C'est à Genève que nous rencontrons l'ex-joueuse de Thoune et Schwerzenbach. Franziska Schild y a entamé un grand tour des 13 associations régionales pour prêcher la bonne parole du football féminin et préparer sa succession. Car après 4 ans et demi à la tête du mouvement, la Bernoise quittera l'ASF pour Swiss Olympic. Elle est accompagnée d'une collaboratrice bien connue des pelouses suisses, en la personne de Caroline Abbé. Sa successeure attitrée? "Oh non!", rigole la Genevoise, qui joue encore au FC Zurich. C'est d'ailleurs Tatjana Haenni, son actuelle présidente, qui remplacera Franziska Schild au 1er janvier.
>> En complément, lire aussi les interviews de : défaite en barrages face aux Pays-Bas
RTSsport.ch: Pas de Mondial 2019 en France pour la Suisse après une défaite en barrages face aux Pays-Bas. C'est une belle occasion manquée d’offrir une visibilité supplémentaire au foot féminin suisse?
FRANZISKA SCHILD: Disputer ces barrages a déjà été en soi une bonne chose pour montrer que la Suisse était encore "dans le coup". Au niveau de la visibilité, c'est clair que c'est dommage, surtout si l'on pense que les deux derniers grands tournois auxquels la Suisse s'est qualifiée [Mondial 2015 au Canada et Euro 2017 en Hollande, ndlr] ont fait beaucoup de bien au mouvement, par leur médiatisation notamment. Sportivement parlant, cette équipe est encore jeune. Elle aura donc le temps de se préparer pour la suite avec plus de calme.
RTSsport.ch: Sur le plan financier, la FIFA a annoncé une enveloppe globale de 50 millions de francs destinée aux 24 équipes qualifiées pour le Mondial 2019 en France. C'est 3 fois plus que les 15 millions de la dernière Coupe du monde au Canada. Un sacré manque à gagner pour la Suisse?
FRANZISKA SCHILD: L'argent qui rentre dans les caisses de l'ASF en provenance des institutions internationales ne couvre jamais les coûts. Même en cas de qualification, cet argent n'aurait pas été suffisant pour payer nos frais, y compris avec la hausse dont vous parlez. Aller au Mondial coûte un demi-million de francs à l'ASF toutes dépenses comprises, des déplacements au personnel, en passant par les hôtels sur place. Pour vous donner un ordre d'idée, la prime précédente s'élevait à 150'000 francs.
RTSsport.ch: La Suisse perd aussi l'entraîneure allemande Martina Voss-Tecklenburg après 6 ans de bons et loyaux services. A quel point va-t-elle manquer?
FRANZISKA SCHILD: Enormément, c'est clair. Martina nous a beaucoup aidé, non seulement sur le plan sportif mais aussi au niveau de la visibilité. C'est une personnalité très connue et agréable qui a activement contribué au développement du football féminin en Suisse.
RTSsport.ch: En inculquant également une mentalité différente?
FRANZISKA SCHILD: Oui, elle a fait en sorte que nous ne nous considérions plus comme la "petite Suisse". Grâce à ses contacts et à la confiance qu'elle leur a donnée, plusieurs jeunes joueuses ont compris qu'elles pouvaient tenter une expérience à l'étranger. Et cette nouvelle génération pourra grandir avec le nouveau coach.
RTSsport.ch: Parlons justement de son successeur, le Danois Nils Nielsen. Pourquoi ce choix ?
FRANZISKA SCHILD: C'est du win-win. Il a effectué un excellent travail avec une équipe et un pays similaires aux nôtres qui s'est traduit sur le terrain par de très bons résultats [finaliste de l'Euro 2018 avec le Danemark, ndlr].
De plus, Nielsen était lui-même très intéressé par ce nouveau challenge donc pour nous la situation était idéale. Je ne pense pas que nous aurions eu une telle opportunité il y a encore 4-5 ans.
RTSsport.ch: Dans la sélection de Voss-Tecklenburg pour les barrages, seules 2 filles sur 23 avaient 30 ans ou plus (Gaëlle Thalmann et Vanessa Bernauer) et 5 étaient âgées de moins de 20 ans. D’autre part, 15 de ces filles jouaient à l’étranger. Que disent ces chiffres pour vous?
FRANZISKA SCHILD: Le premier montre qu'un changement générationnel est intervenu après l'Euro aux Pays-Bas l'année dernière. Plusieurs joueuses d'expérience ont mis un terme à leur carrière internationale, laissant place à une vague de jeunes filles talentueuses.
Le second montre qu'il est difficile de vivre du football féminin en Suisse. Si tel est le souhait d'une joueuse, elle doit partir à l'étranger. C'est un aspect que l'on peut parfois retrouver également chez les hommes. Pour résumer, je pense que nous faisons un très bon travail de formation et, parallèlement, on doit faire des efforts pour développer notre championnat.
RTSsport.ch: En 20 ans, le nombre de licenciées dans le pays est passé de 5'700 à près de 24'000. De quoi faire du football le premier sport collectif féminin en Suisse. L'intérêt est là, que manque-t-il à la Suisse pour entrer dans la cour des grandes?
FRANZISKA SCHILD: De l'argent! [rires]. Plus sérieusement, je pense qu'il nous manque un soutien total et global. Certes, nous sommes sur le bon chemin mais si l'on se compare aux pays scandinaves par exemple, où il est tout à fait normal qu'une fille joue au foot et où on investit presque autant d'argent dans le foot féminin que masculin, ce chemin est encore escarpé.
Actuellement, nous devons toujours nous battre pour les budgets, pour jouer sur le terrain principal du stade, etc. Si la Suisse veut faire partie des 4-5 meilleures équipes d'Europe, il faut que l'existence même du foot féminin soit "normale", sans que l'on doive se justifier pour tout et rien. Mais pour ce faire, nous avons besoin d'un soutien à tous les niveaux, des clubs professionnels aux médias, en passant par les communes et au sein de l'ASF. En Suisse, c’est un problème sociétal car l’égalité hommes-femmes n’est toujours pas une réalité. Pas seulement dans le foot ou dans le sport, mais dans la vie en général.
RTSsport.ch: En parlant de médias, un match du championnat français de football féminin a été diffusé en prime-time [PSG-OL, le 18 novembre sur une chaîne cablée, ndlr]. Cela vous donne des idées?
FRANZISKA SCHILD: Sur le principe, je voudrais vous dire oui. Mais il faut attendre le bon moment. Nous y travaillons et, le jour où ce sera le cas, j'adorerais voir la retransmission en direct d'un match au sommet entre le 1er et le 2e! Il n'y a qu'à penser au succès télévisuel des matches de l'équipe de Suisse au Mondial canadien [lire notamment les chiffres ici]: les spectateurs se sont rendus compte du bon niveau atteint par le foot féminin international.
Si la Suisse veut faire partie des 4-5 meilleures équipes d'Europe, il faut que l'existence du foot féminin soit "normale".
RTSsport.ch: Pour atteindre ce niveau, des bruits de couloir laissent entendre que l'ASF songe à rendre obligatoire la création d'une section féminine pour qu'un club aspire au label de qualité "centre de performance". Vous confirmez?
FRANZISKA SCHILD: Ce ne sont effectivement pas seulement des rumeurs, nous avons des discussions sur le sujet à l'interne. Mais rien n'est encore décidé, cela prend du temps. L'idée serait plutôt de profiter de synergies au sein des clubs.
RTSsport.ch: A ce sujet, le football féminin doit-il être "intégré" selon vous au football masculin afin de bénéficier des infrastructures et du personnel déjà existant, notamment dans les grands clubs?
FRANZISKA SCHILD: Ce serait effectivement plus facile. Mais ce n'est pas la seule solution! Il y a des clubs féminins qui fonctionnent très bien sans le soutien de grandes institutions professionnelles masculines!
Quand je parlais de "synergies", c'est justement pour que les équipes féminines puissent profiter d'une partie des retombées économiques des clubs issues des sponsors et du marketing. Mais aussi, et surtout, des synergies sportives: soins médicaux, entraînements des gardiennes, préparation physique, etc. Clairement, à court terme, aucun club ne va gagner de l'argent grâce au foot féminin, mais, avec ces petites mesures, ils peuvent contribuer au fait que ce sport soit aussi considéré comme un sport de femmes.
RTSsport.ch: Vous quitterez vos fonctions le 1er janvier prochain. Quel bilan tirez-vous après 4 ans et demi à la tête du football féminin en Suisse?
FRANZISKA SCHILD: Très positif! Nous avons travaillé pour le football d'élite mais aussi pour le foot de base, de concert avec les associations régionales, afin d'augmenter le nombre de joueuses, d'entraîneures et d'instructrices. Au niveau de l'équipe nationale, nous avons disputé deux grands tournois internationaux. Nous sommes sur la bonne voie même s'il existe encore en Suisse un immense potentiel non exploité. Cela passera notamment par la présence de femmes dans les comités directeurs, dont celui de l'ASF!
Propos recueillis par Stefan Renna
La Romandie à la traîne
RTSsport.ch: Si l'on regarde le nombre d'équipes et le palmarès, on peut dire que la LNA féminine est une ligue presque exclusivement suisse-allemande. Que manque-t-il à la Romandie pour rivaliser?
FRANZISKA SCHILD: Je trouve qu'on a vraiment bien travaillé en Suisse romande ces 30 dernières années. Yverdon en est un bon exemple. Et la récente promotion du Servette FC Chênois en est un autre. Il est important selon moi de pouvoir compter sur deux clubs romands en LNA. Mais désormais, je pense qu'il faut se préparer à faire un pas vers le professionnalisme si l'on veut exister comme club féminin dans ce championnat.
RTSsport.ch: Pensez-vous donc que Lausanne et Neuchâtel Xamax doivent se lancer eux aussi?
FRANZISKA SCHILD: Pourquoi pas! Après, il serait faux de dire que chaque club de Super et Challenge League doit avoir une section féminine, ce n'est pas réalisable. Prenez l'exemple de Berne: il n'y a pas assez de joueuses pour les deux clubs de la région (YB et Thoune). Dans la même lignée, je ne pense pas que cela soit nécessaire que Servette et Lausanne aient tous deux une équipe féminine en Ligue nationale A. Même discours pour Yverdon et Xamax.