER: Ces coureurs ne faisaient pas partie de l'équipe entre 93 et 97, période concernée par l'affaire. Si vous me dites ça, alors il y a de la suspicion sur tout le monde! Il faut arrêter de croire que l'équipe allemande avait un privilège dans les années 90 en ce qui concerne ces pratiques.
- Pensez-vous que ces pratiques collectives ont cessé maintenant?
MARC BIVER: Aujourd'hui, les contrôles sont extrêmement sévères et très fréquents. Kloeden et Kessler ont par exemple été contrôlés 5 fois en une semaine. Avec les contrôles, ce serait de la folie de perpétuer l'utilisation de l'EPO, qui avait court dans les années 90. Mais je ne peux pas garantir qu'il n'y a plus de tricheurs. Le cyclisme a tout à perdre de ne pas adopter des pratiques plus saines. Si l'ensemble de la communauté cycliste n'a pas compris ça, le vélo ne va plus faire partie des grandes disciplines dans peu de temps.
- Le cyclisme reste tout de même un milieu très mal perçu, objet constant de suspicion et de railleries...
MARC BIVER: Bien sûr que l'image de notre sport est mauvaise. Il appartient aux gens du milieu de la changer. Personnellement, j'ai la conscience tranquille. Je viens du monde des affaires et je suis nouveau dans ce sport. Ce sont mes collègues qui doivent changer de mentalité. Le problème, c'est qu'actuellement le cyclisme vit dans une certaine autarcie. C'est un peu l'histoire du serpent qui se mord la queue. Chez Astana, nous avons un code éthique très sévère et nous pratiquons des con trôles antidopage internes inopinés.