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Piratage de chaînes sportives: le phénomène IPTV touche aussi la Suisse

Le Mag: IPTV, piratage
Le Mag: IPTV, piratage / Sport dimanche / 6 min. / le 17 novembre 2019
Imaginez de voir la Ligue des champions, la Premier League, la Serie A, la Liga, tout ça via un seul et même abonnement: le Graal pour un fan de football! Aucune offre TV n'est en mesure d'offrir un tel bouquet. A moins d'utiliser, comme de plus en plus de Suisses, l'IPTV, c'est-à-dire la Télévision via internet. Une technique qui permet notamment le piratage à large échelle des chaînes sportives payantes. Que risquent les utilisateurs d'IPTV en Suisse? Pourquoi a-t-elle fait son apparition et quels sont les enjeux économiques de ce phénomène?

Pour prolonger le "Mag' de la rédaction" diffusé dans l’émission Sport dimanche (voir ci-dessus), voici quelques informations supplémentaires que RTSsport vous propose de décortiquer en trois points.

1. Légal ou illégal?

Pour les utilisateurs d'IPTV, on l'a vu dans le reportage, les sanctions peuvent aller jusqu'à 3 ans de prison et 540'000 francs d'amende, au maximum. En Suisse, certains pensent qu'ils ne peuvent pas être inquiétés par la justice en vertu du principe d'"usage privé", qui s'applique lorsque l'on télécharge des films ou des séries sur internet. Mais attention! Ici il faut distinguer l'IPTV du streaming et du téléchargement.

>> Les explications de Vincent Salvadé, professeur de droit à l'Université de Neuchâtel :

Quelle différence entre l’IPTV et le téléchargement en ligne ?
Quelle différence entre l’IPTV et le téléchargement en ligne ? / RTS Sport / 57 sec. / le 17 novembre 2019

Du côté des intermédiaires, la donne est un peu différente. En Suisse, il est rare que les consommateurs communiquent directement avec les groupes organisés qui fournissent et gèrent les flux pirates. Il existe plusieurs types de revendeurs spécialisés dans les abonnements IPTV: ceux qui proposent leurs services uniquement à un cercle très restreint de clients (souvent leur famille, leurs proches amis) et ceux qui en font une activité lucrative. Ces individus comptent parfois jusqu'à 300, voire 400 clients romands à qui ils facturent un abonnement IPTV entre 100 et 250 francs par année en moyenne. Conséquence: un bénéfice annuel total de 30'000 à 100'000 francs.

Sur le plan juridique, les intermédiaires ne se rendent pas seulement coupables du point de vue du Code pénal, mais ils violent également la Loi sur le droit d'auteur. Ils pourraient à cet effet écoper de 5 ans de prison. Précisons tout de même qu'aucune jurisprudence n'existe en Suisse pour le moment.

Enfin, pour qu'un utilisateur ou un intermédiaire soit inquiété par la justice, il faut que le "lésé" dépose une plainte. Dans le cas de l'IPTV, il s'agirait des chaînes TV payantes victimes du piratage.

2. L'IPTV, menace numéro 1 de tout un marché?

Il semble peu probable que les chaînes étrangères payantes attaquent individuellement chaque utilisateur d'IPTV en Suisse. Elles ont déjà fort à faire ailleurs en Europe. Eleven Sports, Sky ou encore beIN se concentrent plutôt sur des mesures techniques (tatouage numérique ou "watermarking", géolocalisation des flux, collaboration avec les fournisseurs d'accès internet pour bloquer les sites d'IPTV, etc.) et tentent d'adapter le cadre légal.

Mais ils sont confrontés à deux gros soucis: d'une part, la valeur d'un match de football prend fin quand celui-ci se termine, donc les mesures légales a posteriori sont inefficaces. Et d'autre part, aucune décision n'a été prise au niveau de la Commission européenne; chaque pays possède ainsi ses propres lois. Conséquence du piratage: l'acquisition de droits TV n'est plus une activité lucrative pour ces groupes médiatiques, explique le Belge Pierre Maes, consultant dans ce secteur.

De leur côté, les ayants-droits (l'UEFA et les puissantes ligues telles que la Liga, la Premier League ou encore la Serie A) vont-ils donc se passer de ces chaînes privées et vendre directement leurs contenus aux consommateurs?

>> La réponse de Pierre Maes, consultant dans le secteur des droits sportifs :

Vers une vente directe des contenus par les ligues et les fédérations ?
Vers une vente directe des contenus par les ligues et les fédérations ? / RTS Sport / 33 sec. / le 17 novembre 2019

3. Vers un « sportify »?

Terminons par là où on a commencé: l'utilisateur d'IPTV. Dans le reportage de Sport dimanche, notre témoin liste les deux principaux atouts de cette technologie pour un fan de football: l'offre et le prix. En Suisse, pour avoir accès à toutes les compétitions de foot les plus importantes, il faut compter au minimum trois abonnements différents et débourser 60 francs par mois. Avec un abonnement IPTV, le prix varie plutôt entre 5 et 20 francs par mois, selon le dispositif (boîtier TV ou application) et le revendeur.

Concernant l'offre, les clients de formules IPTV mettent en exergue le catalogue de chaînes à disposition (parfois plus de 3000) et le confort souvent optimal si l'on compare ce service avec les sites de streaming où l'image se fige toutes les dix secondes, les commentaires sont en russe ou en arabe et les fenêtres pop-up de sites pour adultes polluent la vue…

Mais l'IPTV ne représente pas pour autant la panacée. Le service client est souvent inexistant lorsque l'on rencontre un problème, l'abonnement peut s’arrêter du jour au lendemain même s'il a été payé en avance (ce fut le cas pour beaucoup de Romands après le démantèlement d’un réseau européen en septembre) et, on l'a dit et répété, c’est illicite!

Du coup, quelles solutions légales pourrait-on imaginer pour enrayer le phénomène du piratage? Certains évoquent les plateformes de streaming qui rassemblent des films et des séries comme modèles à suivre pour le sport, et plus particulièrement le football. Mais ce "Netflix du sport" ne convainc pas Pierre Maes. "Si vous voulez voir toutes les fictions, il faut vous abonner à Netflix certes, mais aussi à Disney +, à Amazon ou encore à Apple, pour ne citer que les géants qui ont fait leur coming-out sur le sujet", illustre l'auteur d'un ouvrage intitulé "Le business des droits TV du foot: Enquête sur une bulle explosive". Le Belge penche plutôt pour un modèle à la Spotify: "voir tout le sport avec un confort d'utilisation maximal et un prix modique". Mais les différents acteurs du marché (ligues, fédérations, clubs, groupes médiatiques et de télécommunications) ne semblent pas prêts à réduire leurs gains pour le moment.

Nous avons posé la question suivante à notre témoin: si un "Sportify" voyait le jour, serais-tu prêt à abandonner l'IPTV? Voici sa réponse:

Quand j’étais adolescent, je téléchargeais beaucoup de musique illégalement. Aujourd’hui, avec ce genre de plateforme offrant un produit diversifié et accessible, on constate que les gens reviennent vers une formule payante. Donc oui, pourquoi pas!

Nathan*, utilisateur d'IPTV (*prénom d'emprunt)

Stefan Renna

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